Intervention de François Veverka

Mission commune d'information Agences de notation — Réunion du 14 mars 2012 : 1ère réunion
Table ronde avec d'anciens salariés d'agences de notation

François Veverka :

Je ne crois pas du tout à une agence publique, parce que dans une situation de stress très importante, un évaluateur doit garder une totale liberté d'appréciation. S'il est soumis au FMI ou à la banque mondiale, il ne l'aura pas. En revanche, je suis favorable à une réglementation de l'activité du secteur, en faisant attention à ce que l'on veut réglementer. Fitch dégrade la note de la Grèce, cela fait la une des journaux : c'est avant tout un problème de communication ! L'avant-projet de la Commission européenne, même s'il ne l'affiche pas clairement, tendant à interdire de noter le risque souverain, ne me paraît pas aller dans le bon sens. Il faut revenir à la problématique de la concurrence et des moyens. Face à un marché de bulle, qui peut exploser, mais qui est un eldorado pour les émetteurs, les investisseurs et les agences, la tentation est forte de capter ce marché, en ne mettant pas en place toutes les ressources nécessaires pour l'analyser.

Lorsque Standard and Poor's Londres constate que le marché européen de la titrisation, qui n'a pas connu beaucoup de difficultés depuis sa création, augmente de 40 % par an depuis l'an 2000, il faut des analystes en nombre suffisant pour accompagner la croissance de ce marché.

Les subprimes existent depuis plus longtemps que ne l'a dit Catherine Gerst. La titrisation des créances hypothécaires remonte aux années Clinton. Les banques n'ont pas fourni les informations qu'elles étaient censées fournir. Tout le monde s'est emballé, personne n'a vérifié s'il y avait des hypothèques de premier rang. Au bout d'un à deux ans de dysfonctionnements, les courbes ont divergé.

La réglementation doit s'appuyer sur la transparence. Je crois à la concurrence. Sans doute ne faut-il pas aller jusqu'à 25 agences, mais elle me paraît saine. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Anouar. Je préside le comité d'audit du Crédit agricole. Les analystes bancaires des grandes agences sont très respectés des banques. Ce sont des partenaires, qui jouent un rôle très important, au-delà de la notation. Se pose le problème de l'ajustement de la ressource, face à la complexité des marchés financiers. Il n'y a pas qu'une seule catégorie d'aide. Les agences doivent être capables d'accompagner le mouvement. La concurrence est une bonne chose, elle évite les situations de confort. De nouveaux entrants peuvent déployer des méthodes différentes. C'est très bien, y compris pour les grands acteurs.

La transparence est essentielle. Les acteurs de marché non spécialistes doivent voir ce que font les agences. Beaucoup d'informations sont données. Il faut fournir les informations sur les moyens dont on dispose, donner confiance au marché, éviter la complaisance. Il convient d'éviter les oligopoles et les marchés captifs.

J'ai passé beaucoup de temps, dans les années 2000, à négocier la possibilité d'avoir suffisamment de moyens. Recruter des analystes, c'est bien. Il faut veiller aux risques, sur certains marchés, mais attention à la crédibilité et à l'image des agences sur les marchés. La note de la France est actuellement triple A avec perspective négative chez Moody's, AA+ avec perspective négative chez Standard and Poor's, mais la notation implicite des marchés, selon le prix accordé par les investisseurs aux CDS (credit default swaps) ou contrats d'assurance garantie, est triple B, équivalente à celle de l'Irlande. Cela montre que les marchés ont une opinion plus négative que les agences, dont ils estiment la notation trop favorable. Si les agences disparaissaient, les marchés financiers seraient beaucoup plus volatils.

Je me souviens de la notation de France Telecom, triple B, qui n'est pas des meilleures, mais correspond à un risque faible. L'agence a été critiquée, au motif qu'elle ne comprenait rien au soutien de l'opérateur par l'Etat, triple A. Le prix de marché s'est d'abord établi autour du double A, puis, quand le premier éclatement de la bulle internet a entraîné une désaffection pour France Telecom, l'agence a maintenu sa note triple B, alors que les prix, en 2002, correspondaient à ceux d'un émetteur pourri, au bord de la faillite ; la note est restée stable et les prix de marché ont de nouveau convergé. Les agences jouent un rôle de contrepoids de la volatilité des marchés.

Que la réglementation porte sur la transparence et supprime toute référence réglementaire aux agences de notation semble une voie plus réaliste que l'interdiction de telle ou telle activité ou la rotation à très court terme, qui rendrait les relations entre agences et émetteurs très instables. La réglementation telle qu'elle est envisagée actuellement fait fausse route. Sans doute ai-je un regard plus objectif, maintenant que je ne suis plus en agence, je ne suis pas leur lobbyiste !

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