Intervention de Catherine Gerst

Mission commune d'information Agences de notation — Réunion du 14 mars 2012 : 1ère réunion
Table ronde avec d'anciens salariés d'agences de notation

Catherine Gerst :

Je suis entrée chez Moody's en 1991 comme analyste spécialiste des produits structurés - titrisation, crédits hypothécaires et commerciaux en France et en Europe occidentale. Plus tard, en tant que directrice générale de Moody's France, sans avoir une connaissance aussi précise de chaque domaine, j'assistais à tous les comités. J'ai quitté l'agence en 2001. Entre 2006 et 2008, j'ai travaillé pour l'agence canadienne DBRS, qui n'est restée en Europe que deux ans : alors qu'ils déploraient depuis longtemps l'oligopole des trois grandes agences, les émetteurs prétendaient avoir déjà assez à faire avec celles-là, et s'ils acceptaient d'être évalués gratuitement, ils refusaient de changer de prestataire...

Cela fait trois ou quatre ans que l'on parle de réglementer les agences de notation. En Europe, on a pris le parti de renforcer la concurrence, mais cela aurait mérité plus ample discussion, et ce n'est pas la voie qu'ont choisie les Etats-Unis. Comme le contrôle aérien, la notation fait partie des secteurs de « sécurité » qui supportent mal la concurrence. Imaginez que deux tours de contrôle se fassent concurrence, l'une ferait atterrir vingt-cinq avions par heure même si la réglementation fixait la limite à quinze : si j'ai le choix, je préfèrerai l'autre... Les autorités européennes ont décidé de soumettre les agences à une procédure centralisée de visa : sur les vingt-cinq qui en ont fait la demande, seize ont été autorisées, dont les trois grandes, DBRS, quelques compagnies d'assurance-crédit et des inconnus, dont on ne sait comment ils ont été audités.

Suis-je pour ou contre une réglementation ? Les drafts successifs dont j'ai eu connaissance sont fondés sur un diagnostic mauvais, insuffisant ou incomplet et ne se donnent pas les moyens de traiter leur objet. Ils n'auraient rien empêché s'ils avaient été en vigueur à la veille de la crise des subprimes.

Les agences de notation ne sont sur la sellette que depuis quatre ans. Or elles existent en Europe depuis 25 ans. J'ai ouvert le bureau de Moody's en France en 1989. Le sujet n'a émergé qu'à partir du moment où les Etats ont commencé à s'endetter massivement. C'est en 1988, Pierre Bérégovoy étant ministre des finances, que le gouvernement français a fait venir les agences de notation, sans aucune contrepartie, pour soutenir les emprunts de la France à l'étranger. Depuis lors, et jusqu'il y a trois ans, les gouvernements qui se sont succédé dans notre pays et chez nos voisins européens ont été foncièrement satisfaits du comportement des agences, qui leur accordaient un triple A. Ce n'est qu'à partir du moment où des interrogations ont surgi sur cette notation que le débat a été porté sur la place publique.

Les projets de régulation sont inadaptés. Pour modifier le fonctionnement des agences, il faut changer le système dans lequel nous sommes. La puissance des agences est liée à celle des marchés de capitaux. Sans la dette des Etats, il n'y aurait plus de marchés de capitaux ! La montée en puissance de la dette en Europe a été concomitante de celle des agences de notation. Je parie que si la dette des Etats diminuait, les marchés financiers redeviendraient ce qu'ils étaient avant, des lieux d'échanges obligés, et tout se dégonflerait. On retournerait au système bancaire, la finance servant le commerce. Il y aurait des évaluateurs, dont les agences de notation. On parle de boîte noire, à propos des agences, mais personne ne lit leurs analyses, à part quelques spécialistes ! Je ne suis plus dans le métier depuis quatre ans, mais je suis toujours assaillie de coups de fil d'hommes d'affaires, de banquiers, d'hommes politiques, me demandant telle étude de Standard and Poor's, telle statistique de Moody's, parce que c'est là que se trouvent les informations. Il faudrait s'interroger sur l'importance de cette recherche. Par quoi la remplacer ? Tout le monde s'en sert, parce qu'il n'y a qu'elle ! Les agences disposent de la seule ressource utile pour les hommes d'affaires...

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