Intervention de Michel Sapin

Mission commune d'information impact emploi des exonérations de cotisations sociales — Réunion du 17 juin 2014 à 17h00
Audition de M. Michel Sapin ministre des finances et des comptes publics

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics :

L'emploi est évidemment l'un des tous premiers objectifs du Gouvernement depuis maintenant deux ans : je m'y suis attelé avec détermination en tant que ministre du travail et cette même volonté m'anime encore aujourd'hui en qualité de ministre des finances. L'emploi est au coeur de la stratégie économique du Gouvernement pour les trois ans à venir, au travers du pacte de responsabilité et de solidarité qui viendra compléter nos efforts antérieurs en matière d'emploi.

Soutenir l'emploi, cela ne se fait pas exclusivement en allégeant le coût du travail. Notre ambition n'est certainement pas de faire de notre pays un pays à bas salaires et bas coûts de main d'oeuvre, mais de promouvoir une stratégie de croissance fondée sur une montée en gamme et une hausse des qualifications de tous.

Cette stratégie, tout un ensemble de politiques y contribuent : l'incitation à la recherche et l'innovation, l'amélioration des dispositifs de formation initiale ou professionnelle, l'adoption de dispositifs performants de crédits à l'exportation, le développement des investissements d'avenir, par exemple le très haut débit, les stratégies de filière ou les concours d'innovation de rupture.

Pour dire les choses autrement, à côté de ce que les économistes appellent la compétitivité prix, liée aux coûts de production, il y a la compétitivité hors prix que nos politiques se sont attachées à encourager depuis deux ans.

Mais dans une union monétaire, nous devons aussi être attentifs à nos évolutions relatives de coûts salariaux.

Vous connaissez le diagnostic posé par Louis Gallois : la France avait décroché en compétitivité, notamment face à l'Allemagne, dans les dix années avant notre arrivée. Nous nous devions d'y remédier. C'est ce à quoi le Gouvernement s'est attelé avec vigueur.

Nous avons, grâce à nos politiques, inversé le mouvement sur les coûts salariaux, comme le montrent les données publiées par l'office statistique allemand, l'équivalent de l'Insee. Ainsi le coût horaire du travail aura été stable en France en 2013 (+ 0,2 %) alors qu'il a progressé de + 1,4 % dans l'Union européenne et même de + 2,1 % en Allemagne. Ainsi depuis 2011, l'écart entre la France et l'Allemagne se résorbe, et se referme même dans l'industrie (36,2 euros par heure en Allemagne contre 36,7 euros par heure en France fin 2013).

Certains s'interrogent sur un arbitrage entre emploi et compétitivité dans la stratégie d'allègement de cotisations. En fait, il n'y a pas à choisir, il faut soutenir l'emploi et la compétitivité dans le même mouvement car en améliorant la compétitivité, on fait progresser l'emploi, même s'il peut y avoir des décalages temporels.

En réduisant le coût du travail tout en maintenant la rémunération nette des salariés - et même en l'augmentant pour les salaires proches du Smic grâce aux allègements de cotisations salariales -, nous soutenons la demande de travail et donc l'emploi, notamment pour les moins qualifiés et moins expérimentés, tout en préservant le pouvoir d'achat des salariés concernés. C'est un choix collectif, un point structurant de notre modèle social, que d'offrir une juste rémunération au travail. Pour que cette rémunération ne fasse pas obstacle à l'emploi des moins qualifiés ou des entrants sur le marché du travail, nous choisissons d'en abaisser le coût pour l'entreprise - ce sont les emplois les plus sensibles au coût effectivement payé par l'entreprise. A ce titre, les emplois au Smic étaient exonérés d'une très large part des cotisations de sécurité sociale, en particulier dans les entreprises de moins de 20 salariés. Cela a permis au cours des années 1990 et 2000 de maintenir le salaire net au Smic au-delà de 60 % du salaire médian, tout en réduisant le coût du travail à près de 50 % de celui au salaire médian, soit 10 points de moins. Le niveau de vie d'un salarié au Smic est parmi les plus élevé des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) si on le rapporte au salaire médian, avec un salaire après impôt équivalent à 70 % du salaire net médian ; cependant, le coût du travail correspondant (relativement au niveau médian) reste dans la moyenne haute après allègements généraux (sous les 50 % en 2011).

L'effort consenti a été conséquent : 20 milliards de Cice et d'ici 2016, 10 milliards supplémentaires au sein du Pacte, soit un effort nouveau de 30 milliards, l'équivalent de ce que représente la contribution des entreprises au financement de la branche famille.

Le Cice s'est imposé suite au constat partagé et concerté de ce que notre compétitivité-coût s'était fortement dégradée depuis dix ans par rapport à nos partenaires, au premier rang desquels l'Allemagne. Nous avons choisi un crédit d'impôt uniforme, assis sur la masse salariale jusqu'à un salaire de 2,5 Smic. L'effet de compétitivité a été perceptible dès l'année 2013 dans les comptes des entreprises. Un champ large et une mesure simple permettent d'améliorer la visibilité pour les employeurs.

Cette année, les entreprises commencent à bénéficier financièrement et concrètement du crédit d'impôt. En effet, le Cice est calculé sur les rémunérations versées en 2013 et il impacte l'impôt 2014. D'après les données déclarées par les entreprises auprès des organismes de sécurité sociale, c'est plus d'un million d'entreprises qui devraient être concernées au total pour une créance globale de Cice de 12 milliards cette année.

Nous avons reçu mi-mai les déclarations des entreprises clôturant leur exercice au 31 décembre 2013. Cette vague, qui concerne les deux-tiers des entreprises, permet de dresser un premier bilan qui montre que le Cice fonctionne. Ainsi ces premières entreprises nous ont déjà déclaré un montant cumulé de 7 milliards de Cice.

Cette stratégie est amplifiée par le pacte de responsabilité et de solidarité, dont la logique est globale : soutenir l'emploi très vite, par une baisse de cotisations sur les bas salaires ; soutenir la compétitivité ensuite par une baisse uniforme de cotisation famille jusqu'à 3,5 Smic ; abaisser et moderniser la fiscalité des entreprises et, enfin, augmenter la progressivité de nos prélèvements fiscaux et sociaux, et soutenir aussi le pouvoir d'achat des salariés et ménages aux revenus modestes.

La logique des allègements est donc amplifiée : d'un côté, un coût du travail fortement réduit au niveau du Smic, avec zéro cotisations Urssaf, hors cotisations chômage, auxquelles s'ajoute 6 % de Cice, et de l'autre un pouvoir d'achat renforcé, avec 500 euros par an de salaire net supplémentaire soit l'équivalent d'un demi treizième mois pour un salarié au Smic.

Cette stratégie est intégralement financée en cohérence avec notre objectif de maîtrise des comptes publics. Le financement du pacte s'inscrit dans la trajectoire globale des finances publiques présentée dans le programme de stabilité, avec, s'agissant de 2015, un effort d'économies sur les administrations publiques marqué, de 21 milliards dès l'an prochain.

Nous faisons donc un effort budgétaire important en faveur de l'emploi, pour les entreprises, leur effort d'investissement, d'innovation et d'emploi, et non pas pour les chefs d'entreprise. C'est le sens des contreparties qui, entreprise par entreprise, feront l'objet d'un suivi.

Cet effort est conforté par les résultats estimés par le monde académique. Les travaux récents du Haut Conseil du financement de la protection sociale ont permis d'en faire à nouveau la synthèse dans un cadre concerté. J'en retiens notamment les éléments suivants : jusqu'à 800 000 emplois créés ou sauvegardés grâce aux allègements généraux, peut-être même plus selon certains ; 300 000 emplois créés grâce au Cice, dont de l'ordre de 100 000 d'ici la fin de cette année ; 200 000 emplois supplémentaires attendus grâce au pacte de responsabilité et de solidarité dans son ensemble, dont les trois-quarts dus au volet « baisse du coût du travail ».

La réussite de cette stratégie appelle une mobilisation de l'ensemble des acteurs économiques et sociaux pour permettre de recréer les conditions de la confiance, propices à l'embauche et l'investissement. C'est là tout l'enjeu des négociations sur les contreparties au Pacte, notamment du relevé de conclusions entre partenaires sociaux du 5 mars dernier, et des discussions à venir lors de la Grande conférence sociale de l'été.

Enfin, j'insisterai sur ce point : le suivi du Cice par branche va devenir une réalité grâce au pacte de responsabilité, les organisations syndicales ont motivé leurs représentants au sein des comités d'entreprise pour jouer un rôle actif dans le suivi du crédit d'impôt, pour voir ce qui est fait de cet argent public. Le pacte de responsabilité permet de suivre les baisses supplémentaires de charges, c'est un aspect auquel nous sommes très attachés.

Un comité de suivi du pacte va être mis en place, toutes les organisations représentatives y seront, y compris les plus critiques, car chacun sait que c'est le bon endroit pour réunir l'information, quelle que soit la conclusion qu'on en tire par la suite. Nous ne sommes donc pas naïfs sur le fait qu'il y a toujours un rapport de force dans une négociation, mais nous voulons la transparence sur les faits, sur l'information, pour que le débat soit le meilleur sur l'utilisation des ressources publiques au service de l'emploi et de la croissance de la France.

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