Madame la Présidente, Mesdames les rapporteures, merci d'avoir souhaité entendre la voix de la profession. J'espère la porter de la façon la plus juste possible. Je remercie également chaleureusement le docteur Letheux qui m'a transmis cette invitation, ainsi que l'ensemble de mes collègues ayant contribué à compiler ces arguments pour vous.
Comment prendre en compte la santé physique et mentale des femmes au travail ? Je précise que les chiffres que je présenterai sont issus d'un échantillon infime de la population générale, et ne sauraient en être représentatifs. Le psychologue en santé au travail n'a pas accès à une immense partie de la population, soit parce qu'elle va bien, soit parce qu'elle n'en voit pas l'intérêt, soit parce qu'elle est orientée ailleurs, vers d'autres professionnels, ou parce qu'elle est en situation de désinsertion professionnelle. En effet, nous n'avons pas accès, dans nos locaux, aux personnes qui ne travaillent pas. Les propos que je soumettrai à votre écoute sont à entendre comme des hypothèses de travail ou des constats empiriques issus de pratiques, et non des conclusions vérifiées. Ces constats ne présupposent d'ailleurs pas de la part d'inné ou d'acquis dans les comportements féminins ou masculins.
L'AISMT 13, dont je fais partie, est un service inter-entreprises comptant 13 110 entreprises adhérentes pour un total de 165 000 salariés. Parmi ces derniers, 47,5 % sont des femmes. L'écart se creuse sur la population des cadres, dont seuls 40 % sont des femmes.
S'agissant des inaptitudes au travail, les chiffres sont très stables sur ces cinq dernières années. 65 % d'entre elles ont été prononcées pour des femmes. Nous sommes tout de même soumis à un biais de recrutement, parce que de nombreuses entreprises adhérentes sont positionnées dans les secteurs de la grande distribution, de l'aide à domicile, du nettoyage ou du soin, très occupés par des femmes. Ce constat peut contribuer à expliquer une partie de ces inaptitudes, qui ne s'expliquent pas uniquement par le fait que les femmes souffrent davantage. Parmi notre échantillon, les femmes sont fortement représentées dans les secteurs difficiles et usants. 40 % de ces inaptitudes ont été prononcés pour des troubles mentaux et du comportement, tels que des troubles anxieux, des difficultés à gérer la pression managériale en raison d'un dénigrement au travail, de reproches sur l'organisation personnelle, d'une remise en question de leur capacité de travail.
Ces chiffres corroborent nos orientations vers la cellule de prévention de la désinsertion professionnelle, qui concernent 61 % de femmes à partir de 35 ans.
Pour ce qui est des consultations psychologiques, la proportion hommes/femmes des salariés orientés vers les psychologues du service est équivalente à celle des personnes qui se saisissent de la démarche, soit environ deux tiers des femmes. Je note tout de même que lorsque les salariés ne se rendent pas à mon bureau, mais que je me rends moi-même en entreprise, ce sont alors les hommes qui viennent me voir. En consultation, j'observe qu'une femme sur quatre occupe un poste de cadre, pour un homme sur trois. Ainsi, nous comptons un peu moins d'encadrantes que d'encadrants lors des consultations.
Les chiffres de notre service laissent également entrevoir que les femmes viennent beaucoup plus tôt que les hommes. Ces chiffres peuvent être interprétés par le biais de modalités particulières d'exposition aux risques psychosociaux, ou d'expressions symptomatiques, des spécificités liées aux représentations sociales de la femme, et des spécificités liées aux postes à responsabilité.
Je rappelle que dans la prévention des risques psychosociaux, l'enjeu n'est pas seulement de diminuer les facteurs de risques, mais aussi d'augmenter les facteurs de ressources. Un savant équilibre doit être trouvé entre l'existence des premiers et celle des seconds, dans lesquels puiser de l'énergie et de la satisfaction pour ne pas souffrir d'une situation de travail. En revanche, si les facteurs de risque sont trop représentés, on voit apparaître des troubles psychosociaux que sont le stress, le burn-out, les conflits, les troubles addictifs à visée adaptative, les troubles musculo-squelettiques...
Les risques psychosociaux sont définis par Michel Collac comme des conditions d'emploi, des facteurs relationnels et organisationnels susceptibles d'interagir avec le fonctionnement mental. Dans le détail, quelques grandes familles reviennent souvent. Nous allons les analyser, en commençant par l'intensité et le temps de travail, soit les exigences de la tâche et de la performance. Dans cette famille de facteurs de risques, on remarque chez les femmes des temps partiels plus fréquents, mais qui ne sont pas nécessairement corrélés à une baisse de la charge de travail. Il est très habituel de voir une femme travailler sur un poste à 80 %, tout en étant soumise à une charge de travail à temps plein, parce que l'employeur n'a pas forcément les moyens de payer quelqu'un pour réaliser les 20 % supplémentaires, par exemple. C'est souvent le cas au retour des congés maternité, lorsqu'une femme prend un congé parental avec une diminution du temps de travail, sans voir de diminution du travail associé.
Les rythmes de travail sont par ailleurs très exigeants dans les secteurs dits féminins. Pour les hôtesses de caisse, la ligne de caisse doit fonctionner quoiqu'il arrive. Il en va de même pour les toilettes dans le milieu médical. S'y ajoute une charge mentale liée à l'organisation familiale.
La deuxième famille de facteur de risques concerne l'autonomie et la marge de manoeuvre. Une proportion moindre d'encadrantes implique nécessairement que les femmes sont plus nombreuses parmi les positions subalternes, qui n'ont pas toujours la possibilité d'être concertées sur leur travail, de participer aux décisions l'affectant. Elles ont alors le sentiment d'être plus à l'étroit dans un cadre auquel elles devront s'adapter. Les secteurs d'activité féminins comprennent par ailleurs en général des procédures lourdes, des manières de faire les choses très encadrées, des produits utilisés avec très peu de possibilités pour conseiller d'autres manières d'agir. Ces métiers connaissent en outre peu de possibilités d'évolution ou de reconversion.
La famille des conflits de valeurs et des conflits éthiques est quant à elle très exposée en fonction du niveau de responsabilités ou du secteur d'activité. Les métiers du care amènent par exemple les salariés à faire face à la souffrance ou aux difficultés des personnes. Je ne remarque pas réellement de différence en termes d'exposition sur cette famille de facteurs, mais je constate en cabinet une distinction s'agissant des conséquences sur la santé. Des conflits de valeur correspondent à des conflits à l'intérieur de l'individu. Une partie de moi défend mon système de valeur, entre ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, entre ce qui est bien ou mal, tandis qu'une autre partie de moi adopte un comportement, qui m'est la plupart du temps imposé par mon travail. Ces deux parties de moi, dans un conflit de valeurs, ne sont pas d'accord. On me demande de faire quelque chose qui va à l'encontre de ce en quoi je crois. Il se passe à cet instant un mal-être très particulier, lié à une dissonance cognitive dont il va falloir sortir. Sa résolution est très binaire : soit je maintiens mon système de valeur, mais je dois trouver un moyen de sortir de ce milieu qui le maltraite, soit j'aménage mon système de valeur de manière à justifier mon comportement. Les femmes, d'après un constat qui ne regarde que moi, tiennent plus longtemps dans cette situation de conflit psychique. Elles parviennent plus longtemps à faire des compromis, et tiennent dans la négociation avec l'employeur, en essayant de défendre un système de valeur. Un homme aura tendance à claquer la porte plus rapidement. Les conflits de valeurs sont intensifiés par la charge de travail, ou également peuvent donner le sentiment que la charge est plus intense que ce qu'elle n'est (par exemple lorsque l'on juge que les conditions ne nous permettent pas de faire un travail de qualité), notamment dans les milieux médicosociaux. La question des troubles musculo-squelettiques y est associée, particulièrement en ce qui concerne la toilette. Des quotas de personnel et de toilette par personne sont définis. Ce n'est pas tant la charge de travail qui pose problème, que la capacité à bien faire son travail, surtout lorsqu'elle implique des conséquences sur quelqu'un. Une personne âgée qui, ce matin-là, est plus difficile à lever, est de mauvaise humeur, est plus difficile à toiletter, affectera nécessairement le rythme des toilettes. On remarque ainsi que chez les personnes qui soignent, le souci concerne moins le fait de réaliser dix ou douze toilettes en deux heures que le fait de bien les réaliser.
Les exigences émotionnelles constituent la quatrième famille de facteurs de risque. Elles correspondent à tout ce qui me demandera de travailler sur mes émotions, de faire en sorte qu'elles n'affectent pas mon travail, de pouvoir rester neutre, voire jovial. Les professions commerciales elles-mêmes sont soumises à des exigences. Il faut être aimable et avenant. On remarque qu'elles se cumulent avec les exigences émotionnelles de la famille, les soins qu'on lui apportera. Les femmes ont d'ailleurs plus souvent le statut d'aidant. Elles ne se cantonnent pas au soin des enfants, mais aussi à celui des parents, voire de la fratrie handicapée, avec des différences d'expression émotionnelles. Je lie ici aussi ce constat avec les risques de TMS, notamment dans les secteurs du soin et de la petite enfance. Même si des appareils de portage y sont opérationnels, il est douloureux pour certaines femmes, pour les éducatrices ou les aides-soignantes, de ne pas pouvoir offrir la chaleur des bras. Il en va de même dans les crèches. Parfois, certaines personnes souffrant de douleurs dorsales ou autres, qui devraient les empêcher de porter, peinent à ne pas être dans le holding.
Ensuite, pour ce qui est des rapports sociaux et de la reconnaissance au travail, les métiers dits féminins sont parfois peu valorisés. Je peux ici citer le secteur de l'entretien ou de la grande distribution. Ils sont reconnus comme usants et sont plus exposés aux risques d'agression, en raison notamment de leur faible valorisation.
Les hôtesses de caisse ou d'accueil ne sont pas toujours très bien traitées. L'investissement dans le travail souffre d'un manque de reconnaissance. De nombreuses entreprises, aujourd'hui, reconnaissent uniquement le résultat du travail. Pourtant, très souvent, c'est la reconnaissance existentielle de la personne que je suis qui importe, le fait que l'on me dise bonjour, que l'on me demande comment je vais, mais aussi la reconnaissance du processus de travail : quels efforts mets-je en place pour réussir à faire ce travail et à produire ce résultat ? Ai-je mis plus de temps, ai-je approfondi mes connaissances ? Ai-je mis plus d'implication, plus de soucis émotionnels ? Cette partie reste très invisible et peut faire souffrir.
Je reviens également sur les problématiques d'insertion des minorités. Les femmes qui exercent dans les milieux d'hommes exercent le même métier, mais y sont exposées à des remarques sexistes ou autres, ou occupent des postes administratifs. La réalité est très clivée. Nous pouvons voir apparaître des questions de « harcèlement ». J'utilise ici des guillemets, car cette notion est juridique. Au stade où les femmes nous parlent, nous ne pouvons pas forcément le qualifier comme tel, du moins juridiquement. Nous remarquons en revanche qu'elles sont très sensibles au manque de bienveillance. Dans l'environnement de travail, on ne prête pas toujours attention à l'impact de la manière dont on va dire les choses, des propos que l'on va choisir. Les femmes sont très concernées par ce sujet. Elles vont se demander pourquoi on leur a adressé tel propos, de telle manière, en choisissant un mot et pas un autre. Par ailleurs, je ne sais pas si ce constat est plus féminin que masculin, mais les femmes se comparent beaucoup entre elles dans le milieu du travail. Les conflits générationnels sont assez importants entre les représentations des jeunes femmes et celles des femmes plus mûres dans le travail.
J'en viens enfin, pour clore mon propos sur les facteurs de risques psychosociaux, sur l'insécurité de la situation de travail. Les carrières hachées ou les interruptions pour grossesse et congés parentaux peuvent porter préjudice à la progression de carrière.
Le deuxième chapitre de ma présentation porte sur les modalités d'expression des symptômes. Les femmes en consultation clinique ont une particularité : elles vont exprimer beaucoup plus souvent de la culpabilité. Elles pleurent plus souvent. En termes positifs, elles mettent davantage en avant leur capacité d'adaptation et leur esprit collectif. Le sentiment de faire un travail utile est pour elles un facteur d'épanouissement. Dans le même temps, elles se sentent étiquetées comme plus fragiles. Je lie cette observation au fait qu'en entreprise, les hommes viennent nous voir plus facilement que les femmes, simplement parce que ces dernières se sentent déjà plus stigmatisées. Le fait d'entrer dans la salle avec le psychologue revient, pour elles, à confirmer qu'elles sont plus fragiles.
Revenons ensuite sur l'analyse des pleurs qui, pour moi, ne sont absolument pas le signe d'une fragilité plus importante, mais, au contraire, d'une meilleure régulation des émotions. Elles sont moins bloquées à l'intérieur, et elles agissent moins sur le long terme. En tout cas, les femmes montrent des compétences plus précoces et plus précises en termes de repérage des symptômes de stress. Elles savent mieux si elles souffrent de symptômes physiologiques du stress. Elles repèrent mieux les situations qui vont les stresser, et les techniques qu'il va falloir mettre en oeuvre pour les éviter ou pour y faire face. En général, elles sont plus à l'écoute de leurs corps et de leurs émotions. En revanche, cela contraste énormément avec leur tendance à prioriser les besoins de l'autre. Elles ne viendront pas en consultation, pas parce qu'elles ne ressentent pas le besoin, mais parce qu'elles identifieront d'autres priorités et d'autres personnes dont il faut s'occuper.
Les hommes, en consultation, vont quant à eux exprimer beaucoup plus facilement des douleurs, de la colère ou de la fatigue. Ils vont venir plus tard, plus abîmés. Je pense que beaucoup d'entre eux souffrent de dépressions masquées, qui n'ont pas été repérées. C'est peut-être pour cette raison qu'on nous les oriente moins, et pas parce qu'ils souffrent moins. Ils ont honte de craquer. Ils mettent davantage en avant leur autonomie et leur capacité à prendre des initiatives. Les possibilités d'évolutions constituent pour eux un facteur d'épanouissement.
La banalisation des difficultés par les femmes est plus grande si la famille est monoparentale, parce qu'elles se donnent une interdiction de faillir. Il en va de même si elles occupent une position de cadre. Là encore, il faut pouvoir rationaliser le stress, qui fait partie du métier, ou en tout cas prouver qu'on mérite le poste. Elles mettent alors les bouchées doubles pour prouver qu'elles sont à la hauteur de la tâche.
Je conclurai ce propos en parlant des transformations psychiques profondes inhérentes à n'importe quel parcours de maternité : accouchements, adoptions, fausses couches, parcours PMA ; échecs ; allaitement ; sommeil du nourrisson ; pathologies du nourrisson ou liées à l'accouchement... Ces différents éléments peuvent avoir un impact, positif ou négatif, sur l'estime de soi, sur la confiance en soi, sur le sentiment de légitimité et d'efficacité personnelle. Ils agiront comme une caisse de résonance sur les difficultés que peuvent rencontrer les individus au travail, en venant les atténuer ou au contraire en les aggravant. Ce constat s'applique aux femmes comme aux hommes.
Ensuite, le stress d'origine psychologique est une double appréciation : j'apprécie à la fois de manière subjective la contrainte qui m'est imposée, et de manière subjective les ressources dont je dispose pour y faire face. Je peux alors me tromper doublement, sur la gravité de cette contrainte qui m'est imposée, et sur l'efficacité des ressources que j'ai à ma disposition, ce qui parfois amène à des différences en termes de stress ressenti. Les hommes ont souvent tendance, quand ils ressentent du stress, à surévaluer la contrainte qui leur est imposée. À stress équivalent, les femmes vont plutôt sous-évaluer leurs ressources. Ce constat est encore une fois lié à la confiance en soi et l'estime de soi des femmes.
La santé psychique dépend de la capacité à intégrer les expériences positives et négatives et à faire face aux défis avec le sentiment d'être en capacité d'affronter les conséquences. La nature humaine est essentiellement multidimensionnelle, et elle implique de traverser des phases de transformation parfois radicales en fonction des étapes de la vie. Quid du code du travail et de l'article L4121-2 alinéa 4 : quand allons-nous adapter le travail à l'être humain ? Il existe quelques exemples, mais ils sont trop peu nombreux, à mon sens. Enfin, l'acceptation du vieillissement est rendue beaucoup plus difficile socialement pour les femmes que pour les hommes. Une femme plus avancée dans l'âge a plus de chances d'être considérée comme plus usée et moins efficace, alors qu'un homme plus avancé dans l'âge est considéré comme plus expérimenté, plus outillé, plus légitime.
Permettez-moi maintenant de vous exposer quelques représentations sociales stéréotypées au travail. Les femmes et les hommes vivent une éducation émotionnelle très genrée. C'était en tout cas vrai pour ma génération. Les petites filles ne sont pas forcément « autorisées » à exprimer beaucoup de colère. On légitime en revanche beaucoup leur tristesse. On les accompagne beaucoup. C'est l'inverse pour les hommes. Les petits garçons peuvent se mettre en colère, mais ne peuvent pas pleurer, au risque de ne pas devenir un homme. Heureusement, cette réalité évolue quelque peu.
L'éducation des filles est, de manière générale, plus protectrice. C'est très bien, mais cela signifie, en sous-jacent, que les femmes sont des victimes potentielles et qu'elles sont donc des proies dans un milieu de prédateurs. Ainsi, nous pouvons peut-être nous interroger sur les hésitations plus importantes des femmes à prendre des risques par rapport aux hommes.
Je m'interroge également sur la notion de préoccupation maternelle primaire, un état presque fusionnel de la maman avec son petit bébé, censé débuter vers la fin de la grossesse et prendre fin quelques mois après l'accouchement. Elle a été théorisée par un homme, comme une pathologie mentale d'allure schizoïde et transitoire. Je me demande si ce ne serait pas faux. Le caractère transitoire ne serait-il pas erroné ? Je ne pense pas que les femmes soient coupées de leurs besoins essentiels lorsque leurs enfants atteignent 25 ans. Et si ce n'était pas une pathologie mentale ? Et si être capable d'être à l'écoute des émotions de l'autre et de ses besoins était normal ? Et si cette capacité à être en connexion et à ressentir les besoins de l'autre et à pouvoir y répondre était inhibée chez les hommes, par l'éducation par exemple ?
Je peux également mentionner des attendus sociaux autour de la vulnérabilité et de la douceur. À cause d'eux, la charge mentale et émotionnelle, qui est invisible, n'entraînera pas de reconnaissance particulière. Ce constat pose des problèmes dans les milieux du care. Il existe par ailleurs un paradoxe énorme entre le fait qu'une femme doive être douce, vulnérable, s'occuper des enfants, et le fait que celles qui priorisent l'éducation des enfants sur leur insertion professionnelle soient stigmatisées. Par ailleurs, on va dévaloriser la femme en position d'autorité, et qui l'affirme, en ne parlant plus d'autorité légitime du manager, mais de « la méchante ». Elle n'est pas censée être fermée, mais être douce et bienveillante.
Bien évidemment, les attentes autour de la maternité stigmatisent les femmes qui font le choix de ne pas avoir d'enfant ou qui ne peuvent pas en avoir.
Les hommes, de leur côté, vont s'autoriser très difficilement une forme de fragilité - ou ce qu'ils estiment comme tel. Il existe par ailleurs des stéréotypes sur l'ambition et la quête de pouvoir. Les autoritarismes masculins vont être plus facilement légitimés par les femmes. Un patron qui me parle mal n'est pas forcément un méchant. C'est juste un patron. La seule exception concerne les hommes dans une position de pouvoir perçue comme illégitime, parce qu'ils n'auraient pas montré leurs capacités à manager correctement, ou parce qu'ils exercent leur pouvoir par la séduction ou la manipulation. Les femmes sont très efficaces à repérer ce genre d'illégitimité de pouvoir.
J'en viens aux postes à responsabilité. Le code du travail implique des obligations de moyens et de résultats de l'employeur vis-à-vis de la santé et de la sécurité des travailleurs. Ainsi, le rôle prescrit du manager, en termes de disponibilité, d'écoute, de protection, est une posture de soutien. Ça, c'est sur le papier. Dans les faits, dans le travail réel, la posture du manager est tournée vers la performance, la pression, le contrôle, la vérification, la surveillance, la transmission de consignes. Il est garant de leur application. C'est un vrai problème pour le management intermédiaire. Ces managers appliquent ce qu'on leur impose de plus haut en composant avec les contraintes qui viennent d'en bas. Ils ont ainsi une responsabilité sans disposer des moyens d'agir. Ils en viennent alors à culpabiliser.
La femme sait gérer la responsabilité et la disponibilité. Cela fait partie du bagage féminin. En revanche, sur ces postes, elle anticipe très bien la balance gratification - sacrifice, ou la balance bénéfice - risque. Elle est en conflit sur les représentations entre la compatibilité de la vie de famille et le travail. Je me demande pourquoi. Certes, le cadre travaille souvent au forfait jour, mais les milieux du care ou de la grande distribution sont eux aussi concernés par une disponibilité très faible, par du travail le week-end ou en soirée. Ainsi, la compatibilité entre la vie de famille et les postes de management n'est pas forcément moindre que dans d'autres secteurs d'activité ou dans d'autres niveaux de la hiérarchie. Enfin, les femmes sont confrontées à un sentiment d'illégitimité plus prononcé que celui des hommes quand on leur demande leur opinion sur ces postes.
Maintenant, quelques pistes de réflexion. Puisque nous discutons d'une meilleure manière de prendre en compte la santé des femmes au travail, je pense qu'il est aussi important de changer le regard social. L'encadrant doit-il être responsable du travail fourni par ses collaborateurs, comme c'est le cas aujourd'hui, ou doit-il être responsable des collaborateurs, eux-mêmes responsables de leur travail ? Dans le milieu du care ou dans le social, peu de salariés travaillent pour leur direction. Ils travaillent pour leurs publics, pour leurs patients, pour leurs résidents. Leur direction est envisagée comme quelqu'un qui doit les soutenir et leur fournir les moyens pour bien faire leur travail. Ce n'est pas ce qui est observé dans la réalité. Si on envisage que le responsable doit être responsable du collaborateur, de son bien-être, de sa capacité à travailler, on présuppose un recrutement qui ne reposerait plus uniquement sur une compétence technique, mais aussi sur d'autres formes de compétences. Cela suppose aussi une amplification des efforts de formation des managers aux indicateurs de mal-être, à la communication, à l'écoute, plutôt que sur la rentabilité. À la clé serait attendu un vrai bénéfice secondaire sur la prévention des risques psychosociaux, puisqu'on gagnera en latitude décisionnelle et qu'on améliorera les relations entre les collaborateurs et les encadrants.
Enfin, plus on est haut, plus on est seul. En bas, les équipiers sont un groupe, un collectif. Plus on monte dans la hiérarchie, plus on est isolé. Alors, pouvons-nous promouvoir la transversalité des projets partagés, ne serait-ce que pour alléger la charge cognitive et décomposer les problèmes complexes ? Il ne s'agit pas tellement de positionner plus de femmes dans des postes d'encadrement, mais aussi d'améliorer leur satisfaction sur ces postes en les rendant plus en phase avec leurs besoins. Pourquoi ne pas instaurer systématiquement des partages de bonnes pratiques entre encadrants pour renforcer un sentiment d'appartenance, de légitimité - puisqu'on sait qu'elles se sentent illégitimes -, pour diminuer la charge cognitive et renforcer le sentiment d'efficacité ?
Enfin, je suis tombée sur une conclusion qui m'a beaucoup étonnée : les femmes ont moins de chances de bénéficier de promotions internes, selon un rapport de Romain Bendavid et Flora Baumlin en 2022. Il est vrai qu'en consultation, les femmes me rapportent que si elles veulent évoluer, on va les inciter à changer d'antenne ou à demander une mutation parce qu'elles connaissent trop leurs collègues. Bien connaître ses collègues implique-t-il qu'on les managera moins bien ? Qu'ils nous obéiront moins bien ? Je ne sais pas. Ne serait-ce pas simplement la peur du lien, la peur qu'une femme ait peut-être plus de chance à favoriser les unes ou les autres sur des critères émotionnels plutôt que sur des critères de travail ? Pourquoi pense-t-on qu'une femme est moins apte qu'un homme à bénéficier d'une promotion interne ? C'est une vraie question.
Pour ce qui est du regard sociétal et de la confiance, de nombreuses femmes, en France, ont peur du congé maternité. Elles ont peur de ne pas retrouver le même travail une fois qu'elles seront parties. Pourtant, ce congé est assez court. En Allemagne, il est très mal vu de revenir au travail moins d'un an après l'accouchement. On y investit la femme d'un rôle très important d'éducation, de formation d'un futur membre de la société. Finalement, si on privilégie son travail, on y est vu comme un peu égoïste ou en marge des besoins sociétaux. Ce n'est pas du tout le cas en France, où il faut vite revenir au travail. Ne pas le faire signifierait qu'on ne s'intéresse pas à la société.
Pourquoi ne pas réfléchir au meilleur encadrement des remplacements ? De nombreuses femmes reviennent de congés pour se voir attribuer un poste différent, ce qu'elles vivent comme une vraie dégradation, une dévalorisation. Parfois, c'est même leur remplaçante pendant le congé maternité qui va occuper leur poste une fois qu'elles reviennent. Une réelle réflexion me semble nécessaire sur ce point. Par ailleurs, pourquoi ne pas renforcer le soutien aux mères allaitantes ? Pourquoi ne pas systématiser les conseillères en allaitement et les congés allaitement ? Pourquoi ne pas recommencer à rémunérer les pauses allaitement ? Dans le cadre de mes recherches, j'ai retrouvé une vieille proposition de loi adoptée par la Chambre des députés en 1913, disposant qu'il est interdit de décompter en aucune façon du montant du salaire journalier l'heure destinée à l'allaitement. Pourquoi a-t-elle disparu ? C'est sûrement un fait du progrès, de la modernité, et de nombreux facteurs. Sous l'angle économique, l'allaitement n'est absolument pas un temps productif pour l'entreprise. En même temps, une femme à qui l'on permet de remplir ses objectifs personnels sera une salariée très motivée, qui se sent très considérée et donc très loyale vis-à-vis de son entreprise. Nous savons en outre que l'allaitement est reconnu comme préventif vis-à-vis du cancer du sein.
Nous devons par ailleurs sortir du paradoxe et donner les moyens d'occuper le rôle d'aidants ou de soignants. On pourrait aussi - soyons fous - donner aux soignants les moyens de soigner, mais en tout cas, nous devons aider les aidantes familiales ou les personnes assurant ce rôle dans la famille à pouvoir mieux le faire. Il serait également opportun de renforcer les politiques de congé enfant malade et aidant familial. Je cite également le maintien de la mutuelle lors du congé parental intégral.
Ensuite, s'agissant du temps de travail, certaines entreprises, plus grosses et mieux loties, proposent des tranches horaires d'arrivée et de départ, offrant beaucoup plus de souplesse dans l'organisation. Valorise-t-on la réalisation des objectifs, ou le nombre d'heures ? Là aussi, c'est une vraie question. Comment valorise-t-on les temps interstitiels, c'est-à-dire les fausses pauses ? Dans certains milieux de travail, la communication est dysfonctionnelle. On n'a pas le temps de se transmettre des informations. Il arrive qu'on utilise alors les pauses pour le faire. Certes, ces temps vont fédérer les équipes ou réguler les émotions, mais ce ne sont pas des pauses. Les salariés ne coupent pas avec le travail et n'allègent pas leur charge cognitive.
Nous devrions également favoriser l'éducation émotionnelle précoce pour tout le monde, pour que chacun puisse mieux repérer et valider ses émotions. Il est également nécessaire de mieux valoriser les soins préventifs en général et les soins psychiques en particulier, avec des efforts de remboursement. Renforcer la présence des psychologues dans les structures de soins à la fois pour les patients, mais aussi pour les équipes, pour les aider à réguler leur tension, est essentiel. Quid des contrôles arrêt maladie ? En consultation, des salariés me demandent des attestations pour prouver aux contrôleurs de la Sécurité sociale qu'ils n'étaient pas en train de se balader. Pourtant, même s'ils l'étaient, ce serait la possibilité d'avoir des expériences positives pour sortir d'une dépression.
Ensuite, la prise en compte du genre dans l'alliance thérapeutique est aussi une question sans réponse. Un homme se confie-t-il plus facilement à un homme ou à une femme sur un problème psychique, et inversement ? Égalité rime avec équité, et pas avec indifférenciation.
Venons-en à la question des retraites. Est-ce qu'on récompense uniquement le temps qui est générateur de richesse ? Ou pouvons-nous aussi imaginer qu'on pourrait récompenser les efforts de cohésion sociale tout au long de la vie ? Les retraites, dans le débat qui nous concerne, vont affecter fortement les espaces de transmission et d'entraide intergénérationnelle, que ce soit par rapport à la garde des petits-enfants, mais aussi aux soins des parents. Une femme de 65 ans peut avoir des parents en situation de dépendance très avancée. C'est souvent un point crucial que de pouvoir leur apporter une fin de vie digne dans un accompagnement avec le sentiment de rendre tout ce qu'on a reçu de son parent.
Enfin, et je me permettrai de clore là-dessus, attention aux fausses bonnes idées. Nous avons déjà identifié des antécédents, notamment dans l'automatisation du travail. Je pense ici au voice picking, qui visait à alléger le travail, mais a créé de nouveaux problèmes, ou aux coupures dans le temps de travail. À titre d'exemple, un petit supermarché de province a vu ses risques psychosociaux exploser à la suite de l'abolition de certaines coupures du midi, qui duraient parfois quatre ou cinq heures. Sur un métier déjà peu valorisé, ces quelques heures de coupure permettaient, le mercredi, d'économiser une garde, de passer du temps avec ses enfants, de les accompagner au sport avant de revenir au travail. Une fois qu'on a enlevé cette capacité à concilier leur vie professionnelle et personnelle, le seuil de tolérance des salariés à d'autres difficultés - mauvais rapports avec la chef de caisse, polyvalence, déchargement de palettes - s'est retrouvé abaissé.