Puisque vous êtes francs, madame la présidente, monsieur le rapporteur, je répondrai de la même manière. Cela nous permettra d'aller au fond des choses.
Depuis le milieu du mois de juillet, j'ai eu l'occasion de rencontrer les uns et les autres à de multiples reprises et d'exprimer la position du Gouvernement sur cette question.
Cela a commencé mi-juillet 2022 avec une question au Gouvernement, cela s'est prolongé avec la suspension des décrets d'application le 6 août et cela s'est poursuivi par une visioconférence avec de nombreux partenaires, dont certains sénateurs. Fin août, j'ai indiqué que nous étions prêts à bouger sur cette question et j'ai précisé qu'une évolution législative était nécessaire. Depuis le mois de septembre, je soutiens la position selon laquelle il est légitime que cette évolution procède d'une initiative sénatoriale, afin de prendre en compte vos échos du terrain et de traduire avec justesse la vision du Sénat. Au mois de décembre, j'ai annoncé que, le groupe majoritaire à l'Assemblée nationale ne souhaitant pas que le débat n'ait lieu qu'au Sénat, il déposerait une proposition de loi pour exprimer ses propres lignes, dans le cadre d'un dialogue entre les chambres, en vue de procéder à une « commission mixte paritaire virtuelle », sans remettre en cause le véhicule législatif issu du Sénat.
Par conséquent, ne voyez pas ce qui se passe demain comme étant autre chose que la suite du dialogue annoncé par le Gouvernement. Le bicamérisme suppose de respecter également l'initiative de la chambre basse, que l'on ne saurait empêcher de déposer une proposition de loi.
Ensuite, faire de la politique est s'efforcer de tenir compte du présent tout en préservant l'avenir, en ayant le souci de ceux qui s'expriment le moins facilement, et de l'intérêt général. Il y a peu de questions plus délicates, de ce point de vue, que l'étalement urbain. Personne ne considère, j'en suis persuadé, que l'étalement urbain n'est pas un problème. On a atteint, dans les années 1970, un niveau d'artificialisation de 60 000 hectares par an ; puis on a tâché, au travers de divers textes, de le faire baisser. Toutes les majorités qui se sont succédé se sont emparées du sujet depuis 2000, et nous avons atteint, au cours des dernières années, une consommation annuelle de 20 000 hectares.
Avec 305 articles, la loi Climat et résilience est en effet particulièrement dense et elle se prête bien à des révisions régulières. Elle a abouti, pour le ZAN, à des dispositifs qui ont donné lieu soit à des décrets d'application, suscitant des réactions, soit à des propositions d'ordre législatif, comme votre texte, destiné à revenir sur les dispositions ne relevant pas du Gouvernement.
Dominique Faure et moi-même vous le confirmons solennellement : nous considérons cette proposition de loi non pas comme un objet sénatorial, mais comme le véhicule permettant une évolution de la loi Climat et résilience sur le ZAN ; je tiens à le répéter. Il s'agit donc non pas de permettre au Sénat d'adopter une proposition de loi en mars ou en avril pour montrer aux grands électeurs qu'il se soucie d'eux quelques mois avant les élections sénatoriales, mais bien d'aboutir à un texte définitif ! Il importe donc que les divergences concernant les évolutions législatives se résolvent dans le cadre de la navette parlementaire : il y a des points pour lesquels un compromis pourra être trouvé et d'autres qui suscitent des réserves au sein du Gouvernement ou parmi les députés.
Je vais maintenant répondre aux questions posées par le rapporteur sur les différents articles. Sur ce sujet, Dominique Faure et moi sommes parfaitement alignés.
Votre texte comprend bon nombre d'avancées. Il corrige certaines erreurs - en permettant par exemple que la logique « nette » prenant en compte la renaturation puisse s'appliquer dès 2021 -, il a le mérite de proposer des outils nouveaux pour que les collectivités territoriales puissent mettre en oeuvre le dispositif de manière effective, et il précise ce que le Gouvernement doit faire pour le rendre applicable - je pense à la délivrance de données. Le Sénat a soulevé par ailleurs, dans un rapport d'information mené par Jean-Baptiste Blanc sur le sujet de la fiscalité, des angles morts qui ne sont pas traités par ce texte.
Sur la moitié des articles du texte, nous n'avons pas de difficultés. Quelques articles posent des questions de rédaction et quelques autres nous posent des difficultés plus importantes.
Vous commencez par l'ajustement des délais. Sans doute la sagesse exige-t-elle de bouger sur cette question. Il y a plusieurs manières de procéder. Pour certains, la durée initiale doit être fixée non plus à dix, mais à douze ans ; d'autres considèrent qu'il faut garder la période de dix ans, mais différer la date de démarrage. Sur ce sujet, je pense qu'il ne sera pas difficile de trouver un accord.
L'article 2 nous pose clairement une difficulté. S'il n'y a pas de trajectoire prescriptive, il n'y a aucune garantie que nous atteignions les objectifs. Je le rappelle, la France est le pays d'Europe qui a le rythme d'artificialisation rapportée à sa population le plus élevé. Or un hectare d'espace naturel ou agricole représente entre 190 et 290 tonnes de CO2 stocké ; à l'inverse, un hectare artificialisé non seulement ne stocke pas de CO2, mais participe à l'accentuation du dérèglement climatique. En outre, dans le monde qui arrive, préserver des surfaces agricoles, c'est aussi préserver notre souveraineté alimentaire.
Vous soulevez par ailleurs un angle mort qui n'est pas traité dans votre proposition de loi. Je vais l'évoquer à propos de l'article 4, sur les grands projets d'envergure nationale. Si nous conservons le dispositif tel qu'il est proposé, la charge de ces grands projets sera répartie différemment selon les territoires. Ce n'est pas juste, parce que certains projets profitent à d'autres régions que celle dans laquelle ils s'implantent. Le canal Seine-Nord Europe, par exemple, profitera à d'autres territoires, grâce à la décarbonation des moyens de transport ou à la réorganisation de la chaîne logistique.
Le problème se pose aussi avec les lignes à grande vitesse (LGV). Les territoires qui en ont construit par le passé en bénéficient doublement, car cette artificialisation passée détermine leurs nouveaux droits à artificialisation. Au contraire, les territoires qui ont attendu plus longtemps non seulement n'ont pas bénéficié du désenclavement que permet une LGV, mais en outre ont un droit à artificialisation inférieur ; c'est la double peine ! Cela ne me semble donc pas juste. La somme des grands projets théoriques, compte tenu du temps de réalisation de ces chantiers, me semble très optimiste. Il faudra aussi garantir que la mutualisation ou le « compté à part » ne tienne pas pour acquis que tous ces projets seront réalisés en temps et en heure.
Je veux maintenant aborder trois éléments sur les grands projets d'envergure nationale.
D'abord, nous plaidons pour que la liste ne soit pas exhaustive ; il faut éviter de bâtir une usine à gaz dans laquelle n'importe quel projet d'échelle nationale deviendrait un grand projet d'envergure nationale. Un caractère limitatif est souhaitable ; certains d'entre eux sont évidents, d'autres sont discutables.
Ensuite, nous ne souhaitons pas que les projets qui ne sont pas d'initiative nationale soient considérés comme de grands projets d'envergure nationale. Je pense à des projets industriels qui, s'ils relevaient de cette catégorie, nécessiteraient une autorisation administrative pour bénéficier du « compté à part », ce qui fausserait la décentralisation économique. Si l'on peut conférer un tel label, cela exigera un acte gouvernemental, donc un arbitrage entre les actions des régions pour attirer de grands projets économiques. En outre, à partir de quel seuil un projet économique sera-t-il considéré comme d'envergure nationale ? On risque d'avoir des débats sans fin, du contentieux, et donc des délais.
Enfin, si ces projets sortent de la trajectoire d'artificialisation, la tentation relevée dans les deux premiers points sera encore plus forte : si un projet local consomme du foncier et qu'un projet national n'en consomme pas, tous les projets seront présentés comme d'envergure nationale.
Le débat se focalise sur le point d'arrivée, sans considération pour le chemin. Tout le monde est obnubilé par l'horizon du « zéro » ; personne ne s'intéresse à ce que signifie une division par deux du rythme d'artificialisation dans les années qui viennent, compte tenu du stock et des tendances. Surtout, personne ne discute de ce qui se passera entre 2031 et 2050. Or ce débat est, du point de vue du nombre d'hectares, beaucoup plus important que la question des grands projets d'envergure nationale entre 2021 et 2031. La question « Où allons-nous après 2031 ? » est centrale et personne ne s'en est saisi.
Si nous devons suivre, au cours des années à venir, une trajectoire d'artificialisation annuelle de 12 500 hectares, hors renaturation, il ne faut pas oublier que nous avons un stock de friches de 200 000 hectares, qui équivaut à peu près à la surface artificialisée au cours des dix dernières années, et qui nous offre donc une décennie « gratuite » d'artificialisation. Nous aurons en outre un « droit » annuel moyen supérieur à la moitié du rythme des dernières années, puisqu'il est fondé sur la moyenne des dix dernières années, qui ont suivi une tendance baissière.
J'en viens à la garantie rurale. Nous avons entendu les propos du Sénat et la Première ministre a eu une expression forte ; j'ai indiqué que nous étions disposés à la mettre en place et Dominique Faure s'y est engagée devant des associations d'élus. Le point d'arrivée de notre proposition est comparable à la vôtre sur le nombre d'hectares, mais diffère sur le mode de calcul. Les éléments que je vous ai donnés oralement ne semblent donc pas vous avoir été fournis par mes services, cela m'agace passablement. Je m'engage à ce qu'ils vous soient envoyés dès la fin de l'audition. Le mode de calcul fondé sur un pourcentage ne dépend que d'une chose : cette garantie de 1 % doit-elle s'appliquer à toutes les communes de France ou seulement aux communes rurales ? Dans ce cas, quel est le critère à retenir : le nombre d'habitants ou la densité ? Selon les différentes hypothèses retenues, on peut calculer le nombre de communes et d'hectares concernés. Je pensais avoir donné la consigne de vous adresser ces éléments ; je déplore que cela n'ait pas été le cas. Voici les principaux chiffres ; le reste vous sera envoyé. Globalement, 1 % des surfaces urbanisées en France, cela correspond à 36 171 hectares, soit à peu près 1 hectare par commune. La différence résidera dans la répartition. En outre, 798 communes n'ont pas artificialisé un mètre carré depuis quinze ans, et sont donc de facto déjà en zéro artificialisation nette - certaines parce qu'elles sont situées en zone inondable, d'autres en raison d'appellations d'origine contrôlée... Si l'on retient la notion de commune peu dense au sens de l'Insee, qui correspond à une notion de ruralité sur laquelle nous pouvons nous accorder, l'application du critère de 1 % donne 18 000 hectares. Avec les communes très peu denses, on obtient 4 000 hectares. En additionnant les deux notions, on atteint 22 000 hectares. Cette garantie rurale doit-elle être subordonnée à l'existence de documents d'urbanisme - plan local d'urbanisme ou carte communale - ou s'applique-t-elle sans limites ? Avec une application sans limites, vous obtenez les chiffres que j'ai indiqués. Si l'on applique des limites, vous avez d'autres chiffres, que vous aurez prochainement.
Je termine avec la création de la part réservée au sein des Scot et des PLUi. Cela existe déjà. Je ne vois pas l'intérêt de préciser que c'est une faculté ; cela peut ajouter une couche de complexité, même si cela peut donner des idées à des élus. Nous n'avons pas d'opposition de principe, mais la possibilité d'une réserve pour les projets d'importance intercommunale existe déjà.
Enfin, je répète l'intérêt que nous portons au droit de préemption, au sursis à statuer et aux obligations de délivrance de données, avec simplement une interrogation sur le délai et sur la maille pertinente.