J'interviens avant mon collègue de l'agence Seine-Normandie qui est dotée de la plus grande capacité financière et excuse Thierry Burlot, président du Comité de bassin Loire-Bretagne ainsi que Martin Gutton, directeur général de l'agence, actuellement en mission dans le bassin du Bandama, en Côte d'Ivoire. La gestion intégrée de la ressource par bassin représente effectivement un modèle, que la Côte d'Ivoire souhaite mettre en place dans le bassin de ce fleuve qui constitue un équivalent de la Loire. Nous pourrons sans doute tirer des leçons de l'expérience ivoirienne.
Nous oublions trop souvent que l'eau est le patrimoine commun de la nation. Nous l'affirmons, mais cette affirmation se traduit-elle dans nos pratiques ? De notre côté, nous avons le sentiment d'en tenir compte dans notre organisation institutionnelle, avec les comités de bassin, ou encore avec la gestion par bassin. Nous devons conserver cette forme de gouvernance.
Mais si l'organisation institutionnelle est identique par bassin, chaque bassin a ses spécificités. Nous devons préserver notre proximité avec les territoires, dans la gestion de leurs problématiques liées à l'eau et dans la définition de leurs priorités. Notre approche doit se construire à l'échelle des territoires, sans jamais être descendante, comme elle peut l'être dans beaucoup d'autres politiques publiques. Ainsi, nos comités de bassin constituent pour nous des points forts. Néanmoins, nous souhaiterions que cette forme de gouvernance puisse progresser à l'échelle des sous-bassins et des commissions locales de l'eau.
En outre, nous devons nous interroger quotidiennement sur notre capacité à dépasser le principe d'une gestion de l'eau comme bien commun au sens économique du terme, pour aller vers une logique de gestion de l'eau comme patrimoine.
Le bassin Loire-Bretagne est le plus long de France. Il couvre 28 % du territoire métropolitain pour seulement 7 millions d'habitants. Ce bassin est donc relativement peu dense, bien moins que le bassin Artois-Picardie. Il est constitué d'environ 135 000 kilomètres de cours d'eau et 4 000 kilomètres de côtes.
Un tiers de la production agricole nationale est localisée dans notre bassin. Cette production est caractérisée par une forte dominance de l'élevage. De la même façon que dans le bassin Adour-Garonne, le déclin de l'élevage nuit à la préservation des milieux humides. Or notre surface agricole est composée à 46 % de prairies. Nous devons absolument préserver ces prairies, qui jouent un rôle clé dans la rétention d'eau. En effet, les solutions fondées sur la nature ne se limitent pas à la réintégration de la nature dans nos villes. Nous devons préserver la capacité de rétention d'eau de tous nos écosystèmes, y compris celle de nos écosystèmes agricoles. Cette démarche constitue le premier levier de résilience que nous pouvons actionner pour protéger nos eaux face au changement climatique.
Notre modèle se construit aussi autour d'un SDAGE qui comprend 14 orientations. Notre SDAGE met l'accent sur le problème de la gestion quantitative de l'eau. Contrairement à l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, nous avons enregistré de nombreux recours gracieux et certains contentieux car la gestion quantitative de l'eau génère des tensions.
Pour autant, si notre SDAGE n'a été approuvé qu'avec 72 % des voix, cette absence d'unanimité peut être considérée comme un signe de bonne santé démocratique. Des débats se sont tenus, mettant en jeu des intérêts contradictoires. En particulier, je pourrai revenir sur la question des PTGE qui visent à aménager des retenues de substitution, appelées par certains « mégabassines ». J'ose espérer que seul le premier terme sera employé dans les débats parlementaires, car le second est connoté négativement. Il ne faudrait pas penser d'ailleurs que le SDAGE se limite à porter une gestion quantitative de l'eau.
À l'automne dernier, nous avons remis une contribution dans le cadre de la préparation du plan Eau, qui rappelle l'importance d'un partage de l'eau inscrit dans une gestion équilibrée de la ressource, de l'accès à un service d'alimentation en eau organisé et compétent et de l'amélioration de la résilience des écosystèmes aquatiques.
La préservation des écosystèmes aquatiques représente un levier essentiel que nous devons actionner. Nous devons continuer à oeuvrer pour améliorer la qualité de l'eau - même si nous constatons déjà des améliorations, décrites par Laurent Roy, y compris sur la pollution aux nitrates en Bretagne - car le dérèglement climatique accentue la pression qui pèse sur la qualité de la ressource.
Nous ne pouvons pas accompagner toutes les collectivités face aux difficultés d'approvisionnement en eau potable. Pour le renouvellement des réseaux, nous devrions investir pas moins de 700 millions d'euros cette année, soit le double du budget d'intervention de notre agence. Nous accompagnons donc les collectivités confrontées à des situations particulières. Dans le cadre de notre plan de résilience, nous développerons ainsi un volet additionnel relatif à l'aide aux collectivités. Cependant, cette aide ne sera pas sans conditions, car nous constatons que la structuration des compétences des collectivités tarde à progresser. Cette conditionnalité se matérialisera dans le cadre de contrats de résilience, qui mettent en jeu les questions de la tarification, de la structuration des services et du schéma de distribution ou d'assainissement.