Merci pour votre invitation. Je suis aussi médecin du travail, j'exerce dans un service inter-entreprises, au contact avec certaines populations que vous avez citées. Cette invitation m'a amenée à m'interroger sur ma pratique en tant que médecin du travail et sur ma prise en compte du genre dans les conditions de travail. Ce n'est pas évident.
Il existe un document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), que toutes les entreprises doivent remplir. Depuis plusieurs années, il doit prendre en compte le caractère genré des risques au travail. Il est pourtant très compliqué de discuter du genre dans les conditions de travail des entreprises, au risque de tomber immédiatement dans un caractère discriminant. Nous avons pour rôle de maintenir au travail des femmes sans parler d'une spécificité qui pourrait les discriminer.
Les deux intervenantes précédentes ont évoqué le travail de nuit. Dès 1987, un article du code du travail a interdit le travail de nuit aux femmes dans l'industrie. En 2009, il a été réintroduit pour cette population, à des fins d'égalité. Autre exemple historique : les femmes, épouses des travailleurs de l'amiante, y ont été exposées par le biais du nettoyage de leurs vêtements de travail. Il a fallu le reconnaître comme une maladie professionnelle collatérale.
Je poursuivrai mon propos en évoquant la connaissance des pathologies au travail des femmes. Dans mes activités, je fais partie du Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT) et du Comité national de prévention et santé au travail (CNPST), où sont présentées des statistiques sur les maladies professionnelles et accidents de travail. Il a été montré en 2019 que le taux d'accidents des femmes diminuait moins que celui des hommes. Nous avons interrogé l'Assurance maladie pour en comprendre les raisons. Il se trouve que les statistiques genrées par branche, métier ou exposition n'existent pas, raison pour laquelle nous n'avons pas pu obtenir de réponse.
De même, le Plan Santé au travail 3 comportait un volet sur les femmes. Le Comité régional d'orientation des conditions de travail (CROCT) de Bretagne a mené une enquête très descriptive sur le travail des femmes : comment sont-elles arrêtées ou touchées ? Les femmes sont plus exposées aux maladies, les hommes aux accidents et facteurs de pénibilité. Ils exercent des métiers plus à risque. Tous ces éléments sont assez compréhensibles et connus. Le CROCT a, paraît-il, l'intention de poursuivre ce travail. J'espère qu'il débouchera sur une enquête autour de la santé des femmes.
De même, une enquête a été menée en 2018 par l'assurance maladie sur les affections psychiques liées au travail, portant sur la période de 2001 à 2016. Il a été noté que les dépressions étaient plus importantes chez les femmes, de l'ordre de 66 % avec un pic à 44 ans. De même, 60 % des femmes sont touchées par le burn-out. Les secteurs les plus touchés relèvent du médicosocial, du transport et du commerce. Les situations déclenchantes étaient soit un événement brutal, soit un événement révélateur des conditions de travail. Ainsi, un facteur environnement de travail est, à mon sens, spécifique pour les femmes. Comment l'analyser ?
J'introduirai le sujet en me focalisant sur une profession particulière, les mannequins. C'est leur physique et leur âge qui importent pour ces représentantes de la féminité. Les troubles de l'alimentation sont bien documentés chez ces populations. Pour pouvoir exercer, le code du travail leur impose une visite médicale annuelle. Un certificat médical interdit aux mannequins anorexiques de travailler. Il serait préférable de demander pourquoi elles sont anorexiques, plutôt que de les empêcher purement et simplement d'exercer. De même, les mannequins, dont la profession est perçue comme privilégiée, sont exposées à un environnement violent. Elles travaillent de 16 à 35 ans, et sont ensuite renvoyées à leur âge, précarisées, fragilisées parce qu'elles ne trouvent plus de travail. Elles sont des intérimaires, prêtées par des sociétés pour faire des photos ou pour défiler. Elles travaillent, ou ne travaillent pas : c'est la société utilisatrice qui choisit. Elles sont donc soumises à des pressions et à des agressions sexistes, à des violences sexistes à appréhender dans un contexte qui n'est pas celui d'un pervers narcissique ou d'un psychopathe. Pourquoi le système a-t-il toujours accepté ces violences ? Pourquoi ne les dénonce-t-il pas ? Pourquoi ne les prend-il pas en compte ? Vous le savez, les risques psychosociaux occasionnent des troubles musculo-squelettiques. Sachant que les femmes décrivent plus de TMS, plus tôt, il convient de s'interroger sur les violences subies dans ces professions.
J'ai cité la profession des mannequins, car elles sont suivies dans un centre exclusif, qui surveille toutes ces professionnelles en France, Thalie Santé. Ce centre a décidé de mener une enquête ciblée sur ce métier, qui fait l'objet de maltraitances et de violences. Elle est en cours.
On retrouve ces mêmes violences dans les métiers du care, du service à la personne ou du ménage. Ces femmes sont précaires, occupent des métiers peu rémunérés, à temps partiel, avec des violences pouvant venir du client, des exigences de l'employeur, et un environnement parfois violent. Elles habitent dans des zones souvent éloignées de leur lieu de travail, peu sécurisées. Les horaires décalés de ces professions les amènent à retourner chez elles alors que l'environnement n'est pas sûr. Elles peuvent alors être agressées.
Toute cette violence systémique envers les femmes est à analyser, parce qu'elle est le lit de TMS et de l'usure. Après avoir été arrêté, pourquoi a-t-on du mal à revenir au travail ? Nous pouvons l'expliquer par ce sentiment d'usure, de difficultés au quotidien et de violence.
Enfin, je suis présidente de la confédération CFE-CGC, qui s'intéresse aux femmes et aux cadres. Durant la pandémie, nous avons mené une enquête auprès des cadres sur les conditions de management, en réalisant un focus sur la parité et le genre. Les femmes s'étaient plaintes qu'il leur revenait de s'occuper des enfants et que le télétravail n'avait pas été pensé avec des enfants.
La CFE-CGC a choisi de continuer à travailler sur le management. Le management intermédiaire - situé entre le top management et les salariés - souffre également, au point que ces métiers ne sont plus choisis et pourvus, en raison des contraintes importantes. Nous allons étudier ces contraintes selon une vision genrée, pour comprendre pourquoi les femmes sont plus exposées aux risques de burn-out, et pour comprendre l'aspect systémique des violences. Nous avons pour objectif d'établir un guide sur les bonnes pratiques de management.
En résumé, il existe, dans le travail des femmes, une maltraitance organisationnelle qu'il convient d'étudier plus en profondeur pour ne pas s'arrêter à des cas individuels et à des pensées telles que « c'est la faute du manager ».
Pour nous, et dans ma pratique, travailler sur les facteurs de risques psychosociaux est déterminant pour avancer sur ces sujets. Toute la santé des femmes est affectée par cette usure mentale.