Intervention de Claude Kern

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 octobre 2021 à 8h30
Union économique et monétaire — Projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le mécanisme européen de stabilité - communication

Photo de Claude KernClaude Kern, rapporteur :

Merci. En effet, le Sénat examinera aujourd'hui en séance publique le projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le MES. Dans cette perspective, il nous a semblé utile de faire un rapide bilan de son fonctionnement du MES. En pratique, je vous présenterai rapidement les origines et les modalités de fonctionnement. Puis, mon collègue Victorin Lurel vous présentera le bilan du MES et la modification qui en est aujourd'hui proposée.

Le MES a été instauré comme un fonds commun de créances destiné à pallier toute défaillance d'un État membre de la zone euro, afin de lui permettre de faire face à ses obligations financières. La création du MES est d'ailleurs intimement liée à la crise des dettes souveraines qui a frappé la zone euro il y a plus de dix ans, à la suite de la crise bancaire de 2008.

À l'époque, la situation économique et financière de la Grèce était très dégradée en raison du niveau très élevé de sa dette et de son déficit publics. Mais, au-delà de ce seul cas, dans l'ensemble de la zone euro, la crise était principalement une «?crise autoréalisatrice?», pour reprendre une expression de notre regrettée collègue Nicole Bricq, alors rapporteur de la commission des finances : en effet, les craintes des investisseurs sur le possible défaut de certains États membres de la zone euro dans le remboursement de leurs emprunts avaient suscité une forte augmentation de leurs taux d'intérêt. Cette augmentation renforçait à son tour les craintes des investisseurs, ce qui conduisait la hausse des taux à s'auto-entretenir.

Début 2012, les taux d'intérêt à dix ans atteignaient en effet 35 % pour la Grèce, 12 % pour le Portugal, 7 % pour l'Irlande et 5 % pour l'Espagne et l'Italie. Il devenait donc impossible pour ces États d'accéder aux marchés de capitaux afin de financer leurs politiques publiques par le recours à l'emprunt. Le risque d'un effondrement du système bancaire et de la zone euro n'était pas nul.

Dans ce contexte, la Banque centrale européenne (BCE) ne pouvait pas jouer le rôle de « prêteur en dernier ressort » auprès des États membres en difficulté. L'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) l'en empêche. L'Allemagne s'opposait fermement à toute évolution sur ce point.

Des solutions avaient pourtant été mises en place dans l'urgence, en 2010. Le premier instrument mis en place était le Mécanisme européen de stabilité financière (MESF), un dispositif communautaire fondé sur l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et initialement doté de 60 milliards d'euros. Son assistance financière à un État membre prenait la forme d'un prêt ou d'une ligne de crédit. Il a été utilisé pour venir en aide à l'Irlande, au Portugal et à la Grèce.

Le second instrument était le Fonds européen de stabilité financière (FESF), dispositif intergouvernemental, qui avait une capacité de prêt de 440 milliards d'euros mais qui, non doté en capital, devait se financer sur les marchés de capitaux avec les garanties des États membres participants. Il a toutefois accordé des prêts à l'Irlande (de 2010 à 2013, pour un montant de 17,7 milliards d'euros), au Portugal (de 2011 à 2014, pour un montant d'environ 26 milliards d'euros) et surtout à la Grèce (141,8 milliards d'euros).

Au regard de l'ampleur de la crise cependant, ces solutions demeuraient insuffisantes : leur capacité de financement demeurait trop faible et la possibilité pour le FESF de lever des fonds dépendait de la solidité financière des États participants, évaluée par les agences de notation. Or, celle-ci se dégradait rapidement, augmentant la réticence des investisseurs à participer au dispositif.

Afin de rassurer les marchés et d'éviter un effondrement du système bancaire de la zone euro, le Conseil européen des 16-17 décembre 2010 décida donc de créer le Mécanisme européen de stabilité (MES) : « [Le Conseil européen] a décidé que le traité devait être modifié afin que les États membres de la zone euro mettent en place un mécanisme permanent pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble (mécanisme européen de stabilité). » Le traité instituant le MES a été signé par l'ensemble des États membres de la zone euro le 2 février 2012 et est entré en vigueur le 27 septembre 2012. En pratique, le MES a donc remplacé le MESF et le FESF, qui continuent cependant d'exister juridiquement.

Le MES peut être qualifié d'organe de gestion de crise de la zone euro puisque son objectif premier est de garantir la mobilisation de fonds pour faire face à une éventuelle défaillance de l'un de ses membres et éviter toute propagation de la crise au reste de la zone euro. Il est parfois qualifié de « FMI européen » car il peut, à des taux plus faibles que sur le marché, accorder des prêts à un État en difficulté. Il peut aussi acheter des obligations des États membres bénéficiaires (sur le marché primaire ou sur le marché secondaire) et est en mesure d'accorder une assistance financière préventive, sous la forme de lignes de crédits. Il a également la possibilité d'octroyer des prêts pour assurer la recapitalisation d'établissements financiers. Enfin, il peut conclure des arrangements avec les institutions financières, en particulier le Fonds monétaire international (FMI), ce dernier pouvant être associé aux plans d'aide accordés à un État membre et impliquant soutien financier et expertise technique pour évaluer la situation de l'État concerné.

Pour mettre en oeuvre ses actions de soutien, le MES dispose en premier lieu, d'une capacité propre de 80 milliards d'euros, immédiatement disponible et en second lieu, de 620 milliards d'euros de capital exigible de ses États membres, selon une quote-part (27,12 % pour l'Allemagne, soit un peu plus de 189 milliards d'euros ; 20,39 % pour la France, soit 140 milliards d'euros ; 17,92 % pour l'Italie, soit environ 111 milliards d'euros).

Le MES dispose ainsi d'un capital de 700 milliards d'euros et d'une capacité de prêt de 500 milliards d'euros.

Enfin, le MES est basé à Luxembourg et est une « institution financière internationale » fondée sur un traité intergouvernemental. Il est donc régi non pas par le droit de l'Union européenne mais par le droit international public. Il est dirigé par un conseil des gouverneurs, composé des ministres des Finances des États membres, et administré par un conseil d'administration (dont chaque membre est désigné par un gouverneur) ainsi que par un directeur général, nommé pour cinq ans renouvelables. Depuis 2012, il s'agit de Klaus Regling.

Quelles sont les conditions permettant à un État de bénéficier de l'aide du MES ? En premier lieu, l'État aidé doit être membre de la zone euro. En deuxième lieu, cet État doit avoir ratifié le traité instaurant le MES et avoir souscrit aux engagements du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), appelé aussi « Pacte budgétaire européen ». Signé en mars 2012 et en vigueur depuis décembre 2012, ce dernier a renforcé la discipline budgétaire des États membres en leur imposant une « règle d'or budgétaire », selon laquelle la situation budgétaire des administrations publiques doit être en équilibre ou en excédent. Pour rappel, cet équilibre est considéré comme atteint si le déficit structurel de l'État concerné, c'est-à-dire le solde budgétaire corrigé des variations de la conjoncture, ne dépasse pas l'objectif à moyen terme qui lui est propre, dans la limite de - 0,5 % du PIB pour les États membres dont la dette publique excède 60 % du PIB (et de - 1 % pour les États membres dont la dette publique est inférieure à 60 % du PIB). En troisième lieu, le soutien financier du MES à un État est subordonné à une stricte conditionnalité, qui peut prendre la forme d'un programme d'ajustement macroéconomique prévoyant des actions de lutte contre les déficits publics, de renforcement des règles de gestion des risques financiers ou de restructuration du secteur bancaire.

Lorsque le MES reçoit la demande d'assistance formulée par un État, la procédure est la suivante : la Commission européenne, en lien avec la BCE, évalue la soutenabilité de sa dette publique, ses besoins de financement et le risque encouru pour la stabilité financière de la zone euro. Le Conseil des gouverneurs du MES décide alors d'octroyer ou non une aide financière à l'État concerné. Il adopte sa décision en principe à l'unanimité mais peut le faire à la majorité qualifiée de 85 % des votes, en cas de danger pour la viabilité de la zone euro. Pour ces votes, chaque gouverneur dispose d'un nombre de voix proportionnel à sa contribution financière au MES. Ainsi, l'Allemagne, la France et l'Italie disposent de facto d'un droit de veto en cas de vote à la majorité qualifiée. La Commission européenne négocie ensuite les modalités de la conditionnalité dont est assorti ce soutien financier. Enfin, le Conseil des gouverneurs adopte le montant et le type de l'assistance financière retenue.

Pourquoi modifier le MES ?

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