Intervention de Philippe Mills

Mission commune d'information Agences de notation — Réunion du 14 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe Mills directeur général de l'agence france trésor

Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor :

Je suis honoré d'apporter mon témoignage devant votre mission d'information.

L'Agence France Trésor est le point de contact naturel de l'Etat avec les agences de notation. Le rôle de celles-ci est un sujet d'actualité pour tous les acteurs des marchés financiers depuis l'été 2007 ; il l'est plus encore depuis deux ans pour les émetteurs de dette souveraine en Europe et le cycle sans précédent de décisions de notation que nous avons connu, décisions généralement négatives mais dont l'impact doit être relativisé.

Dans ce contexte, la question du cadre réglementaire est posée. La législation avait déjà été renforcée après la crise des subprimes ; elle l'a été à nouveau en 2011 avec l'extension des pouvoirs de l'autorité européenne des marchés financiers -enregistrement, surveillance, contrainte- aujourd'hui effective. Un troisième document est en préparation à Bruxelles. En matière de notation souveraine, le communiqué des agences doit être publié uniquement après la clôture des marchés européens ou au moins une heure avant leur ouverture, et la notification adressée aux autorités publiques au moins 12 heures ouvrées avant publication.

Les relations de l'Agence France Trésor avec les agences de notation sont régulières, un peu sur le modèle de la procédure de l'article IV du FMI lorsque celui-ci évalue un pays. La notation de la France par les trois agences principales est « non sollicitée », comme pour la plupart des grands émetteurs souverains ; ce qui veut dire que nous ne payons pas pour être notés. Nous sommes dans une situation non contractuelle, non commerciale, et cela a toujours été le cas. Ce qui ne veut pas dire que les agences ne sont pas soumises à la réglementation européenne. Le délai de 12 heures avant publication du communiqué permet à l'émetteur de procéder à des vérifications d'ordre factuel ; il n'y a pas d'échange avec l'agence sur le projet de communiqué, celle-ci étant libre de reprendre ou non les remarques qui lui sont faites. Les agences respectent scrupuleusement ces règles.

Les agences de notation sont également libres de définir la fréquence de notation des émetteurs souverains ; pour la France, elle est annuelle. Le processus de notation fait intervenir une équipe de trois ou quatre analystes qui exploite l'ensemble des données publiques disponibles et mènent des entretiens avec les administrations économiques et financières ; c'est l'occasion d'obtenir des informations additionnelles sur certaines réformes, la stratégie budgétaire, le programme d'émission, et d'échanger sur la conjoncture. L'approche est holistique : sont prises en compte toutes les administrations publiques ainsi que les engagements dits contingents, soit la dette hors bilan de l'Etat.

L'équipe d'analystes présente ensuite son projet de décision au comité de crédit de l'agence, qui prend la décision finale ; l'équipe rédige alors le communiqué qui est adressé à l'émetteur et publié 12 heures après. Le communiqué est complété dans les semaines suivantes par un rapport qui détaille les fondements de la décision. Le ministre est informé de l'évolution du dialogue au cours de tout le processus.

Parallèlement, les agences publient des études relatives au contexte de l'évaluation ou à l'émetteur lui-même, par exemple sur le système bancaire ou l'impact du vieillissement de la population sur la trajectoire des finances publiques. Les décisions d'ampleur telle que la réforme des retraites ou un projet de loi de finances rectificative important donnent lieu à des conférences téléphoniques entre nos services et les agences.

Il faut souligner que les agences de notation notent surtout les entreprises. La notation des Etats est moins fréquente et plus stable. En 2012, Moody's notera 110 pays mais 12 000 émetteurs.

Le récent cycle de dégradations, exceptionnel par son ampleur et sa durée, a permis de tester la solidité des modèles utilisés. Les grilles d'analyse des grandes agences, comparables, même si chacune insiste sur le caractère spécifique de son approche, comportent 21 ou 22 crans et trois à cinq grandes familles d'indicateurs, niveau de performance macro-économique, situation globale des finances publiques, niveau et structure de l'endettement, capacité de résilience aux chocs financiers ou économiques, efficacité de la gouvernance institutionnelle. Dans le cas français, les trois principales agences ont toutes mis en avant la diversité de l'économie, le niveau élevé de productivité des agents économiques, le faible endettement du secteur privé et la solidité du système financier. Mais elles n'ont pas tout à fait la même philosophie de notation ; dans leurs récentes décisions concernant notre pays, elles n'ont pas tiré les mêmes conséquences d'un argumentaire en partie commun sur le problème de la gouvernance politique et budgétaire de la zone euro. Ainsi Moody's et Fitch ont placé le triple AAA de la France sous perspective négative tandis que Standard & Poor's dégradait à AA+, en mettant en avant des préoccupations un peu différentes.

En tant qu'acteurs de marché, les agences sont, surtout en période de crise, sensibles aux tendances de court terme, qu'elles doivent cependant concilier avec une approche de long terme. C'est un problème de continuité méthodologique entre les moments de notation.

La part de la subjectivité est-elle ou non importante ? Les décisions de Standard & Poor's de dégrader les Etats-Unis à l'été 2011 et la France en janvier 2012 ont pu surprendre les investisseurs, dans la mesure où les arguments invoqués - incapacité du système politique américain à adopter des mesures de redressement budgétaire efficaces dans un cas, efficacité, stabilité et prévisibilité insuffisantes de la politique et des institutions européennes dans l'autre- laissaient une certaine place à l'interprétation.

N'oublions pas que les agences sont des organisations humaines donc faillibles -voir l'erreur technique de Standard & Poor's en novembre- et non exemptes de défauts d'organisation ; s'agissant plus spécifiquement des équipes en charge des dettes publiques, on peut penser qu'elles connaissent aujourd'hui une certaine surchauffe... On peut aussi imaginer que leurs responsables aient envie de se démarquer de leurs concurrents.

S'agissant des pistes d'améliorations, la France soutient les propositions de la Commission européenne consistant à réduire la dépendance aux notations des agences, à mettre en place un régime européen de responsabilité civile et à mieux encadrer la notation des dettes souveraines en termes de transparence et de calendrier. Bien que le marché donne quelques signes d'ouverture, la France étant par exemple notée par l'agence canadienne DBRS ou l'agence japonaise JCR, 90% de l'activité demeure concentrée entre les mains des trois grandes agences. La France soutient la proposition européenne de mise en place de règles de rotation, ce qui renforcerait la concurrence ; cette mesure doit toutefois être calibrée de façon à tenir compte de façon réaliste de l'état du marché. Il faudra aussi regarder du côté de la règlementation bancaire, assurantielle et de marché, de sorte que l'avis ne résulte pas d'une norme imposée par le régulateur ; les grands acteurs de marché ont leurs propres analyses du risque.... De même, nous soutenons l'extension de la réglementation aux perspectives de notation. Nous estimons en revanche qu'il convient d'envisager avec prudence l'idée d'une substitution aux agences de notation. Je ne suis pas sûr que s'en remettre au marché serait un progrès.

Se pose aussi la question de savoir si la notation des Etats doit respecter les mêmes procédures que celles des entreprises, sujet sur lequel il n'y a pas aujourd'hui de consensus au niveau européen. Pour ma part, j'estime qu'il pourrait être utile d'encadrer la notation des dettes souveraines par la fixation d'un calendrier d'annonces, les risques d'augmentation de la volatilité des marchés à l'approche de ces dates connues à l'avance n'étant pas insurmontables. Cette solution aurait le mérite d'éviter la propagation de rumeurs entre deux dates. Il faut que les agences soient capables de s'appuyer sur des données de tendance.

S'agissant de la création d'une agence de notation européenne, si l'on ne peut que souhaiter davantage de concurrence et d'indépendance à l'égard des acteurs de marché privés, il faut être conscient des conditions qu'elle devrait remplir pour être acceptée par les marchés au même titre que les trois grandes agences historiques ; si elle n'était pas privée et indépendante, le risque existe que le marché la soupçonne de collusion avec les émetteurs souverains. Compte tenu du niveau de ces exigences, il me semble aujourd'hui préférable de mettre l'accent sur le renforcement de la réglementation, de la transparence et de la supervision.

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