Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 octobre 2021 à 8h30
Politique commerciale — Nouvelle stratégie pour la politique commerciale de l'union européenne - communication et avis politique

Photo de Didier MarieDidier Marie, rapporteur :

Merci Monsieur le Président. Le projet que nous vous soumettons ne répond pas point par point aux quinze questions posées par la Commission européenne dans le cadre de sa consultation publique, mais il vise à affirmer ou à réaffirmer parfois certaines positions politiques de notre commission. Je voudrais insister sur quelques points.

Le projet souligne ainsi, au point 29, que l'Union européenne forme le plus grand bloc commercial du monde et dispose d'un important réseau d'accords commerciaux, ce qui lui permet notamment, sous réserve qu'elle s'en donne effectivement les moyens, d'assurer la mise en oeuvre de ses normes, de ses valeurs et de ses cadres de durabilité, mais aussi d'utiliser la politique commerciale en appui de ses objectifs géopolitiques. Il affirme également au point suivant que le commerce mondial et ses chaînes de valeur intégrées sont un moteur de croissance essentiel de l'Union, mais souligne en parallèle que le marché intérieur constitue un atout fondamental dont l'intégrité doit être préservée.

Nous réaffirmons donc ici notre souhait que l'Union ne fasse pas preuve de naïveté et qu'elle mette en cohérence l'ensemble de ses politiques publiques, au service de ses intérêts, c'est-à-dire des intérêts des citoyens européens et des entreprises de l'Union qu'elle doit défendre, dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes. Tout en approuvant l'orientation générale de la Commission visant à promouvoir une politique commerciale ouverte, durable et ferme, comme nous vous l'avions indiqué en avril, nous l'appelons à en faire réellement un outil en vue de renforcer l'autonomie stratégique de l'Union européenne. Nous insistons également au point 35 sur la nécessité de garantir une concurrence loyale et des conditions de marché équitables : c'est tout l'enjeu du fameux « level playing field », qui a été au centre des négociations avec le Royaume-Uni mais qui doit être une préoccupation constante.

S'agissant de la conduite des négociations commerciales, en réponse à l'avis politique que nous lui avions adressé sur son programme de travail pour 2021, la Commission européenne nous avait rappelé que la politique commerciale commune est une compétence exclusive de l'Union. C'est certes le cas en général, mais dans les limites de la jurisprudence « Singapour » de la Cour de justice de l'Union européenne. Les accords commerciaux de nouvelle génération qui comprennent un volet investissement sont en effet des accords mixtes, qui impliquent une ratification par les parlements nationaux.

Or, quelles que soient nos sensibilités sur les enjeux relatifs au commerce international, je pense que nous pouvons partager le constat que la communication de la Commission à l'égard des parlements nationaux est largement perfectible et que sa méthodologie conduit, de fait, à une impasse dans deux accords importants : l'accord économique et commercial global avec le Canada et l'accord avec le Mercosur. Nous demandons ainsi à la Commission de s'inspirer de la méthodologie mise en oeuvre à l'occasion des négociations en vue du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, donc de mieux prendre en compte et mieux associer les parlements nationaux.

Nous considérons également que les difficultés rencontrées avec le CETA et l'accord avec le Mercosur résultent d'une évolution des sensibilités sur les questions relatives au développement durable au sens large et qu'elles imposent une amélioration du contenu des études d'impact. Nous proposons d'insister sur le volet de mise en oeuvre des accords commerciaux et en particulier, en l'espèce, des chapitres relatifs au commerce et développement durable (CDD).

La Commission a su obtenir du Vietnam et de la Corée du Sud la ratification de certaines conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail. Elle a désormais mis en place au sein de la direction générale (DG) « Commerce » un responsable européen du respect des règles du commerce. Nous affirmons qu'elle doit agir pour s'assurer du respect des engagements contractés par nos partenaires commerciaux. Nous demandons à la Commission de proposer, si nécessaire, une adaptation de son arsenal réglementaire pour permettre à l'Union de faire face aux nouveaux défis et de protéger les entreprises et les citoyens européens contre les pratiques commerciales déloyales, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Union.

Hier, la Commission a publié un rapport qui souligne une hausse des exportations de l'Union grâce au renforcement de la mise en oeuvre et de l'application des accords commerciaux et des règles commerciales mondiales. À cette occasion, Valdis Dombrovskis a mis en avant le rôle du responsable européen du respect des règles du commerce «?qui s'attache pleinement à faire appliquer et à mettre en oeuvre nos accords commerciaux ainsi qu'à veiller à ce que nos PME (...) tirent pleinement profit de nos accords commerciaux?». Il a ajouté que la Commission dévoilerait prochainement des propositions visant à défendre davantage les intérêts commerciaux de l'Union au moyen d'un nouvel instrument anticoercitif, destiné à répondre aux sanctions extraterritoriales. Ceci va indéniablement dans le bon sens.

Le projet d'avis politique appuie également une proposition formulée par la France et les Pays-Bas dans leur non-papier, en demandant d'envisager une approche graduelle et réversible dans la mise en oeuvre des chapitres CDD, en particulier sous forme de réductions tarifaires graduelles, permettant d'encourager, à partir de critères clairs, objectifs et partagés, le respect des engagements sociaux et environnementaux.

Nous soulignons par ailleurs l'importance de la mise en oeuvre de l'Accord de Paris sur le climat, qui doit être une composante essentielle des futurs accords commerciaux. Nous insistons également sur la nécessaire mise en place rapide d'un mécanisme efficace d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne, qui tienne compte à la fois des règles de l'OMC et des autres outils dont dispose l'Union, notamment le système d'échange de quotas d'émission. C'est un sujet que notre commission examinera de manière plus approfondie dans le cadre de l'analyse du paquet législatif « Ajustement à l'objectif 55 ».

S'agissant de l'OMC, nous reprenons des positions de notre commission en appelant à moderniser le fonctionnement de l'Organisation et à trouver au plus vite une solution permettant de restaurer le fonctionnement de l'Organe d'appel du système de règlement des différends. Nous formons également le voeu que la douzième conférence ministérielle de l'OMC, qui se tiendra à Genève du 30 novembre au 3 décembre, permette l'adoption d'une déclaration ministérielle ambitieuse concernant le climat.

Enfin, je voudrais apporter quelques précisions sur un point évoqué par le Président Rapin : celui des mesures miroirs, évoquées hier lors de l'audition de Clément Beaune. Nous invitons la Commission à évaluer la pertinence d'un recours plus fréquent à ce type de mesures, dans le cadre du marché intérieur et en lien avec les objectifs de la politique commerciale, sous réserve qu'elles reposent sur des données scientifiques crédibles et partagées ou sur des objectifs de politique publique légitimes et qu'elles soient définies conformément aux règles de l'OMC. Je proposerai tout à l'heure de renforcer cette rédaction en évoquant un recours plus systématique à ce type de mesures. Ce sujet sera à l'agenda de la présidence française du Conseil.

Nous savons que la mise en oeuvre de mesures miroirs, qui seraient des mesures unilatérales, doit être bien pensée et calibrée pour ne pas nous mettre en porte à faux à l'OMC. Je suis néanmoins convaincu que nous pouvons progresser dans le recours à ces mesures. La présidence française offre l'opportunité d'une prise de conscience et du lancement d'une réflexion en vue de l'élaboration d'une vraie stratégie européenne en la matière.

Lorsque nous passerons en revue le texte, je proposerai quelques suggestions de compléments pour renforcer encore la contribution.

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