Intervention de Carole Donnay

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 16 février 2023 : 1ère réunion
Prévention et santé au travail : l'expertise des professionnels de santé

Carole Donnay, secrétaire de l'Acomede :

Merci Madame la Présidente.

Je me fais ici la porte-parole de l'association Acomede, association française de médecins responsables nationaux de grandes entreprises en charge de la coordination des services de prévention et de santé au travail autonome. Notre collectif représente les médecins d'une trentaine de grands groupes du CAC 40 dans des domaines d'activité variés tels que l'industrie de pointe, l'industrie métallurgique ou sidérurgique, l'agroalimentaire, le secteur du transport, le secteur assurantiel et bancaire, le secteur de l'énergie, l'industrie pharmaceutique et cosmétique, le secteur de la construction et le service postal. Je tiens à souligner que nous ne comptons pas de représentants d'entreprises du secteur du soin, du nettoyage ou de la grande distribution. Pour autant, certaines de nos entreprises interviennent pour ou dans des entreprises de ces secteurs d'activité, ou font intervenir les salariés de ces secteurs dans le cadre de la sous-traitance.

Notre rôle, en tant que médecin du travail, consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. Pour cela, nous conseillons l'employeur sur l'évaluation, la suppression ou la réduction des risques professionnels pour un ensemble de salariés exposés. Actuellement, les actions de prévention collective sont entreprises par l'employeur et s'appliquent généralement à tout un collectif de travail. Elles ont pour objectif de supprimer ou de réduire le risque en se référant à des valeurs limites d'exposition ou des normes qui ne prennent pas en compte d'éventuelles spécificités de genre, de handicap ou d'âge. Celles-ci sont en revanche prises en considération à titre individuel par le médecin du travail lors d'une visite médicale en santé au travail, où il évalue si les expositions professionnelles résiduelles peuvent ou non avoir un impact sur l'état de santé du salarié. Selon cette évaluation, il peut prescrire des mesures de prévention individuelle, telles que le port d'un équipement de protection individuel (EPI) ou un aménagement de poste permettant d'extraire le salarié du risque ou de réduire son exposition.

En entreprise, la caractérisation et l'évaluation des risques professionnels des postes occupés par des femmes sont probablement connues de tous au même titre que ceux des hommes. Ils sont évalués de la même manière, sans spécificité de genre. Certaines expositions sont même connues pour être spécifiquement à risque pour les femmes. C'est le cas du travail de nuit, où le risque de cancer du sein chez la femme est identifié, et pour lequel la surveillance a fait l'objet d'une recommandation de bonnes pratiques labélisée en 2012 par la haute autorité de santé (HAS).

Il semble en revanche que les risques professionnels dans des secteurs professionnels plutôt féminins ne soient pas suffisamment maîtrisés en comparaison de certains secteurs plutôt masculins. Vous avez cité le nettoyage, secteur à dominance féminine. De même, les spécificités liées au fait que le poste soit occupé par une femme ne sont pas suffisamment perçues, sauf dans le cas précis de l'état de grossesse et de l'allaitement, où le lien entre santé et exposition professionnelle de la femme alerte presque systématiquement l'employeur. Les visites chez le médecin du travail sont souvent déclenchées par ce dernier ou la salariée elle-même, qui va se signaler. Les aménagements de poste sont généralement préconisés et ne sont pas contestés dans ce cas.

Dans le même temps, la prise de conscience des spécificités anthropométriques et physiologiques des femmes dans la conception des postes de travail qu'elles pourraient occuper n'est pas suffisante. Ceci peut être une cause d'apparition de maladie professionnelle. En milieu de production par exemple, la conception des lignes de montage ou de production prend pour référence anthropométrique des mesures masculines. Ainsi les postes de travail, souvent non réglables, sont peu adaptés au gabarit des femmes, occasionnant un risque d'apparition de TMS. Autre exemple, dans la logistique exposant au port de charge et où le travail se féminise de plus en plus, l'organisation du travail et la conception des postes ne prévoient pas de rendre tous les postes accessibles aux femmes en s'adaptant à la différence du corps de ces dernières par rapport à celui des hommes : taille plus petite, force musculaire plus faible, centre de gravité plus bas, moindre poids, débit cardiaque inférieur. Les femmes sont souvent reléguées à des postes de premier échelon à forte manipulation manuelle (picking, copacking, emballage). Souvent moins productives ou faisant face à des limitations physiques, leurs évolutions de carrière sont restreintes ou moins rapides que les hommes, et elles sont soumises à des risques d'exposition aux TMS plus forts.

Nous constatons aussi qu'au fil des années, l'organisation de la prévention des risques professionnels dans des secteurs professionnels plutôt féminins n'est pas à la hauteur des actions engagées dans des secteurs d'activité plutôt masculins perçus comme plus pénibles, comme le BTP par exemple. En effet le risque accidentogène et de maladie professionnelle grave engageant le pronostic vital, comme l'amiante ou la silice dans des activités très masculines, a attiré le regard de toutes les autorités de contrôle et a poussé ces entreprises à s'engager dans la prévention et dans la maîtrise des risques professionnels. En comparaison, les risques professionnels du secteur du care ou du nettoyage ont pu être banalisés dans leur appréciation par les employeurs et les salariés eux-mêmes. Particulièrement dans ces secteurs, l'organisation préventive - c'est-à-dire le repérage et l'analyse des risques et leur prévention - a eu du mal à se mettre en place faute de moyens. Tel est le cas dans la fonction publique hospitalière, au regard de ce qui a pu être fait dans le secteur privé. Dans le secteur du nettoyage, même si des actions ont été menées par la branche pour améliorer la prévention, il reste encore à faire en matière de formation du personnel. Souvent celui-ci ne maîtrise pas bien le français, affiche un parcours de soins parsemé d'embûches et ne connaît pas ses droits en matière de déclaration de maladie professionnelle.

Au final, la connaissance et la maîtrise des risques professionnels ne font pas aujourd'hui l'objet d'une différence d'évaluation selon le genre, peut-être à tort. On peut légitimement s'interroger sur l'intérêt de le faire, notamment au regard des statistiques de maladies professionnelles chez les femmes dans certains secteurs d'activité.

Pour mieux documenter et mieux prendre en compte les risques professionnels chez les femmes au regard de leurs spécificités, une étude statistique de cohorte nationale pourrait être proposée. Elle permettrait ensuite de réaliser des analyses statistiques par secteur d'activité professionnelle et par exposition au risque, pour sensibiliser et mettre en place des actions qui pourraient faire l'objet d'une priorité d'action dans le cadre des Plans de Santé au Travail ou en termes de politique de santé publique. Malheureusement, l'espacement des visites médicales et le fait que certaines d'entre elles soient réalisées par les médecins traitants dans des secteurs très féminisés, comme le service à la personne ou le mannequinat, ne permettent plus d'avoir, en médecine du travail, une vision globale de la situation des femmes au travail. Le recours à une étude statistique nationale plus globale, éventuellement réalisée par Santé Publique France ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), permettrait de mieux analyser cette situation.

Des études ergonomiques centrées sur l'analyse de l'activité de travail des femmes mettraient également en évidence la nécessité de réviser certains référentiels de conception de poste de travail afin qu'ils soient aussi bien adaptés aux hommes qu'aux femmes. L'évaluation des risques professionnels n'est pas genrée en pratique, à l'exception du travail de nuit et du cancer du sein. Sur la base de données scientifiques et dans certaines activités, il serait certainement pertinent d'inclure la dimension du genre au sein du document unique d'évaluation des risques.

Enfin des campagnes de sensibilisation ciblée auprès des femmes permettraient certainement de mieux les informer des risques spécifiques encourus et de les inviter à repérer et consulter dès l'apparition des premiers symptômes évoquant des pathologies professionnelles, limitant ainsi le risque de sous-déclarations que nous pouvons légitimement suspecter.

Le médecin aborde tout d'abord la question de la santé des travailleuses sous le prisme du genre en visite médicale, lors de l'évaluation de l'équilibre du lien entre la santé et le travail. Dans la dimension santé, on retrouve les aspects de santé physique, mentale et sociale. Sont notamment prises en compte les spécificités anthropométriques de la personne et l'adaptation à son poste de travail, la charge mentale en lien avec le travail, mais aussi en lien avec la vie sociale, la situation familiale, la charge de famille, le cas de salariés aidants et la capacité de la salariée à préserver des temps de déconnexion et de répit et des temps d'activités de loisirs, comme l'activité physique par exemple. En cas de déséquilibre du lien santé-travail, des aménagements de poste seront proposés. Plus récemment, les médecins du travail s'investissent dans des actions de santé publique et peuvent être en relais de campagnes de santé publique nationales consacrées aux dépistages du cancer du sein chez la femme, notamment lors de la manifestation Octobre Rose, largement relayée en entreprise.

Les aménagements de postes permettant l'équilibre du lien santé-travail chez la femme et le maintien en emploi sont divers et vont dépendre du type de poste de la personne et de sa problématique. On peut envisager des réductions du temps de travail sous la forme de mi-temps thérapeutique ou de télétravail en secteur tertiaire par exemple. Pour les secteurs non tertiaires, on peut envisager des réductions de temps de travail, des pauses plus fréquentes, la réduction de certaines tâches physiques ou des postes avec moins de contraintes productives et de pression temporelle, voire des évictions des postes dans le cas d'un risque cancérogène mutagène et reprotoxique, notamment chez les femmes en âge de procréer.

Les aménagements sur le long terme, particulièrement lorsqu'il faut gérer l'absentéisme, peuvent poser des problèmes de maintien en emploi. Nous le constatons particulièrement pour des formes assez importantes d'endométriose ou de syndrome des ovaires polykystiques, ou dans les parcours longs de PMA. Pour les cancers du sein, il n'existe pas d'accompagnement différencié. Nous accompagnons les salariées au retour à l'emploi comme nous le ferions pour les autres cancers, mais nous avons recours à plus de structures associatives externes qui aident la salariée dans sa réintégration dans l'entreprise.

Vous posiez la question des transformations des organisations de travail post pandémie de covid. On constate aujourd'hui une généralisation des activités de télétravail de l'ordre de un à deux jours par semaine en entreprise. Ces nouvelles organisations du travail en mode hybride sont plutôt plébiscitées par les femmes car elles permettent une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, et des économies de fatigue liée au transport dans certaines régions.

Les femmes subissent des charges et responsabilités familiales plus importantes que les hommes, notamment en cas de séparation. Elles ont souvent la garde des enfants, toutes les semaines de travail. Ces responsabilités viennent parfois rendre le vécu au travail plus complexe, car les ressources personnelles sont affaiblies par la fatigue, le manque de temps de répit, le manque d'activité sportive et d'activité de loisir. Ce constat peut expliquer l'augmentation des TMS ou des risques de burn-out chez les femmes, car se mélangent dans la genèse de ces pathologies des composantes de risque professionnel, des facteurs de vie extra-professionnels engendrant stress et charge mentale et prédisposant à la maladie. Nous prenons ces facteurs en compte dans nos consultations de santé au travail. Ils nous amènent à prendre des mesures sur le travail ou à orienter la personne vers les psychologues ou les assistantes sociales.

Les femmes accèdent aussi de plus en plus, dans le cadre des politiques d'égalité hommes-femmes, à des postes à de forte responsabilité, sans toujours bénéficier d'une égalité de moyens mis à disposition. Elles doivent toujours y faire leurs preuves et ne connaissent pas une évolution de carrière similaire. Se pose aussi la question du risque de burn-out dans ces situations, parce qu'il est difficile d'équilibrer sa présence entre le travail et la vie personnelle. Le choix et la renonciation sont souvent admis au quotidien. Quand tout va bien dans ces deux sphères, personnelles et professionnelles, aucun problème ne se pose, mais il suffit qu'une d'elles se dégrade pour engendrer très rapidement un phénomène de décompensation, avec de la frustration, de l'anxiété. La femme peut alors glisser très rapidement vers un syndrome de burn-out ou d'anxiété-dépression.

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