Intervention de Michel Peltier

Mission d'information Fonds marins — Réunion du 25 mai 2022 à 10h30
Audition de M. Michel Peltier délégué mer de l'office français de la biodiversité ofb

Michel Peltier, délégué mer de l'Office français de la biodiversité (OFB) :

Merci de m'avoir invité. À travers moi, c'est à l'OFB que vous donnez la parole. Il s'agit d'une agence de l'État, créée tout récemment, le 1er janvier 2020, par la fusion de l'Agence française de la biodiversité, qui était elle-même une agence assez récente, puisqu'elle datait de 2017, avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) - sachant que l'Agence française de la biodiversité avait intégré elle-même, en 2017, l'Agence des aires marines protégées, qui est le coeur maritime battant de l'OFB.

Cette Agence des aires marines protégées avait été créée en 2007, à la suite de la loi de 2006. Elle avait pour mission principale de mettre en place un réseau d'aires marines protégées dans les eaux françaises. Cette mission s'est élargie au fil du temps, notamment avec la directive-cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM), qui demande aux États de l'Union européenne de mettre tout en oeuvre pour assurer le bon état écologique des mers.

Cette DCSMM se fonde sur un certain nombre de descripteurs de biodiversité et d'environnement. Elle parle de l'impact sur les fonds marins, de l'eutrophisation, de la pollution... En tout, elle énumère onze descripteurs. Et les États doivent s'assurer que, pour tous ces descripteurs, les paramètres sont bons. Les premières évaluations datent de 2018, et elles sont défavorables ! Comme la directive-cadre sur l'eau, la DCSMM instaure un mécanisme de surveillance et de suivi scientifique, qui permet d'établir la qualité du milieu et de définir des remèdes. Toutes les actions réalisées, y compris la délivrance d'autorisations, comme les permis miniers, doivent se faire au regard de cet objectif final de bon état. Cela impose de procéder à l'appréciation de l'impact de chaque activité. Dans les eaux internationales, ce dispositif d'évaluation et de suivi pourrait être généralisé, sous réserve d'identifier des opérateurs internationaux susceptibles de s'en occuper.

L'OFB a-t-il été associé aux travaux récemment menés dans le cadre de la stratégie nationale et du programme France 2030 ? Honnêtement, non. C'est assez étonnant, d'ailleurs. M. Jean-Louis Levet n'a pas jugé bon de recevoir l'OFB, peut-être pour des raisons conjoncturelles, puisque son rapport a été rendu fin 2019, alors que nous étions en pleine fusion. Ce rapport, qui est resté longtemps assez confidentiel, développe une approche assez classique : on demande à un service de l'État quelles seraient les conditions de développement d'une activité industrielle en mer. Cela fait penser aux grandes stratégies lancées par le général de Gaulle pour développer telle ou telle industrie. Résultat : la biodiversité se trouve en quelque sorte en queue de peloton, elle est considérée comme un frein, comme le grain de sable qui enraye la belle mécanique. À cet égard, il aurait été bon que nous soyons associés à ces travaux, car la biodiversité est au coeur du débat : la mer n'est pas en bon état, et l'océan est agressé par un grand nombre de menaces, dont la première est le changement climatique.

Les grands fonds sont des milieux très stables, où la température et la densité sont remarquablement constantes, ce qui favorise considérablement le développement de la vie. La moindre évolution des conditions va probablement engendrer d'importantes conséquences sur l'océan. Un changement de la température, même de quelques centièmes de degrés, peut, dans les grands fonds, avoir des conséquences énormes sur des espèces conçues pour vivre à une température très stable. Un autre facteur déterminant est l'acidification, induite par le fait que l'océan absorbe de plus en plus de CO2. À cette menace, on ne peut apporter qu'une réponse globale, mais l'inertie du système est forte.

J'ai alerté à plusieurs reprises notre ministère de tutelle en rappelant que nous nous tenions à disposition pour contribuer à l'élaboration et à l'évaluation des politiques publiques, en particulier des politiques naissantes. C'est le cas puisque nous parlons du développement d'une activité prometteuse, mais qui appelle un encadrement public qui incombe à l'État. Or, étrangement, nous travaillons davantage avec des collectivités locales qu'avec l'État. Je suis donc enchanté que vous m'ayez invité !

Non seulement nous n'avons pas été associés aux travaux de préparation de cette stratégie, mais nous ne faisons pas partie de sa gouvernance : nous ne participons pas aux différents groupes de travail qui ont été mis en place. C'est dommage, car nous aurions une riche expérience à partager, notamment celle de l'ancienne Agence des aires marines protégées, qui avait commencé à cartographier la biodiversité marine afin de faire un état des lieux des enjeux. Il est vrai qu'elle avait commencé par les bandes côtières, où sont situées la plupart des zones protégées - et, dès 2012, l'Europe nous a demandé d'aller voir un peu plus au large.

Nous avons donc lancé des campagnes d'exploration en Méditerranée, dans les canyons profonds qui vont du plateau continental vers la plaine abyssale. Celles-ci ont fait intervenir de nombreux instituts de recherche, et ont montré la richesse spécifique de ces canyons. Elles ont aussi montré qu'on y trouvait, parfois à plus de 1 000 mètres de profondeur, des macrodéchets en quantité assez importante. Comme des rivières, ces canyons constituent des zones d'accumulation des déchets. L'activité anthropique y est en tous cas bien visible. Ces campagnes ont bien mis en évidence l'étroite relation entre la partie terrestre et les grands fonds, qui peut sembler contre-intuitive : les grands fonds ne sont pas un monde à part. Leur objectif était de créer des aires marines protégées, et d'étendre le réseau Natura 2000, ce qui a été fait en Méditerranée.

Nous avons aussi essayé de renforcer notre connaissance des enjeux de biodiversité dans les aires marines protégées. L'OFB est gestionnaire, de par la loi, des parcs naturels marins. La France n'en compte plus que huit, puisque celui des Glorieuses a été transformé en réserve naturelle nationale. Certains de ces parcs sont immenses. Celui de la Martinique, ou celui de Mayotte, couvrent l'ensemble de la zone économique exclusive (ZEE) de ces territoires. Le plan de gestion de ces parcs fait toujours référence à la nécessité de mieux connaître les habitats profonds, et à l'importance de confier cette exploration à des instituts installés sur le territoire. À Mayotte, il n'y a pas d'institut de recherche. Le plan prévoit donc de faire de Mayotte un pôle d'excellence en matière de connaissance et de suivi des écosystèmes marins, ce qui implique d'y faire venir un certain nombre d'établissements susceptibles de participer à la vie du territoire et de renforcer la connaissance des enjeux de biodiversité chez les habitants. Il est vrai que l'apparition du volcan devrait accélérer les choses...

En Corse, nous menons beaucoup de travaux sur les grands fonds. Nous y travaillons avec l'entreprise Abyssa, que vous connaissez, pour explorer des monts sous-marins près du cap Corse et des Agriates, tout en testant de nouvelles technologies et méthodologies d'exploration. L'objectif est de produire des cartes assez fines, en utilisant des instruments à haute résolution, et en réalisant des prélèvements pour mesurer la biodiversité. Nous cherchons également à évaluer les pressions qui pèsent sur la biodiversité. Vous connaissez peut-être l'acronyme DPSIR : le D, pour driver, désigne l'activité dont on évalue les effets ; le P, pour pressure, désigne la pression exercée sur le milieu, voire la pollution ; le S désigne l'état (state) de biodiversité envisagé ; le I désigne l'impact lui-même du stress généré par l'activité ; le R, enfin, désigne la réaction (response) que l'industriel ou les pouvoirs publics peuvent mettre en place pour réduire l'impact.

Le parc marin est un outil de protection assez efficace. Certes, il n'édicte pas de réglementations, et son conseil de gestion n'a que la capacité de faire des propositions : c'est toujours le préfet qui décide de prendre un arrêté, ou de délivrer une autorisation d'exploiter. Le parc marin, de ce point de vue, est relativement passif. En revanche, à chaque fois qu'un projet a « un effet notable sur le parc », selon les termes du code de l'environnement, le conseil d'administration de l'OFB - et, parfois, par délégation, le conseil de gestion du parc marin - doit rendre un avis, qui a valeur d'avis conforme : s'il est négatif, parce que le parc considère qu'il y a bien un effet notable et que cet effet notable est incompatible avec les objectifs de conservation qu'il poursuit, le projet ne peut pas se faire : le préfet ne peut pas donner une autorisation.

C'est ainsi que le parc naturel marin des Glorieuses, avant sa disparition, a rendu un avis sur un projet d'exploration non pas minier, mais pétrolier. Il s'agissait d'exploration sismique. Le projet n'a pas été autorisé. Il est vrai qu'il était particulièrement mauvais, puisqu'il s'agissait d'émettre de puissants sons dans un endroit très fréquenté par les mammifères marins... En principe, un bon pétitionnaire intègre à son projet les enjeux de biodiversité ! Il existe en effet un certain nombre de moyens pour réduire la pression ou l'impact sur le vivant, en tenant compte des saisons par exemple.

Vous m'interrogez sur notre rôle dans les outre-mer. Ce sont les collectivités territoriales qui ont la compétence. À Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie l'OFB est en appui et ne fait rien sans être sollicité par les gouvernements de chaque pays. Nous sommes d'ailleurs souvent appelés, car nos sujets intéressent ces gouvernements, notamment ceux qui ont trait à la protection et à la gestion d'aires marines. Toutes les eaux de Nouvelle-Calédonie, par exemple, sont sous statut d'aire marine protégée, avec le parc naturel de la mer de Corail, qui impose un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des grands fonds. En Polynésie, la situation est plus complexe mais, globalement, toutes les eaux de la zone économique exclusive (ZEE) sont couvertes par une aire marine gérée - ce qui n'est pas tout à fait le même statut qu'une aire marine protégée - et le Gouvernement polynésien, comme le Président Fritch l'a dit récemment à Brest lors du One Ocean Summit, a pour projet de créer une aire marine protégée au sein de cette aire marine gérée, d'établir une protection réglementaire de l'ensemble des récifs coralliens et de cartographier les quelque 500 monts sous-marins de la zone avec l'aide de l'OFB. Pour ce type de travaux, l'OFB mobilise l'expertise de divers instituts de recherche, par la commande publique ou le conventionnement. Par exemple, sur les monts sous-marins de Polynésie, nous travaillons avec le Muséum national d'Histoire naturelle.

Les principaux instruments de protection de la biodiversité en mer sont les aires marines protégées. Il est donc important d'avoir un certain nombre de garanties sur leur multiplication. L'objectif de couvrir 30 % de l'océan a été validé par les scientifiques. Est-ce à dire que tout est permis dans les 70 % restants ? Non, évidemment. Mais on peut y conduire un certain nombre d'activités, pourvu que ce soit fait de manière raisonnable, qu'il s'agisse d'exploiter une ressource naturelle renouvelable, comme la ressource halieutique, ou une ressource finie, pétrolière ou minière. Un moratoire interdit toute exploration pétrolière depuis 2017 dans la ZEE française. Sans doute faudrait-il trouver un moyen d'exploiter ces ressources sans impacter trop la biodiversité. À cet égard, il importe de bien identifier les enjeux. Sans forcément classer toute une zone en aire marine protégée, on peut savoir que, à tel ou tel endroit, il y a des enjeux majeurs. Pour identifier les impacts, un travail conséquent s'impose.

Actuellement, faute d'activité, nous n'avons pas beaucoup de recul - un peu comme sur l'éolien en mer. Or la transition énergétique provoque une forte demande, notamment pour les minerais et les terres rares. Il faut donc se lancer, tout en essayant de définir un cadre pour éviter des dommages irréparables. Cela implique de commencer par des projets pilotes, dont on peut mesurer concrètement l'impact sur site, et de définir des dispositifs de suivi solides, imposés par l'autorité compétente, pour mesurer, par des caméras ou des moyens de surveillance, les panaches, les quantités, etc. En amont, l'évaluation d'impact est fondamentale également. Les bureaux d'études ont trop souvent tendance à déclarer abruptement qu'il n'y aura pas d'impact.

La mer, l'océan et les espèces qui y vivent sont confrontés à un ensemble d'éléments de stress. Il n'y a pas qu'un facteur, que ce soit un parc d'éoliennes ou l'exploitation des fonds. Lors d'une conférence sur les éoliennes, un électricien disait que son projet serait la goutte d'eau qui ferait déborder le vase. Mais le vase est déjà bien plein ! La pollution, le bruit, le réchauffement climatique, la surpêche constituent déjà un cumul de stress. Il faut donc raisonner en tenant compte du cumul de leurs effets, notamment en dosant finement le nombre de projets acceptables, en fonction des capacités de chaque zone. Pour cela, l'activité économique et industrielle doit être accompagnée et suivie de façon très étroite par un dispositif scientifique capable de mesurer ses impacts sur la biodiversité.

Il n'est pas toujours simple, en effet, d'identifier la responsabilité de tel ou tel facteur sur l'évolution de telle ou telle ressource. Si l'on constate qu'une capacité trophique commence à faiblir, il faut remonter toute la chaîne pour savoir quelle en est la cause. Évidemment, le principe de précaution pourrait nous commander de ne pas en ajouter, vu le niveau de stress déjà imposé à la mer. Tant que nous ne sommes pas revenus à un bon état de la mer, c'est-à-dire un état où elle est résiliente et capable de faire face aux chocs et aux pressions qu'on lui inflige, nous ne devrions pas lancer de nouveaux projets. Les eaux européennes sont suivies et évaluées. Clairement, y ajouter du stress est une mauvaise idée, car elles ne sont pas en bon état.

En haute mer, rien n'est suivi. Peut-être que l'état est meilleur, peut-être qu'il est moins bon : franchement, on n'en sait rien. En tous cas, l'évaluation de l'état initial me semble assez indispensable. C'est souvent le problème pour les éoliennes : cette évaluation d'état nécessite des moyens importants et du temps long, qui se compte en décennies. Les enjeux économiques et stratégiques s'accommodent mal d'une telle temporalité. Il faut donc gérer cette incertitude. L'OFB peut y aider, notamment en développant une centralisation de la connaissance sur ce sujet. Des organismes de recherche, des universités, des agences, des entreprises privées, partout dans le monde, concourent à développer cette connaissance, souvent par des études d'impact. Mais tous n'ont pas le même protocole, ce qui réduit la valeur comparative de chaque démarche. La connaissance est donc éparpillée dans le monde. Il est bien difficile d'y avoir accès, y compris en ce qui concerne les données générées par la recherche publique.

Le CNRS réfléchit à la question, et appelle tous les chercheurs qui travaillent sur ces sujets à publier leurs travaux sur des plateformes communes. Pour avoir une vision globale, la seule méthode actuelle est de procéder à des évaluations collectives, qui durent deux ans et mobilisent un grand nombre de chercheurs. Nous en avons lancé une, par exemple, sur les impacts des éoliennes. Cette étude associera l'OFB à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et à l'Observatoire national de l'éolien en mer. Elle s'appuiera également sur le CNRS et, peut-être, le Muséum, pour procéder à une recherche bibliographique étendue à l'ensemble du monde. Nous pourrions étudier aussi l'impact des activités minières, ce qui serait peut-être plus facile. Comme pour toute activité émergente, il est intéressant de mettre en place un modèle numérique.

En septembre 2021, le Premier ministre a confié à l'OFB et à l'Ifremer le soin de monter un observatoire national de l'éolien en mer, avec deux missions. La première était de recenser la connaissance, y compris à l'étranger, et d'en tirer profit. La seconde était de mettre en place des protocoles destinés à homogénéiser la production de nouvelles connaissances. Nous devions aussi faire le rapprochement entre les zones propices et celles qui présentent des enjeux de biodiversité. De fait, pour l'industrie minière, il y a un problème, car les sulfures se trouvent dans des lieux qui sont très riches en biodiversité : ils créent un substrat qui offre un support à la vie. Il y aura donc sans doute un arbitrage à faire. Que conserver ? Une part de 30 % ? Une telle décision n'a de sens que si on comprend l'écosystème dans son ensemble. Il ne s'agit pas de casser un maillon de la chaîne.

Il faut aussi améliorer la technique de l'exploitation minière. Si l'on fait passer un bulldozer dans une forêt tropicale, on fait des dégâts. De même, si vous passez un chalut de fond dans des coraux profonds...

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