Intervention de Amélie de Montchalin

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 avril 2020 à 10h00
Institutions européennes — Échange avec mme amélie de montchalin secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes à la suite du conseil européen du 23 avril 2020 par téléconférence

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État :

Monsieur Gattolin, le filtrage des investissements étrangers est en effet déterminant. Les mesures qui sont décidées nous semblent suffisantes. La Commission européenne a encouragé tous les pays à les mettre en oeuvre dès à présent, ce que la France fait pour sa part.

Nous avons, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR) qui a été approuvé hier en commission mixte paritaire, validé le fait que la France mette de l'argent sur la table pour pouvoir prendre des participations dans des entreprises considérées comme stratégiques. Nous défendons l'idée qu'il convient d'interdire les participations étrangères dans les actifs stratégiques et de permettre aux Européens de prendre des positions dans ces entreprises. Si celles-ci ont besoin d'argent, il faut en effet qu'elles le trouvent quelque part. Ce règlement est une étape majeure pour protéger notre autonomie et notre souveraineté.

Madame Garriaud-Maylam, s'agissant des équipements médicaux, des médicaments, de la sécurité sanitaire et de la coordination en cas de seconde vague, les enjeux sont à présent considérés comme stratégiques. La Commission européenne propose aujourd'hui des achats groupés de matériels, ainsi que la mise en oeuvre d'une réserve stratégique d'équipements médicaux. Elle achètera pour le compte des États un certain nombre d'équipements qui seront ensuite répartis sur le territoire comme des réserves pouvant notamment servir en cas de crise sanitaire, car nous voyons bien aujourd'hui les manquements et les leçons à tirer de ce qui s'est passé. Ce sont là les prémisses de ce qui nous permettra de réagir ensemble à court ou moyen terme.

Concernant le Brexit, à propos duquel j'ai eu ces derniers jours encore des échanges avec Michel Barnier, les discussions se poursuivent dans un cadre qui, compte tenu de la pandémie, n'était pas initialement celui qui était prévu. Nos priorités européennes demeurent inchangées, je le répète.

Nous pensons qu'il ne peut y avoir d'accord si nous ne nous sommes pas entendus sur les conditions de concurrence entre le Royaume-Uni et le marché intérieur, les questions de gouvernance et la façon dont nous gérons les éventuels manquements, la question de la pêche et, plus largement, les conditions commerciales. Les Vingt-Sept partagent l'idée qu'il ne peut y avoir d'accord sans tout cela. Notre position reste ferme. Les travaux consistent à comparer les textes juridiques qui ont été produits de part et d'autre. Michel Barnier, au cours du Conseil affaires générales auquel je participais mercredi, a demandé que nous puissions être informés de la conduite de ces négociations afin de pouvoir donner des orientations politiques si les choses n'avancent pas comme nous le souhaitons. La négociation est certes importante, mais ce sont les Britanniques qui en ont la clé. Il est nécessaire que nous donnions leur chance aux négociations, car on risque un choc supplémentaire lié au Brexit dans le contexte actuel de la crise. Les Britanniques sont probablement ceux qui en souffriraient le plus. Je rappelle que l'accord de retrait qui a été adopté protège beaucoup de secteurs. Il reste un enjeu en matière de pêche, à propos duquel nous avons une position très ferme.

Enfin, s'agissant des migrations, question qui fait le lien avec celle de Mme Jouve, nous travaillons très activement avec la Grèce pour lui apporter toute l'aide possible en matière de gestion de la situation migratoire, notamment sur les îles. Nous continuons à travailler avec la Commission européenne et le commissaire Schinás sur la préparation du nouveau pacte migratoire qui aurait dû être dévoilé dans les tout prochains jours si l'épidémie ne nous avait pas touchés. Nous voyons bien l'importance d'une véritable solidarité et la nécessité de coordonner nos moyens. Il ne s'agit ni d'être une forteresse ni d'ouvrir totalement nos frontières, mais il faut que nous puissions nous organiser, notamment en termes humanitaires, pour accueillir les migrants dans de bonnes conditions et combattre autant que possible toutes les filières migratoires illégales, alors qu'il existe des voies officielles pour l'immigration économique vers l'Europe.

Monsieur le sénateur Collin, vous m'avez interrogé sur l'endettement et la meilleure façon de convaincre nos partenaires de lever de l'argent pour bénéficier d'une capacité d'investissement maximale à court terme.

Le budget européen offre un certain nombre de possibilités pour le faire. C'est là un élément rassurant pour nos partenaires, qui voient que la méthode communautaire, reposant sur un contrôle par le Conseil et le Parlement européen, peut constituer une voie de compromis pour avancer dans un cadre plus organisé.

La Commission européenne propose de lever elle-même de l'argent dans un cadre communautaire qui ne soit pas un fonds dédié, mais qui puisse inclure les transferts vers les États les plus touchés. Cette capacité d'investissement et d'action rapide nous semble intéressante.

Notre proposition initiale présente des avantages, mais aussi des inconvénients. L'un d'eux réside dans le fait que la ratification des 27 parlements est nécessaire pour créer un tel mécanisme, qui constituerait un nouvel instrument, ce qui demande du temps. C'est pourquoi le budget européen présente le double avantage d'apporter des garanties de contrôle, de supervision et de prévisibilité, et de permettre d'aller plus vite.

Je ne commenterai pas ici la politique monétaire de la BCE. Ce qui compte pour la France, c'est sa capacité d'action massive. Elle a permis de maintenir un écart entre les taux de financement qui reste gérable. Bien sûr, nous aimerions que l'Italie puisse se financer dans des conditions les plus avantageuses possible étant donné la situation économique. C'est pourquoi nous soutenons l'action de la BCE, qui a pris par ailleurs des mesures très importantes sur l'élargissement des titres éligibles en collatéral dans les opérations de refinancement des banques. Ce sont des mesures très ambitieuses, qu'il faut soutenir.

Enfin, les fonds structurels constituent en effet un mécanisme de diffusion important de l'action européenne. Je rappelle que je me suis personnellement engagée à simplifier l'accès de notre pays à ces fonds européens, sous le contrôle des autorités de gestion que sont les régions mais aussi de l'État. Les procédures actuelles génèrent beaucoup de complexité. Nous réalisons actuellement, avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires, dans le cadre d'une mission d'inspection placée sous l'autorité du Premier ministre, un énorme travail avec les régions et les autorités de gestion afin de simplifier l'accès à ces fonds. Ils étaient utiles avant, ils le sont encore plus aujourd'hui, les instruments de relance et de soutien économique au développement des territoires étant plus que jamais nécessaires.

Madame Jouve, concernant les questions de dépendance vis-à-vis de puissances extérieures à l'Union européenne, je tiens à être ici extrêmement claire : la Chine a demandé à l'Union européenne son soutien fin janvier-début février parce qu'elle manquait d'équipements de protection médicaux au moment où elle a été frappée par la crise. Nous avons pleinement joué le jeu de la solidarité internationale.

En retour, nous avons eu, à un moment donné, besoin de soutien, les stocks d'équipements médicaux s'étant trouvés sous tension. Nous avons considéré cet acte de solidarité comme un acte de réciprocité.

Bien sûr, la solidarité aurait pu et aurait dû s'exprimer plus massivement. Encore faut-il en avoir les moyens. Toute l'ambition que nous portons est de pouvoir relancer une production, des réserves stratégiques, au niveau national et au niveau européen, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour pouvoir faire preuve de solidarité.

Il est vrai que nous n'avons pas eu la capacité d'appuyer l'Italie à un moment donné, mais nous avons ensuite activé tous les mécanismes européens. C'est pourquoi l'avancée sanitaire dont vous parlez est au coeur de nos ambitions.

Comment y parvenir ? C'est la question que pose Yannick Vaugrenard. L'équipement médical est au nombre des secteurs que nous cherchons à développer dans le cadre de la relance, par le biais de fonds européens, nationaux, et aussi privés.

M. Vaugrenard m'interroge également sur les ressources propres. Ce débat est plus que jamais d'actualité. Des ressources propres nouvelles sont nécessaires pour générer de vrais transferts grâce à ce fonds de relance et pour que le budget européen puisse jouer un rôle dans de nombreux domaines, alors que les moyens de tous les États sont limités.

Nous soutenons la taxe sur les transactions financières, ainsi qu'un mécanisme carbone aux frontières qui puisse à la fois assurer une plus grande compétitivité des biens produits et surtout une plus grande efficacité sur le plan climatique. C'est aussi une source de financement évident pour la transition écologique et, plus largement, pour les ambitions européennes. Nous soutenons également le principe d'une taxe sur le plastique et le fait que l'Emission Trading Scheme (ETS) puisse servir de source financement.

Sur le plan de la coopération et de la coordination fiscale, la France joue un rôle moteur. Les annonces faites par Bruno Le Maire dans le cadre du PLFR à propos du fait que nous n'octroierons pas d'aides publiques aux entreprises qui ne jouent pas le jeu fiscal et qui ont des établissements dans les paradis fiscaux sont cohérentes en ce sens.

Enfin, Christine Lavarde m'a demandé ce que nous allions financer avec le fonds de relance. Nous allons financer à la fois le redémarrage des secteurs les plus durement impactés, un plus large verdissement d'un certain nombre d'activités et une numérisation plus importante de certains secteurs.

Ce fonds de relance nous permettra aussi de financer des investissements qui garantiront notre compétitivité en matière de recherche et d'infrastructures, afin d'abaisser les coûts de production, mutualiser nos moyens et ainsi continuer à vendre aux Européens tout en exportant.

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