Merci de m'avoir invitée à participer à cette table ronde. J'ai choisi de vous exposer quelques exemples du quotidien des équipes de santé au travail concernant le travail des femmes. J'illustrerai mon propos en trois parties : la santé au travail des femmes, leur maintien en emploi, en évoquant le cancer du sein, très étudié ces dernières années, et la protection de l'enfant à naître.
L'observatoire Evrest (Évolutions et relations en santé au travail) a pour objectif la production de statistiques à partir des consultations réalisées par les médecins du travail ou les infirmiers de santé au travail. Dans ma présentation, j'ai pris les résultats observés en Normandie, qui a fait l'objet d'une étude spécifique s'agissant des conditions de travail et de la santé des femmes entre 2017 et 2019. Nous y avions étudié près de 3 000 salariés. Le jour de la consultation, ou dans les sept jours la précédant, les femmes déclarent plus de plaintes ou signes cliniques de troubles musculo-squelettiques (TMS) des membres inférieurs, supérieurs ou du rachis (respectivement 16, 30 et 36 % de troubles chez les femmes, contre 13, 20 et 26 % chez les hommes). Nous observons exactement le même phénomène s'agissant des troubles neuropsychiques, avec des écarts parfois plus importants sur la lassitude ou la fatigue (problème déclaré par 45 % des femmes contre 24 % des hommes). Nous constatons par ailleurs que les TMS sont dépistés plus tôt chez les femmes, tandis que le diagnostic d'une pathologie est souvent réalisé à un stade beaucoup plus avancé chez leurs homologues masculins. Les hypothèses d'explication de ces constats sont multiples. Les plaintes peuvent être différentes. Les femmes peuvent éventuellement présenter et verbaliser des symptômes plus tôt. Des prédispositions différentes en termes de musculature peuvent également être envisagées. Par ailleurs, les expositions au travail diffèrent.
L'observatoire Evrest a également étudié la vision des salariés quant à leurs expositions au travail lors des consultations. Un écart est là encore observé entre les hommes et les femmes. 12 % des femmes ont déclaré être exposées à des bruits supérieurs à 80 décibels, contre 51 % des hommes. Ces constats sont importants pour nous : lorsque nous menons des actions collectives de prévention, si nous décidons de nous intéresser au bruit, il faut savoir que nous toucherons davantage les hommes que les femmes. Ainsi, nous devons prendre en compte ces résultats lors de nos choix de prévention thématique.
Je poursuivrai sur la question du travail de nuit, dont on parle souvent. Le Centre international de recherche contre le cancer (Circ) a classé le travail de nuit dans le groupe 2A, c'est-à-dire probablement cancérogène. Le cancer du sein est souvent évoqué, mais des études récentes montrent que d'autres cancers pourraient être favorisés par le travail de nuit, notamment les cancers de la prostate ou colorectaux. La première idée qui consisterait à écarter le travail de nuit des conditions de travail des femmes constituerait une discrimination. Nous voyons par ailleurs que la science met en avant d'autres cancers. Il serait donc inopportun de nous focaliser uniquement sur la prévention pour les femmes, concernant le travail de nuit. La question est bien plus large que cela.
Ensuite, le maintien dans l'emploi, notamment des femmes, fait partie du quotidien des services de santé au travail. Je m'appuierai sur l'exemple du cancer du sein, pathologie largement étudiée ces dernières années. En France, il fait partie des cancers les plus fréquents avec ceux de la prostate, du côlon-rectum et du poumon. Ils comptent chacun un nombre similaire de nouveaux cas par an (entre 43 et 59 000). Pour autant, les cancers auxquels nous sommes confrontés en santé au travail ne correspondent pas à cette répartition. Il nous faut prendre en compte d'autres aspects, notamment l'âge médian au diagnostic. La moitié des cancers du sein sont diagnostiqués avant 63 ans et la moitié de ceux du poumon avant 66 ans, contre 68 ans pour le cancer de la prostate et 78 ans pour le cancer colorectal. La problématique du maintien dans l'emploi concerne davantage des personnes pouvant être affectées par des maladies plus jeunes, ce qui fait ressortir les cancers du sein et du poumon. Il est également important de s'intéresser au pronostic de ces maladies. Pour le cancer du sein, il s'est largement amélioré ces vingt dernières années, la survie à cinq ans s'établissant à 87 %, voire plus. Pour le cancer du poumon, elle s'élève à 17 %. Ce mauvais pronostic amène souvent des difficultés lorsque l'on souhaite reprendre le travail, bien que de nombreux travaux aient été menés, et que la survie à cinq ans s'améliore grâce aux progrès thérapeutiques.
Ces exemples me permettent d'illustrer qu'en santé au travail, il n'est pas possible de ne s'intéresser qu'au nombre de nouveaux cas par an. Dans le quotidien de notre activité, ce sont les autres éléments qui expliquent que nous, médecins du travail, sommes plus souvent confrontés au maintien dans l'emploi de femmes atteintes d'un cancer du sein que d'hommes touchés par un cancer de la prostate par exemple.
Je souhaitais vous présenter un graphique réalisé il y a quelques années par l'Institut national du cancer (INCa) à la suite de l'étude Vican 2, puis Vican 5, qui s'intéresse à l'après cancer. Un focus y est dressé sur le travail. Le graphique exposé montre une courbe de temps, partant du moment du diagnostic - où les patients sont fréquemment mis en arrêt de travail, puis s'en éloignant, à six, douze, dix-huit et vingt-quatre mois. Lors du diagnostic, 83 % des femmes et 73 % des hommes sont initialement arrêtés. Le retour au travail se fait progressivement, atteignant un plateau entre dix-huit et vingt-quatre mois. La courbe diffère toutefois entre les hommes et les femmes. Globalement, les hommes reprennent plus vite le travail : 53 % ont repris le travail six mois après un diagnostic de cancer, contre 38 % des femmes. Nous en identifions plusieurs raisons. D'abord, les cancers sont différents. Nous y voyons également des raisons d'emploi et de représentation. Les études se poursuivent, mais la différence de reprise du travail entre les genres a bien été constatée pour diverses pathologies.
La dernière partie de mon propos se concentrera sur la protection de l'enfant à naître. J'ai volontairement choisi un terme assez large. Souvent, quand on parle de protection de l'enfant, nous sommes sollicités, en tant que médecins au travail, pour des aménagements de poste durant la grossesse. À cette période, le foetus évolue et est parfois très sensible, notamment lors de la formation des organes. J'aimerais toutefois replacer ce sujet dans une perspective beaucoup plus large. La grossesse est importante, bien sûr, mais n'oublions pas le stade de formation des spermatozoïdes, qui peut être à risque, trois mois avant la grossesse. Nous devrions ainsi prendre en compte plus largement la question de la protection de l'enfant à naître en incluant les hommes dans la prévention. Par ailleurs, pour la femme, l'ovule n'est pas formé dans les jours précédant la grossesse, mais bien avant, lors de la grossesse de la maman, et dans les premiers jours de vie de la petite fille. De nombreuses recherches mettent en évidence des effets sur l'ovule lors de sa conception chez la toute petite fille présentant probablement des effets sur l'enfant à naître. Ce sujet me paraissait important à partager avec vous. De plus, on parle beaucoup de la grossesse et des aménagements de poste, mais nous devons nous replacer dans une continuité beaucoup plus large, notamment d'intoxication chronique. À titre d'exemple, une intoxication par le plomb peut toucher une jeune femme et se poursuivre durant la grossesse, alors même qu'elle n'y est plus exposée. Il est donc important de considérer la protection de l'enfant à naître, et pas uniquement la protection de la grossesse.
J'espère vous avoir démontré qu'il existe des spécificités de la santé au travail des femmes, mais aussi des spécificités pour les hommes. Nous essayons de les prendre en compte au quotidien en santé au travail, tant en matière de prévention collective que dans les consultations individuelles ou dans le maintien dans l'emploi.