Intervention de Claire Leconte

Mission commune d'information sur les rythmes scolaires — Réunion du 26 février 2014 à 15h07
Audition de Mme Claire Leconte chercheur en chronobiologie

Claire Leconte, chercheur en chronobiologie :

Permettez-moi tout d'abord de me présenter. Chercheur en chronobiologie, j'ai effectué des travaux de recherche pendant plusieurs années dans un laboratoire spécialiste du sommeil à Lille 3, pour étudier les liens entre les rythmes du sommeil et l'apprentissage. J'ai également travaillé pendant trois ans au Centre hospitalier régional (CHR) de Lille au service des grands prématurés, afin d'améliorer leur environnement de vie et leur éviter des troubles du sommeil. J'ai apprécié le rôle fondamental de l'environnement global sur le rythme de veille et de sommeil.

Professeur émérite de psychologie de l'éducation, j'ai formé de nombreux professeurs des écoles et psychologues scolaires et participé aux programmes éducatifs sur l'apprentissage. Mes travaux ont notamment porté sur des facteurs comme la motivation, le climat au sein de la classe et le style cognitif des enfants. Pour moi, la chronobiologie n'est pas une finalité en soi, comme je l'avais écrit dans un article publié en 1998 « Appel pour une chronopsychologie antigourou » : il faut arrêter de croire que l'ensemble des problèmes d'échec scolaire pourront être résolus avec la chronobiologie. La simple analyse de la courbe de vigilance ne supprimera pas l'échec scolaire.

Parallèlement à ces recherches fondamentales, j'ai travaillé avec les écoles, dans les écoles et pour les écoles. Quelle est l'utilité sociale de cette recherche fondamentale ? Les travaux que j'ai menés depuis le début des années 1980 ont permis de réorganiser au mieux l'école en fonction des besoins des enfants sur l'ensemble des temps scolaires et non scolaires. J'ai ainsi monté des projets éducatifs des temps de l'enfant, qui ont perduré.

À la demande des ministères de l'éducation nationale et de la jeunesse et des sports, j'ai été amenée à évaluer l'aménagement des temps, ce qui correspond à une problématique ancienne depuis la publication en 1984 de la circulaire « Calmat-Chevènement ». Dans ces rapports d'évaluation, il a été mis en évidence que certaines modalités d'aménagement pouvaient produire des effets négatifs ou positifs.

Je suis ainsi en mesure d'affirmer que je dispose d'une bonne connaissance de l'école dans son ensemble, alors que la France se situe en bas des classements internationaux. Les évaluations du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Program for International Student Assessment, PISA) s'appuient sur les données recueillies auprès d'élèves âgés de 15 ans en 2012, et qui étudiaient donc dans les classes d'école primaire avant les réformes de 2008, dans le cadre de semaines de quatre journées et demie et sur la base des programmes de 2002 - ce qui n'a pas empêché notre pays de se situer en bas de l'échelle PISA.

Je ne parle plus de rythmes scolaires, car ce terme n'est pas scientifique : il a été construit lors de la découverte des rythmes biologiques et n'est d'ailleurs employé qu'en France. L'expression « rythmes scolaires » ne concerne que l'emploi du temps scolaire, que cadre de manière rigide le décret de 2013. Les temps doivent bien être envisagés dans leur globalité, alors que les temps scolaires (soit 864 heures par an et moins de 800 heures sans les récréations) ne représentent que moins de 10 % de la vie d'un enfant.

Je me suis toujours demandé pourquoi cette réforme n'avait relevé que du ministère de l'éducation nationale, alors qu'elle a une portée interministérielle et concerne également les ministères de la jeunesse et des sports, de la culture, de la santé, de la famille et du travail si l'on veut avoir une vision globale de l'enfant.

J'ai rencontré plus de 300 représentants de communes ou d'intercommunalités depuis un an que je sillonne la France. J'ai recueilli les interrogations des acteurs de terrain, afin qu'ils puissent travailler ensemble à un projet significatif signifiant. Or, personne ne connaît vraiment les rythmes biologiques de l'enfant. J'ai aussi présenté des erreurs à ne pas commettre. Le millier de personnes que j'ai rencontrées m'ont remerciée, car elles ont compris que leur mal-être provenait du non-respect de leurs rythmes biologiques.

Mon intérêt porte en effet sur les rythmes biologiques puisque nous sommes programmés génétiquement. Il n'y a plus de respect de la régularité du rythme veille-sommeil, ce qui a des conséquences sur l'apprentissage des enfants. Lors de la concertation qui avait précédé la loi sur la refondation de l'école, Mme Colombe Brossel, adjointe au maire de Paris chargée de l'éducation, avait ironisé sur mes observations en indiquant qu'elles seraient reprises dans le rapport issu de la concertation. Mais, de fait, il y a bien eu un vrai travail de concertation.

J'en viens à la courbe de vigilance. L'auteur à l'origine de ces travaux m'a affirmé que les données présentaient des fluctuations journalières et suivant l'âge, les activités périscolaires et extrascolaires et les origines sociales et culturelles. Cela représente un grand nombre de conditions à respecter ! Par ailleurs, les données sont surtout recueillies auprès d'élèves de cours moyen. Pour ma part, j'ai toujours préféré faire confiance aux enseignants pour qu'ils fassent le meilleur usage des temps scolaires.

Il faut bousculer la journée scolaire traditionnelle, qui dans son organisation actuelle date de 1834 après la promulgation de la loi Guizot en 1833. La semaine comportait alors cinq jours de classe (les lundi, mardi, mercredi, vendredi et samedi) et des durées de cours de 3h30 le matin et 3 heures l'après-midi. Or les cours du matin n'ont jamais été équivalents à ceux de l'après-midi, comme on le sait depuis les travaux du sociologue Alfred Binet, publiés en 1905.

Sur cette base, nous avons invité les familles à ne pas ignorer les vertus d'un petit déjeuner de qualité. J'ai fait supprimer la première récréation du matin, celle qui précédait l'entrée en classe : les enfants ne s'énervent plus durant dix minutes dans la cour de récréation, mais s'installent tranquillement en classe et sont disponibles lors du démarrage de la journée. Il faut privilégier davantage de matinées de cours dans la semaine, et j'ai étendu l'organisation de la semaine scolaire jusqu'à six matinées par semaine.

J'ai mis en évidence que tous les enfants de classe maternelle et élémentaire, voire de cours moyen, étaient plutôt des enfants matinaux qui pouvaient commencer tôt leur journée de classe. Or aujourd'hui, des enfants attendent parfois 1h30 entre leur arrivée à l'école, à 7h30, et le début des cours à 9h00.

L'importance de disposer d'un plus grand nombre de matinées de cours dans la semaine m'a conduit à m'opposer à la semaine de quatre jours et à plaider pour des matinées plus longues afin de modifier substantiellement la qualité des apprentissages. Le matin on n'apprend pas seulement à lire, à écrire et à compter en mathématiques et en français, mais dans l'ensemble des matières : il faut intégrer la musique, l'éducation physique et sportive, les langues vivantes, l'informatique et la découverte du monde... en faisant alterner les séquences pédagogiques suivant des activités abstraites, ou qui font appel à la créativité et à la motricité de l'enfant. Il est ainsi possible de maintenir la vigilance de l'enfant sans surcroît de fatigue. On met en évidence les liens entre les différentes matières, qui apparaissent toutes également importantes aux yeux des enfants.

Pour que les enfants retrouvent un intérêt dans les activités scolaires, il faut éviter l'émiettement des temps et organiser les activités suivant des parcours comportant des objectifs à atteindre, ce qui entre dans la construction du projet éducatif.

Le bien-être des enfants et leur réussite sont entièrement dépendants de la qualité de vie professionnelle de tous les intervenants, qu'ils soient enseignants ou acteurs de l'animation. Il faut donc requalifier le travail des animateurs en mettant fin à la précarité de leurs emplois qui comportent des temps de travail très courts. Comment demander à des communes très isolées de trouver des encadrants de qualité ? J'ai vu se mettre en place des réformes où le mercredi matin comportait moins de deux heures de cours avec des temps de trajet aller et retour d'une heure et demie, et il était parfois recommandé de regrouper les activités d'éducation physique et sportive sur cette matinée ! J'ai aussi vu des organisations comportant des durées d'activité de seulement trois quarts d'heure pour justifier le respect du cadre des neuf demi-journées de classe.

Comment croire à une moindre fatigue des enfants avec des centres de loisirs croulant sous les demandes, et parfois quarante minutes de trajet jusqu'à la cantine scolaire ? J'ai vu demander aux parents de fournir des paniers repas !

Dès 1995, j'avais cosigné une tribune contre la semaine de quatre jours. Mais il ne s'agissait pas de ne rien changer ou de déstructurer des centres de loisirs qui avaient des projets intéressants. Le principe d'une semaine de neuf demi-journées est la conséquence du décret de 2008 qui a envisagé une organisation par demi-journée, alors qu'auparavant la semaine était organisée sur cinq journées. J'ai regretté ce choix dès le départ. Le rapport de Michèle Tabarot sur le développement de l'offre d'accueil de la petite enfance, en juillet 2008, avait pointé le risque de rigidifier les temps scolaires, alors que les avantages de la semaine de cinq jours n'étaient pas négligeables au regard des expériences de certaines écoles en France et à l'étranger.

Les très nombreux maires que j'ai rencontrés m'ont dit que l'organisation de la semaine sur quatre journées et demi devait permettre de proposer à tous les enfants des parcours éducatifs de qualité au moindre coût, et non pas consister en des activités pour occuper les enfants, ce qui exigeait une vraie mutualisation des interventions entre les enseignants et les animateurs. Un maire de Haute-Savoie, qui a travaillé avec la Fédération des oeuvres laïques (FOL), a observé qu'un accord donné à mon projet conduirait à la création de six emplois. Je demande donc à revoir la situation issue de la réforme, car je constate que ce sera une vraie galère dans de nombreuses communes qui ne pourront pas mettre en application des projets de qualité. Je tiens à votre disposition les courriers d'une ensemble de maires de grandes villes et de communes rurales qui tous me disent qu'ils avaient réussi à construire de vrais projets consensuels, mais qui ont été rejetés car ils n'étaient pas basés sur une semaine de neuf demi-journées. J'ai aussi un courrier d'un candidat aux municipales à Besançon qui appelle à faire sauter ce verrou pour la mise en place de projets éducatifs de qualité.

Je finis par me poser des questions sur l'ambition qui prévaut dans cette réforme, à la relecture d'un article d'un proche du ministre qui s'interroge sur la manière dont la science peut aider à la réforme des rythmes scolaires. Il déclare qu'il ne faut pas décider de manière péremptoire l'organisation de telle matière à telle heure, mais que l'on doit se demander qui est responsable de telle discipline qui figure encore au programme ! De tels propos sont inquiétants, alors même que de nombreuses craintes s'expriment sur une possible municipalisation des professeurs des écoles et le risque de disparition des programmes de certaines matières qui seraient renvoyées aux activités péri et extrascolaires.

En conclusion, je demande le déverrouillage des neuf demi-journées. Nous sommes nombreux à exiger qu'on nous autorise à expérimenter des vrais projets éducatifs consensuels, sur la base d'une connaissance d'un état des lieux et d'une évaluation ex post de certaines organisations qui apparaissent bénéfiques à l'enfant.

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