Monsieur Rapin m'interroge sur le MES et les conditionnalités.
Ce qui comptait pour nous, comme pour l'Italie et pour beaucoup de pays, c'était de ne pas mettre en place une conditionnalité ad hoc. Aujourd'hui, la conditionnalité porte sur le respect des règles européennes. Cela va de soi puisque, a priori, lorsqu'on fait partie de l'Union européenne, on respecte les règles européennes.
Le MES permet en effet une forme de mutualisation de la dette, avec un effet de levier : les garanties sont mises en commun pour permettre de lever de la trésorerie à destination des États. Néanmoins, il repose sur un système de prêts et un remboursement par l'État bénéficiaire. Son intérêt est d'offrir à des pays dont l'accès au marché financier est détérioré une capacité de refinancement à de meilleurs taux, mais sans transfert. C'est plus une ligne de survie qu'un réel mécanisme de solidarité. C'est pourquoi nous cherchons à aller plus loin.
Votre remarque au sujet du populisme dans certains pays qui n'auraient pas bénéficié de suffisamment de solidarité, mais également dans ceux qui pourraient considérer que cette solidarité est imposée, est très pertinente. La Chancelière Merkel a toutefois souligné que l'Allemagne ne pouvait aller bien que si l'Europe allait bien.
Ce débat politique est une étape importante pour rentrer dans une discussion plus technique respectant la demande des uns et des autres, notamment de la Finlande, et permettant de convenir d'un calendrier pour le plan de relance. Le temps que nous nous donnons est essentiel pour trouver un compromis respectant les sensibilités nationales. C'est là toute la complexité de l'Europe. La meilleure réponse à apporter aux populistes est de construire des solutions efficaces qui soient le fruit d'un compromis respectant les nécessités de chacun.
Monsieur le sénateur Poadja, vous m'avez interrogée sur la souveraineté. En France, l'autonomie stratégique est considérée comme une nécessité depuis bien longtemps. Nous savons, parce que nous sommes une puissance nucléaire et que nous siégeons au Conseil de sécurité des Nations unies, qu'il est nécessaire de faire entendre plus fortement la voix de l'Europe. Quand le Président de la République en parlait il y a trois ans, ce thème était considéré comme une lubie française. Nous avons franchi hier une grande étape : la Commission européenne a en effet été mandatée par l'ensemble des chefs d'État ou de gouvernement pour proposer des actions concrètes pour résorber les poches de dépendance là où elles existent. Il faut cependant être vigilant sur la mise en oeuvre et avoir les moyens de le faire. Il faut être dans la réalité et non dans l'habillage.
Dans quels domaines cherchons-nous à prendre des mesures ? D'abord dans celui des investissements stratégiques, mais aussi dans celui de la sécurité alimentaire, des équipements médicaux, des médicaments, de certains biens sur lesquels nous voulons définir nos propres normes, comme la 5G, dans le respect du règlement général pour la protection des données (RGPD). Nous avons réussi, peut-être parce que la crise a agi comme un révélateur, à convaincre nos partenaires qu'il en allait de notre crédibilité et de notre utilité, dans un monde où la Chine et les États-Unis ne se privent pas d'imposer leurs normes.
Madame la sénatrice Goulet, je ne reviendrai pas ici sur les discussions qui ont eu lieu en CMP. Il serait malvenu que l'exécutif commente le travail des parlementaires.
Pour ce qui est de l'évasion fiscale, la France a beaucoup oeuvré au sein de l'OCDE pour que la liste des pays non coopératifs soit mise à jour régulièrement et qu'il existe une certaine cohérence à ce niveau avec les travaux de l'Union européenne. Il faut que nous arrivions à faire suivre cette voie à l'ensemble des pays qui nous entourent.
Il est important de conserver un marché intérieur. Nous parlons beaucoup de mesures de relance et d'aides d'État, et il est certain que des distorsions de plus en plus importantes pourraient voir le jour au sein du marché intérieur. L'enjeu fiscal est également un sujet où des distorsions peuvent apparaître. Il est donc important que nous continuions à travailler pour les éviter, et vous pouvez compter sur notre engagement. Je serai ravie de poursuivre cette discussion technique dès que nous pourrons nous retrouver.
Monsieur le sénateur Yung, si l'on compte ce que chaque pays a mis sur la table, c'est plus de 3 % du PIB européen et 3 000 milliards d'euros qui ont déjà été activés. Nous cherchons à mettre sur la table un volume d'environ 1 000 milliards d'euros supplémentaires au niveau européen au titre du fonds de relance. Je pense que nous pouvons y parvenir. Il faut montrer, secteur par secteur et région par région, pourquoi nous avons besoin de cet argent. Thierry Breton travaille en ce sens pour consolider tous les besoins qui remontent des différents pays.
Quant au Brexit, dont vous évoquez le report, nous n'avons pas à dicter leur conduite aux Britanniques. Néanmoins, la France essaye de trouver un bon accord, en particulier sur les questions de pêche, que nous savons extrêmement sensibles, pour assurer des conditions de concurrence loyale.
Je terminerai par les questions du sénateur Marie. La proposition espagnole tient en trois points. Nous sommes d'accord pour ce qui est du volume et de la capacité d'endettement afin de favoriser un effet de levier et une action rapide. Pour ce qui est de la durée perpétuelle des titres de dettes proposés, nous pensons qu'il y a là un point de crispation potentiel. Nous défendons donc une maturité longue qui permette d'étaler le coût de la reprise dans le temps. Il nous semble donc important de pouvoir soutenir les principes de la proposition espagnole, tout en recherchant les voies d'un compromis. Ceci permettrait de financer un véritable transfert avec une clé de remboursement qui dépend du poids économique de chacun.