Intervention de Bariza Khiari

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 3 février 2016 à 15h10
Audition de Mme Bariza Khiari sénatrice de paris auteure de la note « le soufisme : spiritualité et citoyenneté » publiée dans l'ouvrage valeurs d'islam de la fondation pour l'innovation politique »

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari, sénatrice de Paris :

Je suis heureuse d'être parmi vous et d'être auditionnée par des collègues, c'est du reste la première fois que cela m'arrive ! Je me suis posé la question de ma légitimité à être devant vous pour parler de cette thématique. En octobre 2004, alors que je venais d'être élue sénatrice, je n'aurais jamais imaginé que j'en viendrais à parler de l'Islam. Je remercie donc la Présidente et la rapporteure de cette commission, qui accorde une grande importance à ces questions, de m'avoir invitée.

J'ai essayé d'analyser tout mon cheminement pour comprendre comment j'en étais arrivée là. Ces questions me taraudaient-elles il y a une quinzaine d'années ? En fait, pas vraiment. Je savais en revanche que la question de l'égalité républicaine, minée par les discriminations, serait au coeur de mon mandat.

J'ai été très honorée lorsque le Président Poncelet m'a demandé, en 2004, d'être la marraine de l'opération Talents des Cités, qui se tient au Sénat depuis cette date. J'ai été également chef de file du groupe socialiste du projet de loi créant la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE). À partir de 2008, l'Islam est devenu, avec l'identité nationale, une question politique. Je perçois d'ailleurs cela comme une démarche qui consisterait à opposer l'identité nationale et l'Islam.

L'Islam est devenu une question politique et je ne pouvais rester en-dehors du débat. Il m'a semblé important qu'il y ait une voix différente de celles des fondamentalistes, d'un côté, et de l'autre côté des extrémistes Islamophobes. Parler de l'Islam en tant que musulmane serait, pour certains, verser dans le communautarisme. Je me demande pourquoi un musulman ne pourrait pas parler de l'Islam.

Il y a des radicalités religieuses d'un côté, et des radicalités politiques de l'autre. Au milieu, il y a un vide et il faut le remplir. Je pense que le fait qu'un certain nombre de musulmans dit modérés ne se soient pas exprimés a provoqué une brèche dans laquelle se sont engouffrés les fondamentalistes.

Au sein de ma formation politique (le PS), j'ai présenté de nombreuses contributions lors de tous les congrès, sur Islam et laïcité, Islam et République. Mais elle est demeurée totalement hermétique à ces questions, à l'exception de M. Laurent Fabius. D'autres instances m'ont alors ouvert leurs portes, comme une loge maçonnique ou l'épiscopat parisien où, à la demande du Père Matthieu Rougé, aumônier des Parlementaires, j'ai été invitée à m'exprimer aux côtés de Monseigneur André Vingt-Trois sur ces questions. J'ai également écrit un certain nombre d'articles dont, pour les démographes, une contribution sur les statistiques ethniques contre lesquelles je m'inscris. J'ai également participé au groupe de travail du Sénat sur la mission « La France dans 10 ans » dirigé par M. Jean Pisani-Ferry. J'ai aussi participé aux travaux de la Fondapol consacrés aux Valeurs d'islam et je suis à l'origine, avec notre collègue M. Roger Karoutchi, de l'intérêt que porte le Sénat aux minorités chrétiennes d'Orient. Au tout début, nous étions d'ailleurs les seuls à nous intéresser à cette question. À partir du moment où nous voulons que la diversité soit respectée en France, il nous paraissait essentiel de défendre la diversité au Moyen-Orient, consubstantielle de l'identité de cette région. D'autres collègues se sont progressivement agrégés à notre démarche et notre groupe est désormais important.

Ai-je une légitimité pour parler de l'Islam ? Théologique ? Certainement pas. Mais je suis l'une des rares élues, au niveau national, qui s'assument à la fois comme farouchement républicaine et laïque, et sereinement musulmane. Personnellement, je ne mets pas mon Islam dans ma poche, tout en étant républicaine et laïque. À cet égard, être laïc et chrétien, ainsi que laïc et juif, ne pose pas de problème, tandis qu'être laïc et musulman semble susciter une forme de suspicion, qu'il faut donc lever. Comme beaucoup d'élus ici, je suis saisie par nos concitoyens d'un certain nombre de questions. J'y suis particulièrement sensible et tout ceci m'a permis de développer une réflexion sur ce sujet.

Quelle est la place de l'Islam en France ? Je formulerai, tout d'abord, quelques considérations générales. Deuxième religion de France, l'Islam est une religion du livre qui n'est en rupture ni avec le judaïsme, ni avec le christianisme car il en est le continuum. L'Islam fait ainsi partie de ce que l'on appelle le socle abrahamique. A la question déjà posée à M. Antoine Sfeir, j'aurais formulé une autre réponse que la sienne : l'Islam a connu sa Renaissance avant son Moyen-Âge ! Elle appartient au socle abrahamique et, afin d'illustrer mon propos, je voudrais vous conter une petite anecdote. Je suis une élue du XVIème arrondissement de Paris et j'habite dans un immeuble bourgeois. Lorsque je suis arrivée dans cet immeuble, une voisine m'a fait part de l'interrogation des autres habitants sur la manière dont je réagirais au sapin de Noël traditionnellement installé par la copropriété dans l'entrée. Lorsque je lui répondis que je n'en étais nullement gênée, ma voisine a semblé incrédule. Il m'a alors fallu lui rappeler que Jésus était également l'un de mes prophètes et que le Coran consacrait une sourate entière à Marie, mère de Jésus. Tout d'un coup, je démontrais à cette dame que nous avions quelque chose en commun, et cela a paru la déranger.

La population musulmane de France est en majorité sunnite de tradition malékite. C'est le rite le plus ouvert des quatre écoles juridiques de l'Islam, à savoir le Hanafisme, le Hanbalisme, le Chafirisme et le Malékisme. On retrouve principalement cette dernière école en Afrique du Nord et un peu dans l'Afrique subsaharienne ; c'est pourquoi, l'immigration en France est à 95 % de rite malékite. Je suis personnellement l'héritière d'un Islam européen qui s'est développé en Espagne andalouse dans la coexistence des juifs et des chrétiens. C'est un Islam d'une grande ouverture et c'est également la belle période de l'Islam. Isabelle la Catholique a expulsé les Juifs et les Musulmans qui, du coup, ont irrigué le Maghreb, voire plus loin. Cette civilisation arabo-judéo-chrétienne a jailli de Cordoue et a irrigué le monde.

Je revendique cet héritage d'un Islam européen. Et c'est cet héritage-là qu'il faut que nous retrouvions ! Je serais tentée de dire que nous sommes passés d'une civilisation arabo-judéo-islamique à une situation qui se serait bédouinisée : nous sommes devenus les otages impuissants d'une wahhabisation de l'Islam dans le monde musulman, et l'Europe en est largement gangrénée.

On dit souvent qu'il faut déconsulariser l'islam de France, c'est-à-dire libérer les lieux de culte de l'emprise des pays d'origine. L'idée est séduisante, mais d'une certaine façon, l'Islam déconsularisé existe déjà : c'est celui des imams autoproclamés, de ceux qui sont financés par les organisations caritatives du Moyen-Orient - et je précise, pas par le régime, car il faut faire une différence, lorsqu'on évoque le financement par les Saoudiens, entre le régime et les organisations. Je rappellerai que l'Arabie Saoudite, dans son histoire, a séparé le pouvoir religieux, qui est libre, et le pouvoir politique. Les Saoud ont délégué la question de l'Islam aux tenants du Wahhab et donc ces groupes-là, grâce à l'aumône légale (« Zakat »), disposent de moyens considérables qui proviennent pour partie des pétrodollars. L'Islam a ainsi été réduit à une vision binaire, entre le licite (« Hallal ») et l'illicite (« Haram »). L'Islam a perdu de sa verticalité, c'est-à-dire de sa spiritualité. Je considère que la wahhabisation est une catastrophe qui ronge l'Islam sunnite et touche à présent nos quartiers.

S'agissant de la place démographique de l'Islam, il est toujours difficile de parler de religion dans les enquêtes. Je ne sais comment l'Institut national d'études démographiques (INED) et l'Institut national des études territoriales (INET) sont parvenus à ce résultat, mais ce sont d'après eux 8 % de la population qui se déclarent musulmans parmi les 18-50 ans. De ce résultat, on peut extrapoler à un peu plus de deux millions le nombre de personnes se revendiquant dans cette tranche d'âge et autour de quatre millions pour l'ensemble de la population.

S'agissant de la place médiatique qu'occupe l'Islam, la situation est caricaturale. On reproche souvent aux « musulmans modérés » leur silence. Mais celui-ci est en réalité une construction médiatique. Les grands médias s'entêtent à inviter sur leurs plateaux des personnes que je définirai comme des analphabètes bilingues, et qu'on s'obstine à considérer comme des représentants de l'Islam. Je ne citerai pas de nom. Lorsque Mme Caroline Fourest me dit que de telles personnes à la télévision font baisser le racisme, je dirais que cette baisse est bien relative comparée à la honte et à l'humiliation qu'elles suscitent parmi les Musulmans de France. Se sentir représenté par cela, ce n'est pas possible ! Si l'on voulait humilier les Musulmans, on ne s'y prendrait pas autrement !

Les médias formatent notre représentation. Dans les feuilletons, qui sont par nature récurrents, le voyou ou le violeur est le plus souvent arabe ou noir, et non le médecin ou le policier ! Lorsqu'en revanche nos concitoyens vont aux urgences hospitalières, le médecin est bien souvent noir ou arabe, en raison du déficit de la Sécurité sociale, parce qu'il fait office de variables d'ajustement du budget de l'hôpital.

Avec les antennes paraboliques, que l'on voit si nombreuses dans nos banlieues, on ne capte qu'une seule chaîne francophone parlant de l'Islam. Or, cette chaîne est saoudienne ; il s'agit de « Ikra », ce qui signifie « Lire » en arabe et qui désigne, par ailleurs, l'un des premiers versets du Coran. En revanche, 150 chaînes arabophones peuvent aussi être captées partout sur le territoire. Celles-ci ont une indéniable influence en France, sur les habitudes vestimentaires notamment, en suscitant une forme de mimétisme.

J'ai essayé d'apporter mon soutien à une chaîne qui devait être créée par des Français et s'appeler Mitaqh, (« La Charte »), mais qui n'a jamais pu voir le jour, faute des financements nécessaires.

Quelle est la place de l'Islam dans la culture, point qui retient tout particulièrement l'attention de votre mission ? De nombreux efforts ont été conduits par les grandes institutions culturelles pour promouvoir les arts et les cultures d'Islam. Je pense notamment à l'Institut du monde arabe et je rends un hommage appuyé à M. Jack Lang qui y a conduit un travail vraiment remarquable. Je pense également au Louvre, qui a organisé une très belle exposition sur le Maroc, ainsi qu'à Arte, qui a diffusé une série passionnante sur le Coran. En outre l'une des plus prestigieuses maisons d'édition d'art, Diane de Seillers, a publié, il y a trois ans, une version versifiée du chef d'oeuvre d'Attar, la Conférence des Oiseaux, intitulé aussi Cantique des Oiseaux, et dont les illustrations se retrouvent dans les Musées de Téhéran.

Mais le bruit dominant est occupé par une « islamophobie savante » qui postule que le monde musulman n'a rien apporté au monde moderne. On pourrait également souligner qu'en mettant en avant des télé-polémistes comme M. Eric Zemmour, les médias ont finalement accrédité l'idée que l'Islam n'existe que dans sa radicalité ou sa médiocrité. Au cours des travaux de la commission d'enquête sur le Djihadisme, on a ressenti l'humiliation des musulmans.

S'agissant de la place de l'Islam dans le monde intellectuel, j'ai conduit l'an passée à l'Élysée une délégation d'une dizaine de personnalités de haut niveau, se reconnaissant dans la sphère de l'Islam. Elles demandaient, entre autres, la création d'une chaire provisoire de deux ans au Collège de France, qui aurait permis d'élaborer un discours transverse sur l'Islam européen. Celui-ci eût été un contre-discours face aux Salafistes. Cette idée a séduit. Quelques mois après, une nouvelle chaire a été mise en place au Collège de France, mais intitulée « Le Coran, manuscrit ancien »... Une telle démarche se retrouve partout et nous n'avions pas besoin de cela en France ! Nous n'avons pas été entendus pour élaborer un discours qui aurait pu être utile par la suite.

S'agissant de la place politique, la configuration du modèle français est, sinon bloquant, du moins particulier. La droite formatée par le nationalisme a quelques petits problèmes avec l'étranger, l'immigré. La gauche est, quant à elle, formatée contre l'Église, a aussi quelques problèmes avec les croyants, donc les musulmans. Se surajoute le fait que de nombreux exécutifs municipaux ont reproduit, à l'échelle locale, le modèle colonial du caïdat : on fait ainsi élire sur sa liste un Monsieur Diversité qui va être chargé de gérer la communauté, les liens avec les mosquées, les associations dédiées. De ce fait, les questions qui se posent ne remontent à l'élu qu'en cas de problème !

En politique, le citoyen de confession musulmane a l'impression d'être l'objet d'une farce où alternent gauche et droite. Une telle pratique se voit partout, que ce soit à droite ou à gauche. Tantôt variable d'ajustement d'une gauche en mal d'électeurs et cherchant à catalyser les mécontentements, tantôt repoussoir pour une droite soucieuse de donner des gages à son électorat le plus radical et de séduire les soutiens de l'extrême droite. Si cela perdure, il ne faudra pas s'étonner de voir fleurir pour les prochaines élections davantage de listes communautaires.

Tout à l'heure, vous avez posé une question sur la citoyenneté à M. Antoine Sfeir, qui évoquait SOS Racisme. Sur la question de la citoyenneté, SOS racisme a été la bonne conscience de la gauche. Il fallait faire de grands concerts pour calmer le jeu, mais en réalité, on n'a jamais rien fait. Je ne suis pas contre l'antiracisme, il en faut ! Mais l'antiracisme et la lutte pour l'égalité et contre les discriminations ne sont pas les mêmes choses, elles impliquent des outils et des méthodes différents. Un quinquennat n'y suffit pas, et il faut s'inscrire dans la durée pour pouvoir déployer une ingénierie fine, longue et ambitieuse. Je n'ai donc pas de problème à dire que l'antiracisme a été la bonne conscience de la gauche. D'ailleurs, alors qu'un SOS racisme mobilisait avant tout les garçons, quelques dizaines d'années après, il s'est agi de faire de même avec les filles autour de l'association Ni putes ni soumises ! D'où la difficulté d'assurer la primauté de la citoyenneté sur l'identité. Lorsqu'on veut constitutionnaliser la déchéance de nationalité, c'est instaurer une déchéance de l'identité, car dans nationalité, il y a nation, et dans nation il y a identité ! On constitutionnalise quelque part une idée de l'identité française. Après, vous vous posez la question sur ce qui se passe dans les quartiers !

On s'interroge toujours sur la question de la comptabilité de l'Islam avec la République, mais cette question est généralement envisagée de manière unilatérale. À des fins de compréhension, je vais inverser les termes de la question, quitte à faire un peu de provocation, et demander en quoi le cadre républicain est compatible avec les dogmes de l'Islam.

Pour faire simple, l'Islam repose sur cinq piliers et quelques prescriptions susceptibles d'impacter la société.

Les cinq piliers sont la shahada - c'est-à-dire la profession de foi -, la prière, le pèlerinage, l'aumône et le ramadan. La shahada, c'est du domaine intime, ça n'entrave pas le cadre républicain. L'aumône légale, la Zakat, est la charité qui n'entrave pas non plus le cadre républicain. Le pèlerinage n'est pas plus une remise en cause de la République. C'est par ailleurs un enjeu économique important : une réglementation existe, la réglementation européenne sur les voyages à forfaits, mais son application n'a pas été évaluée. Près de 25 000 Français ou résidents français se rendent à la Mecque pour un budget moyen de 4 000 euros. Certains y consacrent l'économie d'une vie de labeur et des déceptions existent, quant au sérieux des tours opérateurs. Il faudrait sans doute regarder d'un peu plus près cette situation.

La prière, et notamment la prière collective du vendredi, a posé des problèmes, avec les prières de rue. Mais cette situation me semble aujourd'hui quasiment réglée. Pour le reste, en quoi, la prière dans les lieux de culte constituerait-elle une entrave aux principes de la République ? Pas du tout ! En revanche, le financement de la construction des lieux de culte soulève une série de questions liées à sa compatibilité avec la loi de 1905.

Le ramadan, qui est une période de jeûne de plus en plus suivie, peut éventuellement poser la question de l'absentéisme pour les fêtes. Il y a en Islam deux jours fériés canoniques, le jour de la fin du Ramadan et de la fête de l'Aïd quelques temps après. En quoi cela peut-il gêner ? Dans l'entreprise, il est toujours possible de poser une journée de RTT. À l'école, on pourrait prendre une circulaire disposant que ces jours-là, il vaut mieux ne pas fixer d'examen. Dès lors, la seule question posée est celle des jours fériés. Pour ma part, je ne pense pas que la création de nouveaux jours fériés soit justifiée. Cela peut se régler de cette manière-là et, à mon sens, cela ne pose pas de problème réel.

A ces cinq piliers, il faut rajouter une prescription forte, qui est de nature cultuelle et culturelle : la non-consommation de porc et la consommation de viande halal qui peut impacter la vie en société, s'agissant notamment des cantines scolaires. Il faut être clair sur ce point. On mange casher, mais on ne mange pas hallal ; c'est la viande qui est hallal, c'est-à-dire qui est licite ou illicite. Ça se règle, de manière assez facile, avec un système de self-service ou avec un repas de substitution.

Vu sous l'angle des cinq piliers et des interdits alimentaires, la pratique de l'Islam ne pose donc au cadre républicain aucun problème majeur. Il y a certes le voile dit islamique, mais celui-ci n'est pas une prescription coranique ; il est le symbole d'autre chose !

Enfin, dernier point, je souhaitais aborder la question des carrés confessionnels. À ma connaissance, il n'existe en France qu'un seul cimetière musulman et quelques carrés confessionnels. Aujourd'hui, une très grande majorité de musulmans demandent à être inhumés dans leur pays d'origine. Mais c'est souvent pour la génération passée, du fait du mythe du retour. Inhumer un musulman qui a toujours vécu ici dans un cimetière en France ne devrait pas poser d'énormes problèmes. Il y a peut-être, à cet égard, un petit effort à faire : l'inhumation en France traduit une sorte d'intégration par la terre, ce symbole me paraît extrêmement fort. Comme l'écrivait le grand poète turc, Nazim Hikmet, deux visions s'offrent au regard du mourant : « le visage de sa mère et les rues dans lesquelles il a vécu. » Le fait que le musulman soit enterré là où il a vécu marque l'acceptation par la terre.

S'agissant du financement, on pourrait envisager un dispositif franco-français passant par la Zakat ainsi que l'organisation de la filière hallal. La Zakat est l'aumône légale canonique. Cette aumône, qui est symbolique et d'un petit montant, doit être versée le jour de la fête de l'Aïd qui doit permettre à chaque musulman, fût-il nécessiteux, d'être à l'unisson des autres et de participer à la fête. On dit ainsi que « l'on sort la Zakat avant la prière du matin ».

Un musulman doit aussi verser un pourcentage sur tout l'argent qu'il possède. Ce pourcentage s'élève à 2,5 % de l'ensemble de ses avoirs. S'y surajoute les intérêts, car l'usure n'est pas accepté par l'Islam. On pourrait ainsi dire que les principes de la finance islamique s'inscrivent pleinement dans l'économie sociale et solidaire et sont autant de principes éthiques que l'on essaie d'insuffler finalement dans la sphère financière. Il s'agit de montants qui, mis bout à bout, ne sont pas négligeables et qu'il ne s'agit surtout pas d'opposer à l'impôt républicain. Ce dernier est en effet acquitté en contrepartie d'un service rendu. Ce financement de l'Islam vient en plus de l'impôt républicain et ne se confond nullement avec lui.

Le halal est aujourd'hui une activité mal réglementée et non contrôlée. La définition d'une norme hallal est attendue par nos concitoyens de confession musulmane ou non. Ils veulent pour les uns avoir l'assurance de manger licite et pour les autres, ne pas manger halal. Les enjeux du halal ne sont pas que cultuels, mais relèvent du droit à l'information des consommateurs. Il devrait y avoir un droit à l'information des consommateurs ainsi qu'un respect de règles sanitaires. C'est aussi une vraie question économique, car la grande majorité des poulets qui sont consommés lors du Pèlerinage de la Mecque par quelques millions de personnes est d'origine française. Une dîme prélevée sur le kilo de viande pourrait être reversée à la Fondation des Oeuvres de l'Islam, de même que cette fondation pourrait être en mesure de recevoir des donations des fidèles français. Encore faut-il qu'elle s'en donne les moyens, à l'instar de fondations plus connues, comme celle de la lutte contre le cancer. Que fait la Fondation des oeuvres de l'Islam en direction des musulmans ? Cette fondation, dont la création par M. Dominique de Villepin était une bonne idée, pourrait communiquer davantage sur ses activités et pourrait demander la Zakat. Je pense que des sources de financement peuvent être dégagées en dehors des fonds étrangers. Il faut simplement nous en donner les moyens. A la tête de cette structure, il faudrait mettre un banquier !

Je n'ai pas évoqué la question du Conseil Français du Culte musulman (CFCM) et de sa représentativité, car vous avez très certainement déjà réfléchi à ces questions !

La compatibilité de l'Islam et de la République, vue sous l'angle d'un musulman sérieux et soucieux de pratiquer son culte tranquillement, ne se pose vraiment que dans deux cas : la possibilité d'avoir un repas de substitution à l'école et celle d'être enterré en France conformément aux rites islamiques. Alors pourquoi grossir les problèmes ? À moins qu'on ne veuille faire de l'Islam une matière inflammable ? On est un peu habitué du fait.

Pour conclure mon propos, la dédiabolisation de l'Islam est le test de crédibilité de notre république laïque. Nous devons être capables de lutter contre l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques, sans stigmatiser les musulmans, et de donner à chacun les moyens d'exercer dignement sa pratique religieuse, sans transiger sur la laïcité.

La ligne de conduite qui doit être la nôtre est aussi simple sur le plan théorique qu'elle est exigeante du point de vue de la pratique. Pour moi, la loi doit protéger la foi, aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi. Les musulmans de France ont surtout besoin d'être considérés comme des citoyens à part entière, et non comme des citoyens à part, d'autant que, selon un principe de la philosophie tiré du droit musulman, la règle qui s'applique aux habitants musulmans d'un pays non musulman est la règle du pays d'accueil.

Enfin, l'Islam de France est lié à notre histoire coloniale et à ses vicissitudes. En cela, l'Islam est porteur d'une histoire récente et douloureuse, qui comporte des épisodes comme la décolonisation, mais aussi de rituels et d'une spiritualité spécifiques. Il est actuellement le vecteur d'une recomposition identitaire. Afin que l'Islam se recentre sur sa dimension spirituelle, il est essentiel, me semble-t-il, d'empêcher son instrumentalisation, aussi bien par les intégristes que par les Islamophobes. Ces derniers se nourrissent l'un de l'autre et cannibalisent l'espace médiatique. L'Islam est devenu un sujet politique. On doit savoir en parler et je remercie cette mission d'information de m'avoir écoutée.

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