Ce premier tour de table ne permettra pas de répondre à la longue liste de questions que vous nous avez posées. Je pourrais revenir sur la réflexion relative à la réforme des redevances, pilotée par mon agence. Les agences de l'eau mutualisent leurs réflexions et leurs travaux.
La question de l'eau du bassin Artois-Picardie est vaste. Notre petit bassin industriel a subi de très fortes pressions et continue d'en subir. Ces pressions provenaient historiquement de l'industrie, des mines et de la guerre.
Actuellement, le modèle économique industriel de l'agriculture de notre bassin constitue notre bête noire. En effet, cette agriculture génère des pressions extrêmes sur l'eau. Au cours de ces dernières années, la présence dans l'eau de produits phytosanitaires et de nitrates a été multipliée par deux ou par trois. Celle des substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) a été multipliée par dix.
Au-delà de cette question qualitative, les prélèvements en eau du domaine agricole ont doublé en dix ans. L'agriculture prélève aujourd'hui 78 millions de mètres cubes d'eau en période estivale, contre 36 millions il y a dix ans. Elle prélève 40 % de l'eau en été, soit autant que les ménages, dans un bassin de 5 millions d'habitants pourtant très dense, où 75 % de la population est urbaine. L'industrie, pour sa part effectue environ 20 % des prélèvements estivaux.
Nous devons donc répondre à d'immenses enjeux. Seules 22 % de nos masses d'eau de surfaces se trouvent en bon état écologique, contre 44 % au niveau national et européen. Sur vingt ans, nous avons réalisé d'énormes progrès, en gagnant près d'une masse d'eau en bon état écologique chaque année. Nous comptons 18 masses d'eau sur 80 en bon état écologique et notre SDAGE en vise 50 d'ici à 2027. Nous devons donc accélérer l'amélioration de la qualité de l'eau, alors même que les pressions environnementales s'accroissent. Nous avançons donc devant une cible qui recule et il nous faut tripler notre rythme de progression.
Parallèlement, une question nouvelle d'ordre quantitatif se pose dans notre bassin. Depuis cinq ans, nous constatons que les effets du changement climatique se font directement sentir sur le nord de l'hexagone, sans phase préalable de progression géographique. Ainsi, les sols de notre bassin ont été les plus secs de France lors de la sécheresse de l'été 2022.
De plus, depuis cinq ans, des indicateurs montrent clairement que nos nappes phréatiques ne se rechargent plus suffisamment, alors même que l'essentiel de nos ressources en eau y sont captées. Or notre bassin est un pays plat qui ne compte pas de glaciers, de neige ou de cours d'eau torrentiels. Ainsi, le niveau de nos nappes phréatiques était dramatique durant l'été 2022. Nous l'avons évoqué hier avec notre ministre de tutelle et avec les préfets.
Nous risquons donc de rencontrer de grandes difficultés, avec une baisse du niveau de nos nappes phréatiques qui devrait atteindre 20 % à l'horizon 2040 ou 2050, tandis que les demandes en eau ne cessent d'augmenter, notamment celles du monde agricole.
Nous faisons ainsi face à un effet de ciseau et nous devons le traiter sérieusement, autrement que par la politique de petits pas que nous menons. Nous devons accélérer le nécessaire effort de sobriété de nos consommations en eau. L'importance de cet effort peut être difficilement appréhendée. Cette sobriété demande un changement radical de notre modèle agricole, voire de notre modèle économique général. Pour autant, les ménages de notre bassin ne sont pas les plus gourmands. Ils consomment moins d'eau que les ménages des autres bassins.
Je porte devant les parlementaires une constatation que je partage régulièrement autour de moi : nous ne ressentons pas les effets du Grenelle de l'environnement voté pourtant il y a 15 ans. Dans le cadre du Grenelle, nous avons investi 50 millions d'euros dans notre bassin pour réaliser des efforts de prévention destinés à améliorer la qualité de l'eau au niveau de captages prioritaires. Mais que pouvons-nous faire lorsque des cultures de pommes de terre rapportent 2 000 à 4 000 euros à l'hectare ?
Une autre question majeure se rapporte à la gestion intégrée des eaux pluviales dans les zones urbaines. Il importe de désimperméabiliser les sols des zones d'activité. L'eau pluviale n'est plus retenue, ni en ville ni dans la campagne. Elle ruisselle sans recharger nos nappes phréatiques.
De plus, nos réseaux d'assainissement sont principalement unitaires. Nous devons donc réaliser de nombreux investissements pour séparer les eaux usées de l'évacuation des eaux pluviales. Le traitement de cette question ne revient pas aux agences de l'eau, mais bien aux collectivités, qui doivent s'inscrire dans une gestion patrimoniale de leurs réseaux.
Pour le moment, les efforts des collectivités en la matière s'avèrent insuffisants. Pourtant, le dispositif des « aquaprêts », déployé à l'issue des Assises de l'eau, met à disposition des collectivités 2 milliards d'euros en prêts à taux très faibles et à maturité longue. J'étais directeur de l'eau et de la biodiversité au ministère de la Transition écologique lors de l'élaboration de ce dispositif. En pratique, ces prêts sont malheureusement très peu mobilisés.