Nous accueillons aujourd'hui le commissaire européen désigné par la France, Thierry Breton, qui effectue aujourd'hui et demain une visite à Paris afin de préparer la Présidence française de l'Union européenne.
Merci, monsieur le commissaire, d'avoir sollicité cette audition au Sénat devant la commission des affaires économiques et celle des affaires européennes réunies. Nous sommes très attentifs à l'impulsion que vous donnez à Bruxelles pour enclencher les évolutions dont la pandémie a démontré la nécessité : réduire les dépendances de l'Union européenne, améliorer sa résilience et orienter l'ensemble de ses politiques vers la restauration de son autonomie stratégique.
Nous nous focaliserons ce matin sur l'action que vous menez pour affirmer cette autonomie stratégique dans sa dimension économique.
D'abord, parce que cela conditionne le reste, en matière sanitaire ; vous avez oeuvré pour accélérer la production industrielle de vaccins, en identifiant les goulots d'étranglement et en créant des synergies entre les différentes entreprises européennes. Le succès est là : l'Union a produit 2 milliards de doses et en a exporté la moitié. Notre inquiétude porte sur la suite : le projet d'autorité HERA, inspirée de la BARDA américaine, est destiné à doter l'Union d'une réactivité pérenne en cas d'urgence sanitaire. Ce projet, doté d'un budget de 6 milliards d'euros, suffira-t-il à assurer la résilience de nos systèmes de santé ? La Chine et l'Inde représentent 80 % du marché mondial des principes actifs, mais nous ne pourrons pas relocaliser la production de tous nos médicaments. Comment se fera la sélection des molécules que nous devons produire sur notre sol, en veillant à ne pas se focaliser sur les produits matures, puisqu'il nous faut aussi attirer sur le territoire européen la recherche-développement et la production de médicaments innovants ?
Le deuxième sujet est l'énergie. Il s'agit du carburant de nos industries, aussi notre autonomie en la matière est-elle essentielle. Soucieux de la sécurité des approvisionnements énergétiques, les 27 se sont trouvés contraints par la flambée des prix à aborder, lors du dernier Conseil européen, des sujets plus clivants, comme le fonctionnement du marché européen de l'énergie, la place du nucléaire ou la dépendance énergétique envers la Russie. Pouvez-vous, à ce propos, nous confirmer qu'une large majorité se dessine en soutien à l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie ? Par ailleurs, comment comptez-vous renforcer le potentiel minier sur le sol européen ou améliorer les technologies de recyclage, pour remédier à notre dépendance aux métaux rares, qui sont des composants indispensables des énergies renouvelables et des batteries des véhicules propres ?
Le troisième volet de notre autonomie sur lequel je souhaite insister est l'autonomie numérique. À cet égard, notre commission des affaires européennes a adopté, la semaine passée, une proposition de résolution européenne sur la proposition d'acte sur les marchés numériques, le DMA, pour apporter son soutien à cette démarche de reconquête de notre autonomie numérique et pour proposer d'en rehausser l'ambition : mieux prendre en compte les écosystèmes des plateformes, préciser et étendre les obligations des contrôleurs d'accès, accélérer la mise en place du dispositif, et enfin y associer les autorités nationales de régulation et les entreprises utilisatrices. Nous travaillons à présent sur les moyens de renforcer l'acte sur les services numériques (DSA) également. Peut-on raisonnablement espérer voir aboutir ces textes sous présidence française, selon vous ?
Je terminerai en soulevant la question de l'articulation de votre action avec celle des autres commissaires, notamment ceux en charge de la concurrence et du commerce. Ce sont des leviers importants au service du renforcement du marché intérieur et de notre industrie. Il s'agit de les protéger contre les subventions étrangères qui faussent la concurrence, d'accompagner leur transition verte sans les disqualifier grâce au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, de les mettre à l'abri de l'extraterritorialité du droit américain et chinois. Comment abordez-vous ces enjeux qui participent au fond eux aussi de la politique industrielle ?
Je cède la parole à Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, qui souhaite aussi vous interroger sur d'autres sujets.