Bien qu'aucun rapport thématique exclusivement consacré à la RGPP n'ai été publié, la Cour des comptes s'est déjà exprimée à plusieurs reprises sur l'évolution de l'État territorial à travers notamment son rapport public thématique consacré à « la conduite par l'État de la décentralisation », publié en octobre 2009, ou par le biais de ces rapports périodiques sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État et sur la situation et les perspectives des finances publiques. En outre, plusieurs rapports portant sur la RGPP et ses conséquences sont actuellement en cours. Il en est ainsi du prochain rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui sera présenté au Parlement le 22 juin prochain, qui se fonde sur l'analyse des rapports annuels de performance de la loi de finances pour 2010. Un rapport sur la mise en oeuvre de la LOLF, demandé par le Premier Président de la Cour des Comptes, paraîtra cet automne et évaluera son impact sur la gestion territoriale et son articulation avec la RGPP. Enfin, la Cour des Comptes a programmé pour la période 2011-2013 des travaux sur la Réate. Toutefois, je ne peux m'exprimer sur les conclusions de ces futurs rapports, tant qu'elles ne sont pas rendues publiques.
Ce préalable étant posé, il convient de replacer la question des conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux dans une double perspective. La première est liée à la nécessité du redressement global des comptes publics. Dans son rapport public annuel de février 2011, la Cour des Comptes a souligné que la dette publique est supérieure à 1 600 milliards d'euros. Pour passer d'un déficit public de 7 % du PIB en 2010, selon les dernières estimations du Gouvernement, à un déficit de 3 % en 2013, et parvenir ensuite à l'équilibre des comptes publics, un effort de redressement considérable doit être réalisé.
La seconde perspective est liée aux évolutions de long terme dans l'équilibre entre État et collectivités territoriales, telles qu'elles sont issues des deux actes de la décentralisation. Dans son rapport thématique d'octobre 2009, la Cour des comptes a dressé quelques constats dérangeants : alors que les collectivités territoriales prenaient progressivement en charge des politiques auparavant assumées par l'État, les dépenses de celui-ci sont demeurées constantes jusqu'en 2006 alors que celles des collectivités n'ont cessé de progresser.
Trois facteurs permettent d'expliquer l'augmentation des dépenses locales depuis 1980 : les transferts de charges, la création de moyens de fonctionnement supplémentaires accompagnant ces transferts et un rattrapage qualitatif des équipements ou services transférés par l'État, illustré par exemple par la remise à niveau des établissements secondaires du second degré, tant sur les plans immobilier que de la gestion des ressources humaines.
En outre, s'il existe un lien général entre la décentralisation et la montée en puissance de la fonction publique territoriale, la Cour des comptes relève toutefois que la progression est particulièrement forte pour les échelons territoriaux qui n'ont pas été concernés au premier chef par les transferts de compétences. En effet, la croissance totale des effectifs s'est élevée à 62,8 % dans les collectivités territoriales entre 1980 et 2006, à 47,5 % dans les communes et à 147 % dans les structures intercommunales, alors qu'elles n'ont été concernées que de façon marginale par la décentralisation. Les travaux des juridictions financières sur l'intercommunalité ont également confirmé que la généralisation d'un double niveau d'administration des services publics de proximité s'accompagnait d'un surcroît de personnels, rémanent dans les communes, émergent dans les intercommunalités. S'agissant des effectifs de l'État, ils ont été globalement peu sensibles à la décentralisation : en effet, l'impact des transferts de compétences sur l'allègement des effectifs de l'État a été, jusqu'à une période récente, dilué et différé. Pourtant, les mesures de décentralisation engagées depuis les années 1980 auraient dû se traduire, toutes choses égales par ailleurs, par un allègement corrélatif des effectifs de l'État. Or, les effectifs totaux de la fonction publique d'État ont augmenté de 1980 à 2006 de 351 271 agents, soit + 16,16 %. En d'autres termes, l'acte I de la décentralisation a eu peu d'impact sur les effectifs de l'État en raison de l'absence de transfert des personnels des directions départementales de l'équipement (DDE) chargées des routes départementales ou des techniciens et ouvriers de services (TOS) des collèges et lycées. L'effet de la décentralisation sur les effectifs de l'État est en revanche plus marqué avec l'acte II de la décentralisation. Fin 2008, il ne restait plus, au titre des transferts opérés par la loi du 13 août 2004, que 20 000 agents à transférer sur les 128 000 agents devant faire l'objet d'un tel transfert. Le mouvement a donc été massif et rapide.
Globalement, le rapport public thématique de 2009 souligne « une adaptation tardive de l'État à l'organisation décentralisée de la République » avec :
- un remodelage contrasté des administrations déconcentrées, une réorganisation autonome et tardive des services de l'équipement au niveau interdépartemental après 2004 ;
- un lent dépérissement des directions départementales des affaires sanitaires et sociales, le désengagement de l'État n'ayant pas pour autant empêché celui-ci de continuer à confier à ces services des missions de coordination et d'acteur opérationnel de terrain en tant que généralistes de l'action et de l'urgence ;
- une insuffisante réorganisation des administrations centrales avec, par exemple, une absence de réorganisation de la direction générale des affaires sociales (DGAS) malgré les transferts de compétences de gestion des prestations sociales dont ont bénéficié les conseils généraux en 2002, 2003 et 2005. Au contraire, on note un recentrage opéré sur le pilotage des politiques sociales, l'animation des opérateurs et le soutien aux collectivités.
C'est en fonction de cette double perspective - obligation de redressement des comptes publics et adaptation à la décentralisation - à laquelle il faudrait également associer une analyse de l'évolution des fonctions et du rôle de l'État, qu'un regard peut sans doute être porté sur la RGPP, en dissociant les principes et la réalité.
Sur le plan des principes, la Cour des Comptes s'est prononcée à de multiples reprises en faveur de mesures structurelles, aussi bien en recettes qu'en dépenses, destinées à redresser les comptes publics. Elle a également marqué son attachement à une revue de programme, au sens de revue de politiques, telle que réalisée dans d'autres pays et envisagé lors du lancement de la RGPP. Elle aurait conduit à s'interroger sur la raison d'être des politiques publiques et permis de dépasser la logique des moyens. Il convient par ailleurs de souligner que certaines mesures de la RGPP, telles que les conservations des hypothèques ou la gestion des pensions des fonctionnaires, sont issues de recommandations de la Cour.
Dans la réalité, la RGPP mobilise fortement les administrations, plus au niveau de la redéfinition de leurs organigrammes que sur la révision des politiques à mettre en oeuvre. Par ailleurs, le champ budgétaire couvert par la réforme s'élève à environ 140 milliards d'euros, qui s'avère plus réduit que prévu. La réforme est désormais centrée sur les seules dépenses de fonctionnement de l'État, hors interventions et intérêts, soit moins de 15 % de la dépense publique. Malgré tout, le champ sur lequel porte la RGPP représente près de 40 % du budget de l'État.
Selon la Cour des Comptes, une autre démarche mérite d'être engagée pour maîtriser la dépense publique, celle de l'évaluation des politiques publiques qui permettrait de sortir d'une approche reposant uniquement sur le fonctionnement de l'État et ses personnels.
Le champ budgétairement restreint de la RGPP conduit à des économies vraisemblablement limitées. Pour mémoire, rappelons que, pour l'ensemble des administrations publiques, les principales dépenses sont les prestations sociales en espèces (34 % du total en 2009), les rémunérations (24 %), les dépenses de l'assurance maladie (11 %), les subventions et transferts à des entités classées hors du champ des administrations publiques (10 %) et les dépenses de fonctionnement hors rémunérations (9 %). Selon le rapport du cinquième conseil de modernisation des politiques publiques publié en mars 2011, le Gouvernement prévoit que la RGPP permettra une économie d'environ 13 milliards d'euros pour la période 2009 - 2013, dont 5 milliards d'euros pour la seule année 2011 et 10 milliards d'euros pour les années 2011 à 2013. Le non remplacement d'un départ à la retraite sur deux doit se traduire par une économie brute d'environ 1 milliard d'euros chaque année dont la moitié doit être rétrocédée aux fonctionnaires. En d'autres termes, l'économie nette totale attendue de la RGPP sur cinq ans est de 10,5 milliards d'euros, dont 2,5 milliards d'euros grâce à la maîtrise de la masse salariale, le solde provenant des dépenses d'intervention et de fonctionnement.
Ces montants sont à rapprocher des besoins en recettes et en dépenses nécessaires pour redresser le solde des administrations publiques : dans son rapport sur la situation des finances publiques de juin 2010, la Cour des Comptes a recommandé un effort structurel de réduction du déficit de l'ordre de 20 milliards d'euros. C'est pourquoi elle estime nécessaire de « changer l'échelle des économies réalisées ».
Par ailleurs, dans un rapport demandé par la commission des finances de l'Assemblée nationale, en application de l'article 58-2 de la LOLF, la Cour a observé que les mesures actuelles n'étaient pas de nature à stabiliser la masse salariale de l'État. La rétrocession aux agents des économies induites par le schéma d'emplois a été en réalité nettement supérieure à 50 %. Estimée à 430 millions d'euros dans les rapports annuels de performance, soit la moitié des économies supposées avoir résulté de la règle du « un sur deux », elle avoisinerait en réalité les 700 millions d'euros !
S'agissant de la véracité des économies annoncées par le Gouvernement dans le cadre de la RGPP, la Cour a considéré, dans ses travaux déjà publiés, que le chiffrage du gouvernement était peu documenté. Le chiffrage global des économies escomptées, présenté au Parlement au mois de juin 2008, a été élaboré à partir des travaux des équipes d'audit. Il s'agit d'économies brutes pouvant donner lieu à des redéploiements et conduisant par conséquent à un gain net inférieur. On constate d'importants écarts entre les fiches de suivi de mesures réalisées par les ministères, lorsqu'elles comprennent une évaluation, et les travaux initiaux. La traçabilité des décisions mises en oeuvre, notamment de leurs effets budgétaires, est insuffisante, comme l'atteste un récent référé de la Cour sur les bases de défense. En effet, les évolutions des décisions ainsi adoptées ne sont jamais présentées dans les rapports du CMPP alors que la RGPP se présente comme un flux de décisions permanentes, dont le contenu évolue avec le temps.
Il est, de fait, difficile, à partir des documents transmis à la Cour, d'établir un lien clair entre le budget triennal de l'État et la RGPP. Dès lors, la Cour recommande que la lecture des documents budgétaires permette d'appréhender les économies, pour chaque mesure ou groupe de mesures, tant en crédits qu'en équivalent temps plein travaillé, en précisant l'horizon temporel envisagé de ces économies au regard des missions confiées aux administrations.
Sur l'incidence de la RGPP sur le plan territorial, force est de constater que, comme pour l'ensemble des mesures, les économies sont faiblement documentées en ce qui concerne les préfectures. Le ministère de l'intérieur ne souhaite communiquer, au titre de l'exercice 2010 en ce qui concerne la réalisation des mandats RGPP, que sur les résultats escomptés. Ainsi, sur la période 2009-2010, on compterait un gain en emplois de 1 393 EPTP dans les préfectures, dont 421 au titre du contrôle de légalité, 180 au titre de la carte nationale d'identité et des passeports, 65 au titre du système d'immatriculation des véhicules et 727 au titre des fonctions support (dont 500 pour la logistique et l'immobilier). La réalisation des mandats RGPP se heurte à des difficultés pour le système d'immatriculation des véhicules, ce qui a nécessité le maintien d'effectifs sur le terrain « par la budgétisation » de vacataires.
En matière de chiffrage, il conviendrait d'adopter une démarche plus globale pour au moins trois raisons :
- les négociations avec la direction du budget s'effectuent non par programme mais par ministère : le programme 307 « administration territoriale » peut donc être amené à perdre plus d'effectifs que prévu afin de suppléer les besoins des deux programmes de la mission « sécurité » ;
- le ministère a ouvert un nouveau chantier, conformément à la circulaire du 15 juillet 2010 sur la démarche qualité, au moment où les services doivent « rendre » des effectifs et qu'il faut prendre en compte les effets de la Réate ;
- certaines mesures RGPP se traduisent in fine par un transfert d'attributions aux collectivités territoriales et aux opérateurs comme l'illustre l'exemple de l'agence nationale des titres sécurisés.
S'agissant de la Réate à proprement parler, la Cour des Comptes a inscrit, dans son programme triennal de travail pour la période 2011-2013, le contrôle de sa mise en oeuvre. Parallèlement, elle examine les conditions d'application de la LOLF par les préfets et dans les services déconcentrés et la mise en oeuvre de la nouvelle politique immobilière de l'État (NPIE) dans les régions et départements. Dans son principe, l'application de la ReATE rejoint les préoccupations d'efficience et d'efficacité de l'administration déconcentrée exprimées par la Cour. L'une de ses limites tient cependant à son périmètre : elle ne concerne pas la justice, l'éducation, et la défense alors que, dans une acception large, peuvent s'y rattacher la réorganisation des administrations financières ainsi que celles du secteur sanitaire et social, avec la création des agences régionales de santé.
L'affirmation du niveau régional de l'État sur le niveau départemental pour la conduite des politiques publiques, à travers le pouvoir d'instruction du préfet de région aux préfets de département, correspond aux orientations promues par la Cour. Cette évolution, déjà ancienne et confirmée par le décret du 16 février 2010, n'a pas remis en cause le niveau gestionnaire du département, où se concentrent les moyens de l'État. Par ailleurs, la Cour des Comptes suit attentivement les réformes mises en oeuvre depuis 2010, notamment la création des directions départementales interministérielles, dont elle établit actuellement un bilan.
La Cour a également contrôlé la gestion territoriale de l'immobilier de l'État, par un référé du 30 novembre 2009 et un relevé d'observations provisoires d'octobre 2009. Les textes définissant les pouvoirs des préfets prévoyaient de longue date une telle gestion territoriale, indispensable à l'économie et à l'efficacité de la politique immobilière. Mais il n'existait ni instrument budgétaire, ni rassemblement des compétences humaines, ni programmation interministérielle des entretiens et des restructurations des implantations. Les conditions de mise en oeuvre de la nouvelle politique immobilière de l'État (NPIE) répondent à plusieurs observations et recommandations de la Cour. Les objectifs de la ReATE, à travers la création des directions départementales interministérielles et le regroupement des directions régionales, ont permis de reconsidérer l'immobilier existant, et de faire des choix compatibles avec les exigences nouvelles de superficie par poste de travail et les perspectives de baisse d'effectifs, d'économies de fonctionnement et d'investissement, qui sont à replacer dans le contexte du Grenelle de l'environnement.
Toutefois, au moment où elle intervient, la ReATE se heurte aux insuffisances des travaux préalables de diagnostic et de stratégie immobilières, comme à celle des outils informatiques. Par ailleurs, les opérateurs de l'État ont été tardivement invités à élaborer des schémas stratégiques immobiliers (SPSI). Malgré ces réserves, la ReATE semble obtenir des résultats tangibles en matière immobilière. Les travaux de l'instance nationale d'examen des projets (INEI) - instance d'arbitrage placée auprès du secrétariat général du Gouvernement - indiquent que les projets d'initiative locaux élaborés par les préfets visent à réduire les sites immobiliers de 35 %, les surfaces de 15 %, et s'équilibrent globalement par les produits de cession.
Sur la question de la gestion territoriale des crédits, les difficultés souvent évoquées entre la gestion ministérielle des crédits et le rôle interministériel des préfets seront abordées dans le futur rapport de la Cour des Comptes sur la mise en oeuvre de la LOLF. Je rappellerai à votre mission que la LOLF, telle que souhaitée par le Parlement, prévoit une gestion des crédits de l'État par politiques publiques. A l'exception du programme des interventions territoriales de l'État, il n'existe pas de « programme territorial ». En outre, depuis la mise en oeuvre de la LOLF, au sein des comités de l'administration régionale, existe un dialogue de gestion, certes encore imparfait, mais qui a néanmoins le mérite d'exister par rapport à la situation antérieure. Ce que l'on constate depuis le début de la mise en oeuvre de la LOLF est une déclinaison territoriale très fragmentée des programmes en budgets opérationnels de programmes et en unités opérationnelles. Cette situation peut s'expliquer essentiellement par le retard pris dans l'évolution de l'organisation territoriale de l'État et par l'émergence tardive de l'échelon régional en tant qu'échelon de gestion de droit commun.
Reste à savoir qui doit opérer les crédits des programmes sur le plan territorial : le préfet de région a vocation à être le répartiteur effectif bien que, dans le système actuel des responsables de budgets opérationnels de programmes, il revient aux responsables « thématiques », tels que la DREAL, d'exercer la réalité de la fonction en liaison avec leur responsable de programme.
En conclusion, je rappellerai que, sur le principe, la Cour ne peut qu'être attachée à une révision générale des politiques publiques qui porterait bien son nom, en envisageant la question globale de l'efficacité et l'efficience des politiques publiques, et non simplement les questions d'organisation. Ensuite, la mise en oeuvre des politiques publiques est aujourd'hui largement partagée entre l'État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale selon des schémas excessivement complexes. Dans ces conditions, la cohérence de la répartition des compétences est au coeur des problématiques d'optimisation de la gestion publique. Enfin, les observations et recommandations de la Cour montrent que l'efficience de l'administration territoriale peut être améliorée : la proximité est certes un élément important mais ne représente qu'une composante du choix du bon niveau d'administration.