Intervention de Marie-Arlette Carlotti

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 mars 2023 à 9h30
Loi de programmation militaire — Groupe de travail sur le programme 212 « soutien de la politique de la défense » - examen du rapport d'information

Photo de Marie-Arlette CarlottiMarie-Arlette Carlotti, rapporteure :

J'aimerais revenir sur les vingt-cinq années qui nous séparent de la décision, prise en 1996 par le président Jacques Chirac, de suspendre la conscription, décision suivie par la loi de programmation militaire qui a organisé la transition vers une armée de métier.

Cette décision, jamais remise en cause depuis, continue d'avoir des répercussions majeures sur notre modèle d'armée. Elle est le symbole des décennies 1990 et 2000. La dissolution du Pacte de Varsovie a fait naître dans l'opinion publique comme dans l'esprit des décideurs, durant cette période, l'idée d'une fin de l'Histoire. Il était temps de bénéficier, selon l'expression consacrée, des dividendes de la paix, ce qui a justifié la réduction de nos investissements de défense.

Mais les temps ont changé : le président Emmanuel Macron parle désormais d'un « retour tragique de l'Histoire » et a annoncé un projet de LPM 2024-2030 ayant pour objet de nous préparer à la haute intensité. Or, en vingt-cinq ans, ce ne sont pas une, mais deux vagues de réduction brutale des effectifs auxquelles les militaires ont dû faire face.

La première, liée à la fin de la conscription, a supprimé 137 000 postes dans les armées en seulement cinq ans soit 25 % des effectifs. L'armée de terre a été la plus touchée par cette première vague.

La seconde a résulté de la révision générale des politiques publiques (RGPP) du président Nicolas Sarkozy, entre 2007 et 2012. Les responsables des ressources humaines militaires nous ont tous indiqué qu'elle continuait d'avoir des effets dix ans après la fin de sa mise en oeuvre. La RGPP a supprimé 34 000 postes en cinq ans.

Ensuite, l'année 2015, durant laquelle la France a été endeuillée, à plusieurs reprises, par les attentats terroristes perpétrés sur notre territoire, marque le point d'inflexion de la trajectoire des effectifs de nos armées. Dès lors, un coup d'arrêt a été mis à la réduction des effectifs des armées par le Président François Hollande.

Il a eu lieu en deux temps : d'abord un redressement progressif des effectifs, jusqu'en 2018, qui a été prolongé par la LPM 2019-2025, avec la création de 6 000 équivalents temps plein (ETP) prévue. Il faut cependant souligner ces créations sont sans commune mesure avec l'amplitude des suppressions décidées durant vingt ans.

Ainsi, si nous avons bien créé 8 000 postes dans les sept années qui nous séparent de l'inversion de la courbe en 2015, ils sont loin de compenser les 52 000 postes supprimés dans les sept années précédentes. Restons donc conscients que nos forces armées comptent moins de militaires aujourd'hui qu'il y a dix ans.

En dépit des annonces récurrentes - réparation, remontée en puissance des effectifs de nos forces armées -, la trajectoire de redressement est moins rapide que ne l'était celle des suppressions de postes. Par conséquent, les choix que nous inscrirons dans la prochaine LPM seront déterminants.

En effet, il est impossible de dissocier les effectifs des objectifs opérationnels pour affronter les conflits de demain. Le nombre de militaires comme leurs qualifications relèvent du modèle d'armée que nous voulons pour notre pays, au même titre que les matériels et les armes.

Si les réductions brutales d'effectifs que je viens d'évoquer étaient cohérentes avec notre stratégie de l'époque d'un « modèle expéditionnaire » d'armée concentré sur les opérations extérieures (Opex), la revue nationale stratégique (RNS) de novembre dernier développe l'ambition d'un nouveau modèle, avec comme objectif exprès d'être en mesure de nous engager dans un conflit de haute intensité.

Il conviendra d'en tirer toutes les conséquences sur le plan des ressources humaines, reflet de nos choix stratégiques de fond. Ainsi, les retours d'expérience des guerres de haute intensité dans notre voisinage prouvent que ce type de conflit est particulièrement meurtrier.

Par exemple, en moins de deux mois, et particulièrement dans ses premiers jours, la guerre du Haut-Karabagh a fait entre 6 000 et 10 000 morts - je vous renvoie au rapport que nous avons présenté il y a quelque temps avec Olivier Cigolotti. En Ukraine, le nombre de victimes estimées pendant la première année du conflit est d'environ 100 000 dans chaque camp.

Certes, la situation de la France n'est pas comparable au regard de la dissuasion nucléaire. Cependant, dans la mesure où nous nous sommes fixé comme objectif d'être préparés à la haute intensité, nous devons disposer des moyens à la hauteur. En effet, selon la formule récemment employée par Jean-Marc Todeschini et Cédric Perrin, nos forces de dissuasion nucléaire ne doivent pas devenir notre « nouvelle ligne Maginot ».

Nous serons donc particulièrement attentifs à ce que la future LPM, annoncée comme une loi de transformation des armées, en tire toutes les conséquences dans tous les domaines, particulièrement en termes d'effectifs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion