Intervention de David Douillet

Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage — Réunion du 14 mars 2013 : 1ère réunion
Audition de M. David Douillet médaillé olympique ancien ministre des sports

David Douillet :

C'est un honneur d'être auditionné par votre commission d'enquête, que je trouve nécessaire car beaucoup de progrès restent à faire en matière de lutte contre le dopage. Les récentes révélations de Lance Armstrong en témoignent.

Depuis les années 2000, la lutte contre le dopage s'est organisée au niveau international. En 1999 a été créée l'agence mondiale de lutte contre le dopage (AMA). Organisation indépendante, elle est composée et financée à parts égales par le Mouvement olympique et les États adhérents. Elle a vocation à développer la supervision de la conformité au code mondial antidopage, document harmonisant les règles liées au dopage dans tous les sports de tous les pays, dont la dernière version date de 2007 et dont on attend la prochaine en 2015. En outre, 150 États sont parties à la convention internationale contre le dopage dans le sport, que la France a ratifiée en 2007.

L'AMA s'appuie sur les agences nationales de chaque pays membre. En France, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a été créée par la loi du 5 avril 2006. Elle succédait au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage - auquel j'ai siégé en tant que représentant des athlètes -, alors simple autorité administrative adossée au laboratoire national de dépistage du dopage de Châtenay-Malabry, qui est un établissement public, et au ministère chargé des sports.

La lutte contre le dopage en France s'appuie d'abord sur la justice sportive. L'athlète reconnu coupable d'infraction à la législation antidopage est passible de sanctions disciplinaires que les fédérations sont compétentes pour infliger, sans préjudice de sanctions administratives décidées par l'AFLD. La loi relative au trafic de produits dopants du 3 juillet 2008 réprime en outre pénalement la détention, la fabrication, l'importation, l'exportation ou le transport de produits dopants, et facilite les échanges entre les agents participant à cette lutte - ministère des sports, police judiciaire, douanes et AFLD.

La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital (dite loi HPST) ainsi que l'ordonnance du 14 avril 2010 relative à la santé des sportifs ont enfin mis le code du sport en conformité avec le code mondial antidopage le 1er janvier 2009. La loi du 1er février 2012 relative à l'éthique du sport élargit les prérogatives de l'AFLD. En tant que ministre des sports, j'ai défendu ses dispositions, qui soumettent notamment les athlètes français à de plus stricts contrôles lors de leurs déplacements à l'étranger, et renforcent la coopération internationale. Lorsque je suis devenu ministre néanmoins, le texte avait déjà été adopté par le Sénat : je me suis efforcé à ce qu'il soit adopté conforme par l'Assemblée nationale, mais je l'aurais enrichi si j'avais pris mes fonctions plus tôt.

L'Académie nationale de médecine a publié en 2012 le résultat des 10 511 contrôles effectués cette année-là par l'AFLD : 85 % d'entre eux portaient sur des sportifs de haut niveau et seulement 2,3 % des cas ont révélé une infraction. L'Académie estime toutefois le phénomène sous-estimé. C'est sans doute exact, si l'on en juge par les révélations publiées ici ou là.

J'en viens aux difficultés actuelles de la lutte contre le dopage. Elles tiennent d'abord à la nature des produits. Malheureusement, les tricheurs auront toujours une longueur d'avance. Les industries pharmaceutiques investissent par milliards dans l'élaboration de substances destinées à soigner la population. Ces produits sont ensuite détournés afin d'améliorer les performances sportives. Cet écart, je l'ai constaté lorsque je représentais les athlètes au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, où j'ai souvent regretté que l'on n'accorde pas autant d'importance au « P » de prévention qu'au « L » de lutte. Des accords ont depuis été conclus entre l'AMA et les industries pharmaceutiques, afin que les agences nationales soient informées plus précocement de l'élaboration de nouvelles molécules susceptibles d'être détournées. Reste qu'aucune solution n'a pu être apportée concernant les petites entreprises de biotechnologie dont les secrets industriels, pourtant bien gardés, font l'objet de fuites.

La loi du 12 mars 2012 tendant à favoriser l'organisation des manifestations sportives et culturelles a introduit le passeport biologique, déjà utilisé par l'Union cycliste internationale depuis 2008 : c'est un document comprenant les paramètres urinaires et sanguins de chaque athlète. La nouvelle version du code mondial antidopage attendue pour 2015 renforcera les sanctions applicables aux cas de manquement à ses dispositions, en interdisant par exemple à l'athlète reconnu coupable de dopage aux Jeux olympiques de participer à l'édition suivante de la compétition.

Le 20 juin 2012, l'Académie nationale de médecine formulait deux recommandations qui me semblent tout à fait utiles : d'une part, autopsier tout athlète décédé des suites de son activité afin d'améliorer les connaissances des accidents liés au dopage ; d'autre part, modifier les dispositions du code mondial antidopage afin de limiter les compétences des organisations internationales aux seules grandes manifestations sportives et d'alléger le calendrier sportif.

J'ajouterai une troisième proposition : lier la lutte contre le dopage à la régulation des jeux en ligne. Les services répressifs, dont ceux de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) le reconnaissent : dans ce milieu comme dans celui de la corruption et de la triche sportive, ce sont les mêmes mafias qui sévissent. En tant que ministre, j'ai eu l'occasion de faire part de ma vision des choses à Jacques Rogge, le président du Comité international olympique (CIO) : il faut créer une autorité mondiale de lutte contre le dopage et de régulation des jeux en ligne et articuler les deux agences, pour mutualiser les moyens et rendre la prévention et la répression de ces fléaux plus efficaces.

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