Intervention de Victorin Lurel

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 octobre 2021 à 8h30
Union économique et monétaire — Projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le mécanisme européen de stabilité - communication

Photo de Victorin LurelVictorin Lurel, rapporteur :

Son bilan n'est pas négligeable. En pratique, plusieurs États membres ont été soutenus par les programmes : Chypre (entre 2012 et 2016, avec l'octroi d'un prêt de 9 milliards d'euros), l'Espagne (de 2012 à fin 2013, avec l'octroi de prêts d'un montant total de 41,3 milliards d'euros) et la Grèce (qui a bénéficié en fait, de trois programmes d'aide, d'abord, dans le cadre du mécanisme ad hoc de prêt à la Grèce en 2010 (110 milliards d'euros), puis dans le cadre du FESF en 2012 (environ 172 milliards d'euros) et enfin, dans le cadre du MES en 2015 (61,9 milliards d'euros). Ces programmes ont permis à ces trois États de restructurer leur secteur bancaire, de retrouver l'accès au financement par les marchés de capitaux et de renouer avec la croissance économique. Toutefois, les efforts demandés à la Grèce, dont la situation était la plus fragile, ont été très douloureux (diminution de 25 % des effectifs de la fonction publique, baisse de 30 % du montant des salaires dans la fonction publique) et ont engendré de multiples contestations. En outre, comme l'a démontré la Cour des comptes de l'Union européenne dans un rapport établi en 2017, plusieurs faiblesses dans l'élaboration et la conduite des programmes d'ajustement par la Commission européenne ont été lourdes de conséquences, retardant le retour de la Grèce sur les marchés pour se financer (ainsi, l'absence d'inscription de ces programmes dans une stratégie plus large pour le pays et de hiérarchisation des conditions à respecter). En revanche, l'action du MES stricto sensu a été reconnue comme déterminante pour sauver ces États d'un défaut de financement et comme l'une des modalités du renforcement de la gouvernance économique de la zone euro.

C'est pourquoi, dès 2017, plusieurs États membres, dont la France, ont souhaité conforter le rôle du MES et la Commission européenne a présenté en décembre 2017 un paquet de réformes intitulé « Compléter l'Union économique et monétaire (UEM) ». Plusieurs objectifs étaient poursuivis.

Le premier était la mise en place d'un filet de sécurité, fourni par le MES au profit du Fonds de résolution unique (FRU). Pour rappel, l'union bancaire, mise en place fin 2014 pour casser le lien entre crises bancaires et crise des dettes souveraines, repose sur trois piliers : un Mécanisme de supervision unique (MSU), assuré par la BCE pour les plus grandes banques, qui doit veiller au bon fonctionnement du secteur bancaire et mieux anticiper les crises, un Mécanisme de résolution unique (MRU), dont l'objectif est de garantir la résolution des banques défaillantes avec le coût le plus faible pour les contribuables et l'économie, et un Système européen de garantie des dépôts (SEGD). Ce dernier demeure cependant virtuel aujourd'hui, en raison des réticences de l'Allemagne. C'est incontestablement « un angle mort » de la réforme.

Dans ce cadre de l'union bancaire, le Mécanisme de résolution unique (MRU) est constitué d'un Conseil de résolution unique (CRU), qui doit décider de la recapitalisation ou de la liquidation d'une banque en cas de crise, et d'un Fonds de résolution unique (FRU), alimenté par les contributions des établissements bancaires. Ce fonds peut être mis à contribution lorsque le renflouement d'une banque par ses actionnaires et créanciers (bail-in) est insuffisant. L'adossement d'un filet de sécurité fourni par le MES est apparu pertinent pour renforcer la crédibilité des mesures prises par le Conseil de résolution unique et compléter la capacité financière du FRU.

Les autres objectifs poursuivis étaient respectivement l'accélération du processus décisionnel dans certaines situations d'urgence, la volonté d'une participation plus directe du MES à la gestion des programmes d'assistance financière et la possibilité d'élaborer de nouveaux instruments financiers.

Enfin, la Commission européenne souhaitait également « recommunautariser » le MES, afin de le transformer en « Fonds monétaire européen ».

Si cette dernière proposition a finalement été écartée, les travaux de révision du traité sur les autres pistes ont eu lieu au sein de l'Eurogroupe, en 2018 et 2019. Un accord sur ce dossier a été trouvé à l'Eurogroupe le 14 juin 2019, et le traité sur le MES révisé a ensuite été signé les 27 janvier et 8 février derniers.

L'accord modifiant le traité instituant le MES comprend quatre dispositifs principaux. Il prévoit tout d'abord la mise en place du filet de sécurité déjà évoqué et destiné à consolider l'action du Fonds de résolution unique (FRU). Cette réforme était attendue depuis plusieurs années. Les États membres sont d'ailleurs convenus de sa mise en oeuvre anticipée dès le 1er janvier 2022, ce qui paraît toutefois très optimiste. Grâce à ce filet de sécurité, le MES sera en capacité d'octroyer des prêts au Conseil de résolution unique (CRU), pour un montant maximal de 68 milliards d'euros. Ce faisant, il renforcera la résistance et la crédibilité de la résolution bancaire en complétant les moyens financiers déjà disponibles au sein du Fonds de résolution unique (FRU), qui doit atteindre, en 2024, 1 % des dépôts couverts du secteur bancaire de l'Union bancaire (soit environ 75 milliards d'euros).

J'attire toutefois votre attention sur la rigidité de la procédure d'urgence de mise en oeuvre de ce « filet de sécurité » : le traité prévoit en principe que cette procédure est enclenchée par une décision du conseil d'administration du MES à l'unanimité. Cette décision peut être prise à la majorité qualifiée de 85 % en cas de menace pour la viabilité économique et financière de la zone euro. Cette simplification des modalités de vote en cas d'urgence était une demande française. Elle a initialement suscité une forte opposition de l'Allemagne et un compromis a dû être trouvé : la procédure de vote à la majorité qualifiée ne peut être utilisée que deux fois. Au-delà, cette possibilité sera suspendue et ne pourrait être réactivée que par un vote à l'unanimité des ministres de l'Économie et des Finances de la zone euro.

L'accord révisé prévoit ensuite une flexibilisation des instruments de précaution, avec la création d'un nouvel outil, la ligne de crédit de précaution assortie de conditions. Cet outil, destiné aux États faisant face à des difficultés financières mais qui, jusqu'alors, ont respecté des critères attestant de caractéristiques économiques et financières saines, permettra au MES d'accorder une aide financière à l'un de ces États sans que cette aide financière soit conditionnée à la signature d'un accord précisant les réformes structurelles à mettre en oeuvre (Memorandum of Understanding). En revanche, l'État aidé devra, ex ante, respecter des critères d'éligibilité attestant d'une situation macroéconomique et financière saine : respect des critères budgétaires quantitatifs du Pacte de stabilité et de croissance pendant les deux années qui précèdent la demande d'assistance, absence de déséquilibres excessifs et de vulnérabilité du secteur financier, solde extérieur viable et accès sans entrave aux marchés de capitaux.

Le troisième apport de l'accord pour un MES révisé est l'accroissement du rôle et de l'indépendance du MES et la clarification de la répartition des compétences avec la Commission européenne. Ainsi, le MES sera associé à certaines actions aujourd'hui dévolues à la seule Commission européenne (comme l'analyse de la soutenabilité de la dette d'un État ou la négociation de la conditionnalité et le contrôle de son respect) et il vérifiera seul si l'État soutenu sera capable de rembourser l'assistance financière octroyée. À cette fin, un protocole de coopération serait établi entre le MES et la Commission européenne.

Enfin, le quatrième apport important de la réforme est la mise en place d'un dispositif facilitant la restructuration des dettes souveraines. L'accord prévoit en effet une nouvelle règle de vote en cas de restructuration de la dette publique d'un État membre : en pratique, les votes pourront avoir lieu à la majorité simple et non plus à la majorité qualifiée. En outre, l'introduction, dans les titres de dette d'État, de clauses prévoyant un «?vote à agrégation à seuil unique?» pour les titres de maturité supérieure à un an, simplifiera le processus de restructuration en permettant la restructuration de plusieurs lignes d'obligations par un seul vote de l'ensemble des détenteurs de titres. Ce faisant, cette réforme vise à écarter tout risque de constitution d'une minorité de blocage par certains «?créanciers récalcitrants?», lors du vote sur une ou plusieurs lignes. Enfin, le MES se verra confier un rôle de facilitateur entre l'État concerné et ses créanciers privés, sur une base volontaire, informelle et confidentielle.

Pour conclure, je souhaite souligner qu'il est très probable que le MES révisé soit mis en oeuvre avec retard. En effet, alors que la mise en place du filet de sécurité est souhaitée par les États membres dès le 1er janvier 2022, le calendrier théorique d'entrée en vigueur de la réforme ne semble pas réaliste. D'une part, la phase de ratification de l'accord par les Parlements nationaux a pris du retard. À ce stade, six États membres seulement ont déposé leur instrument de ratification et dans quatre États membres (Chypre, Estonie, Italie et Portugal), aucun texte de ratification n'a été présenté par le gouvernement. Or, l'Italie est l'un des acteurs majeurs du MES.

D'autre part, la loi autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le MES fait actuellement l'objet d'un recours devant le Tribunal constitutionnel allemand. Cela n'est pas une surprise, mais en 2012, le traité instituant le MES avait également fait l'objet de divers recours devant ce Tribunal et l'avenir de la zone euro avait été dépendant de cette décision. Finalement, le Tribunal avait validé la constitutionnalité du MES, tout en encadrant le montant de la participation de l'Allemagne au mécanisme, précisant que ce dernier ne pouvait pas être modifié sans consultation préalable de la Chambre des députés (le Bundestag).

Selon les informations à notre disposition, la ratification du présent accord devrait être plus aisée, mais il nous faut rester prudents. En effet, le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, dans plusieurs décisions, a rappelé qu'il pouvait écarter une norme européenne contredisant la primauté de son identité constitutionnelle, et il a récemment considéré que la BCE et l'Union européenne avaient outrepassé leurs compétences, dans son jugement du 5 mai 2020 évoqué la semaine dernière devant notre commission par notre collègue Philippe Bonnecarrère.

Malgré ce retard, le MES révisé est en bonne voie. Nous pouvons nous féliciter qu'il constitue une nouvelle étape dans le renforcement de la stabilité économique et financière de la zone euro, puisqu'il dote cette dernière d'une «?arme nucléaire?» destinée à dissuader les attaques spéculatives.

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