Intervention de Alain Weill

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 10 février 2022 à 14h00
Audition de M. Alain Weill ancien président-directeur général d'altice france

Alain Weill, ancien président-directeur général d'Altice France et président de L'Express :

Merci pour cette introduction très précise concernant mon parcours. Vous êtes remonté très loin, en évoquant Radio Cocktail et mes années étudiantes, dans une cave de la rue Mouffetard.

Je suis devenu entrepreneur en 1999 après avoir quitté NRJ. Cette dernière voulait reprendre RMC, mais ne pouvait le faire sans céder Rire & chansons, ce à quoi Jean-Paul Baudecroux a renoncé. À cette occasion, j'ai décidé de l'acquérir. J'avais préparé le dossier en tant que directeur général du groupe NRJ. Je voulais être entrepreneur, et cette occasion exceptionnelle m'a été présentée. J'ai trouvé des fonds d'investissement qui ont cru à mon projet industriel, plus que n'importe quel opérateur du secteur. Le fonds français Alpha est resté très fidèle, et a également permis de financer BFM TV. Nous avons redressé RMC, qui avait été contrôlée par l'État jusqu'en 1998 avant d'être rachetée par le groupe Pierre Fabre, qui a échoué à stopper vingt ans de pertes.

Puisque j'avais peu de moyens, je récupérais les médias dont personne ne voulait. Après le redressement de RMC, j'ai racheté BFM Radio à la barre du tribunal, 10 ans après sa création, et après 10 ans de pertes. Nous en avons fait la radio de l'économie.

Après ces deux expériences réussies est arrivé l'appel à candidatures pour la TNT. Arrivés à l'équilibre, le CSA pouvait donner une fréquence supplémentaire à TF1 ou à M6. Finalement, notre analyse selon laquelle un nouvel entrant était nécessaire pour apporter du pluralisme dans l'information, avec un acteur expérimenté, nous a permis d'être retenus. Notre projet était celui de la chaîne de télévision de l'économie, CNBC. Puisque LCI n'avait pas déposé de dossier pour passer sur la TNT gratuite, nous avons estimé qu'il y fallait une autre chaîne d'information, en plus d'iTélé. Nous avons donc modifié notre projet, dans l'intérêt général. Nous avons finalement signé une convention pour une chaîne d'informations générales et notamment économiques. Nous n'avons affronté aucune contestation. Dans l'aventure BFM, nous avions la conviction, dès le premier jour, que nous pourrions devenir numéro 1. LCI était hors-jeu en restant sur le câble et le satellite. Nous voyions en outre qu'iTélé n'était pas une priorité chez Canal. BFM devenait, dans le même temps, le sujet principal de notre entreprise.

Nous avons subi des moqueries. Notre budget s'élevait à 15 millions d'euros, contre 50 millions chez nos concurrents. Je ne pouvais pas dès le départ avoir une tour à Boulogne. Nous avons démarré avec nos moyens, avec la conviction que nous serions après plusieurs années la chaîne disposant du budget le plus important. Pour être numéro 1, nous devions avoir le plus de journalistes, et investir dans le contenu. Cette aventure a été exceptionnelle, et difficile. Nous avons souvent été critiqués comme un nouvel acteur ayant changé les habitudes dans le secteur. Je crois que nous lui avons aussi beaucoup apporté. Il est plus simple de critiquer que de voir les avantages. Nous avons beaucoup mieux suivi la vie politique, les campagnes électorales. Nous avons lancé la retransmission des meetings en direct dès 2007, et avons permis à tous les Français d'avoir les images du monde. Il n'est pas simple de gérer une chaîne en direct 21 heures par jour. En 15 ans, nous n'avons pas vu tellement de dérapages. Je suis très fier du travail accompli par toutes les équipes.

Après BFM TV, il y a eu RMC découverte, la chaîne du documentaire, puis RMC Story, après le rachat laborieux de Numéro 23. Le CSA avait retiré la fréquence au cédant. Nous avons attendu que le Conseil d'État lui donne raison pour pouvoir acquérir la chaîne. Le développement de notre groupe en a été retardé.

Finalement, en 2015, j'ai pris la décision de céder mon groupe pour deux raisons. D'abord, la multiplication des chaînes d'information. Notre audience s'élevait à 2,4 ou 2,5 %. BFM TV compte 12 millions de téléspectateurs par jour, soit l'audience du 20 heures de TF1 sur 30 minutes. Nous étions un acteur puissant dans l'information, mais nous apportions, je pense, beaucoup de pluralisme et d'indépendance. Il est légitime que les responsables du groupe TF1 aient voulu faire de LCI une chaîne gratuite. Que le régulateur et le législateur l'aient permis nous a considérablement mis en risque. Le nombre de chaînes d'information a poussé à la radicalisation. L'un de ces acteurs a craqué, et a créé un équivalent de Fox News, première chaîne d'information aux États-Unis, avant MSNBC, puis seulement CNN. Voulons-nous des chaînes d'opinion en France ? Nous identifions un intérêt du public pour celles-ci, mais un véritable équilibre doit être trouvé.

Ensuite, j'identifiais un risque dans la révolution digitale et le poids des télécoms dans la distribution des chaînes. Le Parlement a également avancé sur le sujet de la numérotation. La diffusion des chaînes de télévision passera de moins en moins par le hertzien, et de plus en plus par la fibre. La cession de NextRadio au groupe Altice a été très rapide. Patrick Drahi m'a vendu un projet. Nous avons réalisé tout ce que nous avions prévu. Au départ, je devais diriger tous les médias du groupe. Patrick n'avait aucune ambition sur les contenus. Simplement, BFM devait rester numéro 1, et les pertes dans la presse devaient être limitées. En raison de notre bonne entente, je suis finalement devenu président d'Altice France, et président de SFR, preuve que l'intégration s'était bien déroulée. Chez BFM, rien n'a changé. Hervé Beroud est toujours là. Marc-Olivier Fogiel a rejoint l'entreprise sous ma présidence. La chaîne n'a pas été déstabilisée sur le plan éditorial. L'actionnaire n'a jamais exercé de pressions, bien qu'il ait parfois pu réagir en tant que téléspectateur.

Les pressions reçues durant ma carrière venaient plutôt du monde politique. BFM a été critiqué pour avoir tendu son micro à Leonarda après l'intervention du Président de la République. La crise des gilets jaunes a également été reprochée aux médias. Il n'était pas facile de diriger une chaîne d'information dans cette période. Nous avons toutefois toujours cherché à montrer la vérité. Sinon, ce sont les réseaux sociaux ou Russia Today qui s'en chargent.

À la fin de cette période, difficile pour BFM TV, nous avons considéré que nous avons bien fait notre métier.

Ensuite, la concentration et le pluralisme doivent s'adapter à la révolution digitale. Les Gafam sont aujourd'hui omniprésents. Ils sont américains, monopolistiques, très utiles, et ont rencontré un succès incroyable. Ils demandent à chaque pays concerné de s'adapter, ce que nous ne faisons pas assez rapidement. Ils modifient beaucoup le marché en termes de publicité, d'information et de culture. Facebook, Twitter, Google, Netflix ou Amazon sont très présents dans les secteurs de l'information et de la production. Ces sujets nous concernent tous.

Le déploiement de la fibre rendra très rapidement la TNT obsolète. Dans moins de cinq ans, la quasi-totalité des Français y sera connectée. Tous les engagements pris visent à fibrer très rapidement la totalité des habitations. Avant de quitter Altice, j'ai inauguré de nouveaux centres d'exploitation de la fibre en régions, dans des zones rurales. Du jour au lendemain, les gens abandonnent la TNT pour aller sur la fibre, qui leur amène le replay et les plates-formes digitales.

Enfin, la publicité adressée va totalement changer le monde de la publicité à la télévision. Un nouvel âge d'or se présente pour cette dernière. Nous ne devons pas manquer ce rendez-vous. La télévision apportera le meilleur de deux mondes : la possibilité de cibler la publicité, ce dont les annonceurs ne peuvent plus se passer ; et une expérience créative que le digital sur le mobile ou sur ordinateur n'apporte pas.

Je suis favorable à la fusion TF1-M6. Avec L'Express, nous sommes candidats pour racheter une chaîne, Express TV, et créer un groupe autour d'une marque d'information forte, qui fêtera l'année prochaine ses 70 ans. Je crois à la convergence entre les médias. Pour que les marques de presse historiques réussissent, elles doivent moderniser intensivement leur organisation et leur fonctionnement. Disposer d'une chaîne de télévision nous apparaît être un projet très excitant. J'espère que nous parviendrons à convaincre les vendeurs.

Les régulateurs doivent faire évoluer leurs logiciels d'analyse dans la réalité du développement du numérique, sans quoi nous risquerons d'affaiblir les entreprises françaises, si elles ne peuvent pas se battre à armes égales, en investissant et en se développant. Le marché pertinent de la publicité ciblée me semble être celui du digital. L'enjeu de la fusion TF1-M6 est celui du pluralisme. Je pense que nous devons donner plus de pouvoir au CSA, pour l'heure limité pour revoir les conventions ou contrôler le pluralisme pour les chaînes.

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