Messieurs les présidents, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse d'échanger avec vous. Il est important de pouvoir se retrouver au lendemain de la visioconférence des chefs d'État ou de gouvernement, qui nous a permis d'échanger sur ce que nous devons encore faire ensemble pour sortir de la crise.
Avant de revenir en détail sur les discussions d'hier et la reprise, il nous faut regarder la situation avec lucidité, non pour tirer tous les enseignements de cette crise, mais pour revenir sur ce qui n'a pas fonctionné, notamment nos capacités d'alerte et de réaction collective, qui n'ont pas été activées suffisamment tôt, sur la fermeture unilatérale de certaines frontières et sur les actes de solidarité tangibles, qui ont pu tarder à se manifester.
Il faut aussi reconnaître que les domaines où l'Europe a su jouer un rôle déterminant méritent d'être valorisés.
Je pense à la réponse de la BCE et au soutien massif à la recherche pour trouver un vaccin. 150 millions d'euros ont été rapidement déployés, avec une conférence de financement mondiale qui se tiendra le 4 mai prochain à l'initiative de la Commission européenne et le soutien de la France afin que l'OMS, le GAVI et toutes les institutions publiques, parapubliques et privées puissent contribuer à un fonds commun de recherche.
Je pense aussi aux 600 000 Européens qui ont pu être rapatriés grâce à nos efforts coordonnés, dont 51 000 avec l'aide de moyens mutualisés sur la base d'un financement européen.
Je pense également à la mobilisation de moyens pour financer les systèmes nationaux de santé au profit des plus fragiles, qui représentent 3,5 milliards d'euros, ou pour aider les secteurs les plus touchés grâce au redéploiement de fonds destinés à financer les dépenses induites par la crise à hauteur de 37 milliards d'euros, notamment dans les régions, au titre de l'initiative d'investissement en réaction au Coronavirus.
Enfin, des mesures de marché en faveur du lait et de la viande ont été prises ces derniers jours et des mesures de flexibilité exceptionnelles ont été mises en oeuvre en matière de versement des aides relatives à la politique agricole commune (PAC) et au fonds pêche. La France a pesé de tout son poids. Nous poursuivons le combat avec Didier Guillaume pour aider aussi la filière viticole.
La priorité est maintenant d'élaborer une stratégie de sortie de crise. Une partie de la discussion d'hier était très importante pour acter le fait que nous devons le faire ensemble. Nos destins sont liés, et l'efficacité et la rapidité de la reprise dépendent de notre capacité à définir des réponses communes.
Le premier élément pour réussir la sortie de crise repose sur la coordination des stratégies nationales de déconfinement. La Commission européenne a formulé des orientations de bon sens pour que chaque pays réfléchisse à la sortie du confinement. Le Président de la République a dit hier que le travail que mène Jean Castex sous l'autorité du Premier ministre s'inscrit pleinement dans ces recommandations.
Il ne s'agit pas d'une harmonisation, qui serait illusoire puisque les calendriers et les modalités doivent d'abord dépendre de la situation sanitaire nationale. Il est néanmoins important que nous parvenions à nous coordonner, en particulier sur la question des frontières et de la levée progressive des contrôles en fonction de l'évolution de la situation sanitaire en France, dans les pays qui nous entourent et dans les pays tiers.
Il faut que la levée des contrôles s'effectue de façon progressive C'est le travail que nous conduisons en ce moment avec mes collègues Jean-Yves Le Drian, Christophe Castaner et Laurent Nunez. Nous avons réuni hier le Comité de coopération transfrontalière pour réfléchir à l'ensemble des questions que pose ce déconfinement et qui ont des répercussions des deux côtés de la frontière.
Par ailleurs, les applications mobiles pourront contribuer à rétablir dès que possible une forme de liberté de circulation. Nous cherchons à faire en sorte que ces applications respectent les règles européennes sur les données personnelles et à les rendre interopérables. Il existe un projet franco-allemand très avancé à ce sujet. Il est extrêmement utile que le débat se poursuive au niveau européen. Le Parlement européen s'est saisi du sujet. La France a demandé une réunion des ministres chargés du numérique pour avancer ensemble.
Le deuxième enjeu est celui de la relance économique, principal sujet au coeur des discussions d'hier entre chefs d'État ou de gouvernement. La question est de savoir comment reconstruire ensemble notre économie, et surtout comment faire en sorte que le marché intérieur demeure un bloc cohérent, sans distorsion majeure.
Deux principes guident notre position dans la manière de penser les outils de la relance et ce qu'ils doivent financer.
Le premier principe est celui du renforcement de notre autonomie stratégique et de notre capacité à produire sur notre sol des biens stratégiques en matière économique, industrielle, alimentaire et de défense. Le fonds européen de défense reste donc une priorité de la France.
Le deuxième principe repose sur la solidarité. Le virus a frappé les pays aveuglément, avec des intensités différentes, mais personne n'est responsable. Il est donc très important d'être solidaires, car nous sommes extrêmement interdépendants les uns des autres et aucun pays, si riche soit-il, ne peut se relever seul. Sans client ni fournisseur, les usines ne tourneront pas.
La situation dans laquelle nous nous trouvons est inédite. La récession prévue à ce stade se situe autour de 9 %. Le taux de chômage pourrait doubler mais les évaluations montrent que ce peut être encore plus profond. Nous évaluons l'ensemble des mesures budgétaires déjà annoncées dans la zone euro à 3 % du PIB et les garanties de liquidité à 16 %.
Beaucoup de choses ont été faites depuis le 26 mars. L'Eurogroupe a pu, grâce à un travail franco-allemand, sous la houlette de Bruno Lemaire et d'Olaf Scholz, proposer un compromis sur la protection des travailleurs. Ajoutés au mécanisme SURE de financement du chômage partiel, la mobilisation de la BEI en faveur des entreprises et le recours possible au MES sans réelle conditionnalité, avec les mêmes conditions pour tous les États membres, représentent 540 milliards d'euros. Ces mesures d'urgence ont été validées hier et devront être effectives au 1er juin.
La situation exige cependant que nous allions plus loin, d'où l'idée française d'un fonds de relance, véritable outil de solidarité financière destiné à faire en sorte que la reprise puisse se produire le plus rapidement possible.
Nous défendons quatre priorités.
La première concerne le montant. Les États-Unis, la Chine et l'Allemagne elle-même prévoient à ce stade des fonds de relance massifs. L'Europe ne peut se placer elle-même en situation de déséquilibre ou de désavantage.
Deuxième priorité : chercher à financer l'investissement et à rester compétitifs en cohérence avec l'agenda vert ou les activités numériques. Le but est de préparer l'avenir, de protéger notre capacité à exporter et de faire en sorte que la consommation des citoyens et des entreprises soit basée sur la production européenne afin de ne pas perdre en compétitivité. Il nous faudra naturellement soutenir les secteurs les plus touchés - aérien, automobile - qui, si nous ne les relançons pas par l'investissement, ne seront plus en capacité d'être compétitifs.
Troisième priorité : le mode de financement. Nous cherchons à agir vite et massivement. Nous pensons pouvoir nous appuyer sur le budget européen, les garanties des États ou les ressources propres pour lever de l'argent sur les marchés financiers et obtenir ainsi un effet très en amont. C'est pourquoi l'endettement commun, avec des modalités à définir, est une option que nous défendons.
Quatrième priorité : l'utilisation du budget pluriannuel de l'Union européenne, encore en négociation. Il nous semble important de rendre le fonds de relance et le budget cohérents. Ce fonds de relance constitue une poche d'argent. Il serait intéressant que le budget de la zone euro ou la politique de cohésion contribuent à le déployer. Il est très important de renforcer les outils les plus efficaces. Il faut donc établir une connexion entre le budget lui-même, qu'il nous faut renforcer notamment dans le domaine agricole et celui de la défense, et le fonds de relance, qui peut utiliser les canaux déjà existants dans le budget européen.
Les discussions d'hier ont ouvert toutes ces possibilités. Nous allons continuer à y travailler dans les prochaines semaines avec la Commission européenne, l'Eurogroupe, ainsi qu'avec Charles Michel et les chefs d'État ou de gouvernement.
Nous cherchons à préserver les trois impératifs que sont l'ambition, la solidarité, et l'effet de levier. Nous ne voulons pas d'un accord au rabais.
Il existe encore des désaccords - c'est normal -, mais je suis relativement optimiste. Nous n'avons pas le choix si nous voulons être crédibles. La solennité des discussions qui ont eu lieu hier montre bien que nous devons avoir un dialogue technique sur les meilleurs outils et sur la façon de rembourser les sommes qui auront été levées.
Vous l'avez dit, ce système ne peut reposer que sur des prêts. Les pays qui en ont le plus besoin risquent de se retrouver, à terme, avec des remboursements trop élevés.
Je voudrais, pour conclure, aborder deux sujets qu'on ne peut mettre de côté.
Le premier concerne le respect de l'État de droit et des libertés fondamentales. Les mesures d'urgence sont légitimes, la situation étant exceptionnelle, mais nous ne voulons pas que ces mesures mettent en danger les valeurs fondamentales de protection des citoyens contre des jugements ou des positions arbitraires.
C'est pourquoi nous cherchons à soutenir autant que possible les efforts de la Commission européenne autour du commissaire Reynders, pour qu'elle puisse examiner les mesures d'urgence prises par les États membres.
J'ai demandé hier que le Conseil des affaires générales, où je siège, soit régulièrement informé du suivi de ces mesures, de leur mise en oeuvre et que la discussion puisse rapidement s'engager sur le sujet si des manquements sont constatés.
Par ailleurs, comme le Président de la République nous y a invités, au niveau national comme au niveau européen, nous devons réfléchir à l'après-crise et à la refondation européenne. Ce que nous vivons ne peut être qu'une simple parenthèse. Les citoyens européens ne le vivent pas comme tel, nous le voyons bien. Une réflexion stratégique s'impose.
La conférence sur l'avenir de l'Europe, que la France a initialement proposée, offre un cadre à une réflexion sur nos compétences, nos modes de décision, notre souveraineté et sur la façon d'être plus solidaires et réactifs en y associant les citoyens, qui demandent plus d'Europe.
Ce qui compte, c'est que nous puissions avancer rapidement, pour montrer à nos concitoyens que l'Europe n'esquivera pas le débat d'après-crise, mais qu'elle cherche avant tout à être utile. C'est plus un débat sur l'utilité et la crédibilité de l'Europe que nous devons lancer plutôt qu'un débat existentiel, qui peut rester très conceptuel et très détaché de la vie quotidienne. Le « monde d'après » doit se construire avec les citoyens et, bien sûr, avec les représentants que vous êtes.
Quant à l'Afrique, monsieur le sénateur Poniatowski, il s'agit d'une priorité que nous portons au niveau national mais également à l'échelon de l'Union européenne, avec nos partenaires africains et l'ensemble de la communauté internationale. Vous l'avez vu hier, les chefs d'État ou de gouvernement se sont mis d'accord sur une aide renforcée à hauteur de 16 milliards d'euros. Le but est d'avoir une action en matière sanitaire, humanitaire, économique et en matière de recherche. Nous devons en effet inclure le continent africain dans le développement d'une protection à long terme contre le virus.
Il est très important d'adopter un consensus sur la nécessité d'un fonds de relance qui puisse agir rapidement et massivement, face à une crise qui nous surprend tous et qui demande des réponses très créatives.