Intervention de Frances Haugen

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 novembre 2021 à 16h30
Numérique — Audition de Mme Frances Haugen ancienne ingénieure chez facebook lanceuse d'alerte

Frances Haugen, ancienne ingénieure chez Facebook, lanceuse d'alerte :

J'adore le terme de « colonie numérique » que vous utilisez. Aux États-Unis, on utilise la formule « pas de taxation sans représentation ». On pourrait compter tous les dollars que représente la publicité générée par l'Europe. J'ai travaillé sur Google Plus, je sais combien cela représente. Il existe des options. Peut-être faut-il parfois regarder le retour sur investissement.

Il existe également des questions de défense nationale. Facebook, parce qu'il se réfugie dans le secret, porte un fardeau bien plus lourd, du fait que personne ne peut intervenir à sa place en matière de sécurité : j'ai travaillé sur le contre-espionnage et j'ai aidé à mettre en place des outils contre le terrorisme, les cartels, les trafics humains, l'exploitation d'enfants et les crimes en ligne. Il est inacceptable de ne pas savoir combien de personnes travaillent dans chacune de ces fonctions. Il est inacceptable d'ignorer combien d'affaires sont prises en charge par pays dans chacun de ces domaines. Je pense que vous seriez choqués d'apprendre le peu qui est fait pour protéger la France.

Le DSA doit exiger ces informations et demander combien de personnes travaillent dans chaque domaine. Lorsque j'étais chez Google, l'entreprise, pour donner l'impression que plus de femmes travaillaient dans les postes techniques, incluait les secrétaires des ingénieurs dans le personnel technique. Si on leur avait demandé leur titre exact, je pense que les choses auraient changé.

Par ailleurs, l'interopérabilité ouvre d'autres difficultés qui pourraient compliquer davantage les choses. Les serveurs de messagerie électronique disposent de cette interopérabilité. On envoie généralement un courriel à un seul serveur. Ensuite, on ne le gère plus, on a une ligne directe et sécurisée. Imaginez que je sois sur Facebook, mais que mes amis soient tous sur des clones. Si je poste une photo de mon bébé, elle va être envoyée à tous les serveurs, individuellement. Il ne faut pas, alors, que l'un de mes amis dépende d'un serveur hébergé par un groupe russe, par exemple. Je dois donc faire confiance à chacun.

Par ailleurs, on doit pouvoir changer les paramètres de sécurité de ce que l'on poste après la publication. Il faut donc que je sois sûre que, lorsque j'enlève des éléments de mon serveur, ceux-ci seront également retirés de tous les autres serveurs. Si l'on avait une parfaite interopérabilité, les gouvernements devraient donc auditer chaque serveur individuellement pour vérifier que ce que j'ai choisi d'enlever a été enlevé partout.

Les effets de réseau sont énormes et on ne peut les empêcher. Il y a trois ans, certains pays disposaient d'alternatives à Facebook. Certains réseaux étaient arrivés suffisamment tôt et avaient réussi à exclure Facebook. Aujourd'hui, aucun pays, mis à part la Chine, n'interdit Facebook.

Un créateur crée une page sur TikTok pour atteindre le plus de personnes possible. Au final, les marchés peuvent être en concurrence, parce que les personnes copient les contenus et les publient sur d'autres sites. On peut regarder du contenu issu de TikTok sur YouTube parce que les créateurs le copient. Les réseaux sociaux personnels, eux, ne cherchent pas à atteindre le plus de gens possible, mais quelques personnes spécifiques. C'est là qu'est la difficulté.

Je vous encourage à réfléchir à Facebook comme à un prestataire public, parce qu'il n'y a pas de choix : soit on l'interdit complètement, soit on l'accepte.

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