La dernière question me paraît la plus simple. Me voyez-vous beaucoup sur les plateaux télévisés ? Non, car je n'y suis jamais invitée du fait que je représente ce qui n'est pas dans la ligne. J'ai un jour été pré-sélectionnée pour participer à une grande émission du soir, mais on ne m'a jamais rappelée. Par curiosité, j'ai alors regardé les personnes qui avaient été retenues à ma place pour parler de l'Islam. Ces personnes appartenaient toutes à cette catégorie que j'appellerai « analphabètes bilingues » ! Je ne conçois pas d'être représentée dans les médias par de tels individus ! On ne nous tend pas le micro ! Une élite républicaine sortie de nos grandes écoles, qui se reconnaît dans la sphère de l'Islam, ça existe pourtant ! On a dû créer le Club XXIème Siècle, qui a fourni plusieurs ministres d'ailleurs, pour que cette élite puisse être visible. Dans la sphère économique, nous sommes représentés puisque les compétences priment sur l'origine. Mais ce n'est pas le cas dans les sphères politiques, citoyennes et médiatiques !
Je siège au Comité d'éthique aux côtés de journalistes et de représentants des médias, que j'interpelle souvent. J'ai présenté quelques propositions pour qu'on regarde autrement cette question de la diversité à l'écran, qu'on abandonne ces représentations identitaires formatées. Des patrons de chaînes se sont intéressés à moi, non pour que je passe à l'écran, mais pour que je les aide pour changer les mentalités au sein même de la télévision. Je suis membre du Comité d'éthique de BFM TV, où l'on a fait quelques progrès, avec des visages nouveaux. Un habitant des quartiers ne se sent souvent représenté par personne, faute de visage ni de modèle positif d'identification. Tout le monde ne peut pas s'identifier à Zinedine Zidane ou à Djamel Debbouze. Cet habitant a peut-être besoin de s'identifier au médecin, à l'avocat ou encore à l'enseignant qui passera à la télévision.
L'élite existe et elle est brillantissime. Elle a dû se battre. Si je regarde mon propre parcours au Sénat, mes collègues ont reconnu mes compétences. Quand je présidais les débats, ils ont oublié mon appartenance. Encore faut-il être visible, alors que pour le moment les élites semblent ne pas exister, faute de la visibilité suffisante. Pendant ce temps-là, les radicaux sont sur les plateaux télévisés et on nous dit qu'ils représentent l'Islam de France. Bien évidemment, on peut penser que l'Islam n'existe que dans sa radicalité et sa médiocrité, puisque ces personnes-là les incarnent totalement.
La question de la discrimination sociale est compliquée, comme l'a constaté la commission d'enquête sur les réseaux djihadistes. À l'évidence, les discriminations sont aussi des morts sociales. Pour autant, tous les gens discriminés ne vont pas au djihad ! Il y a donc autre chose. La question est plutôt celle de l'humiliation de tous les musulmans du monde, comme en atteste la diversité des provenances géographiques des recrues de Daesh. Dans le logiciel d'un musulman, lorsqu'on détruit Bagdad puis Damas, c'est comme si l'on tuait pour la seconde fois les Omeyyades et les Abbassides. Quelque part, on lui dit : « Tu n'existes pas, tu n'as jamais existé et tu es un moins que rien. » Je pense que les conditions de vie sont un terreau, car les personnes inactives sont plus facilement identifiables et sont des cibles privilégiées pour la propagande, à l'inverse des personnes occupées. Mais cet aspect ne me paraît pas principal, il y a manifestement autre chose.