Intervention de Gilles-Pierre Lévy

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 20 juin 2012 : 1ère réunion
Audition conjointe de M. Gilles-Pierre Lévy président de la deuxième chambre et de Mme Michèle Pappalardo conseillère maître à la cour des comptes ainsi que de représentants de la commission de régulation de l'énergie de représentants de la direction générale de l'énergie et du climat du ministère de l'écologie du développement durable et de l'énergie et de représentants d'edf

Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, en application des dispositions effectivement très peu usitées de l'article L. 132-4 du code des juridictions financières, vous avez donc bien voulu demander à la Cour des comptes une mise à jour de l'insertion qu'elle avait faite à son rapport public annuel de 2011 sur la contribution au service public de l'électricité.

Nous sommes parvenus à accomplir ce travail dans des délais inhabituellement brefs grâce notamment à la diligence de Mme Pappalardo, ainsi qu'à la coopération de la CRE, de la DGEC et d'EDF, qui ont donc déjà eu l'occasion de formuler leurs observations sur l'actualisation de nos analyses.

Je commencerai, en priant les spécialistes du sujet ici présents de bien vouloir m'en excuser, par rappeler des éléments de base.

La CSPE est un supplément de prix du kilowattheure, payé par le consommateur d'électricité en vue de compenser trois types de charges imposées aux producteurs d'électricité, c'est-à-dire d'abord à EDF : les surcoûts liés à l'obligation d'achat de l'électricité issue de la cogénération et des énergies renouvelables sur l'ensemble du territoire ; les surcoûts de production dus à la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées - autrement dit, pour l'essentiel, les îles ; le coût des dispositifs sociaux en faveur des personnes en situation de précarité.

La Cour des comptes a examiné ces trois points au regard d'abord des observations qu'elle avait émises dans l'insertion de janvier 2011, ensuite de l'évolution des règles relatives à la CSPE depuis cette date, enfin des prévisions faites pour l'évolution de cette contribution, en termes tant de recettes que de dépenses, d'ici à 2020, échéance retenue par les uns et les autres en matière de programmation énergétique.

Je rappellerai donc les quatre recommandations formulées par la Cour des comptes en janvier 2011, à partir du constat que le taux de la CSPE, fixé depuis 2004 à 4,5 euros par mégawattheure, ne permettait pas de couvrir les surcoûts imposés aux producteurs d'électricité - cela avait conduit à un déficit cumulé, pour EDF, de l'ordre de 2,8 milliards d'euros - et que la loi de finances initiale pour 2011 permettait de relever significativement ce taux.

Premièrement, la Cour avait recommandé de mieux maîtriser les facteurs de croissance des charges du service public de l'électricité, au premier rang desquels l'obligation d'achat à des tarifs trop attractifs, à « guichet ouvert », de l'électricité issue des énergies renouvelables, s'agissant notamment de la filière photovoltaïque.

Deuxièmement, elle s'était interrogée sur l'opportunité de continuer à soutenir des filières qui n'étaient pas jugées prioritaires dans la stratégie énergétique gouvernementale, telle la cogénération.

Troisièmement, elle avait suggéré de remettre à plat le dispositif d'ensemble de la CSPE, afin d'en rendre le fonctionnement plus lisible et d'en clarifier le statut fiscal, considérant en particulier que cette contribution, que le Conseil d'État avait qualifiée d' « imposition innommée » en 2006, était effectivement un quasi-impôt, dont le taux et les conditions de prélèvement devraient faire l'objet d'une autorisation périodique et d'un contrôle du Parlement.

Quatrièmement, elle avait soulevé la question d'un réexamen du financement du soutien au développement des énergies renouvelables et des autres charges du service public par le consommateur d'énergie en général, et non pas seulement d'électricité.

Que s'est-il passé depuis janvier 2011 en matière tant de fixation des recettes - c'est-à-dire du taux de la contribution supportée par les consommateurs d'électricité - que de calcul des dépenses - autrement dit des charges à couvrir par cette contribution ?

En ce qui concerne les recettes, les modifications législatives ont permis l'augmentation de la contribution supportée par le consommateur en laissant à la CRE le soin de proposer un taux sur le fondement d'une base objective de couverture des charges. Il est prévu que, en l'absence de décision du ministre, cette proposition s'appliquerait « par délégation » du législateur, les augmentations possibles étant soumises à un plafond de 3 euros par mégawattheure et par an.

Les chiffres montrent que, en pratique, la CSPE est passée de 4,5 euros par mégawattheure à 10,5 euros à compter du 1er juillet de cette année, soit une hausse de 133 % en dix-huit mois, faisant suite à une stagnation pendant six ans.

Compte tenu du plafonnement des hausses et de la croissance très rapide des dépenses, il faudra sans doute attendre 2017 pour que les déficits cumulés par EDF soient résorbés, mais les responsables financiers de cette entreprise parleront mieux que moi de ce point.

À titre indicatif, il est intéressant de rapprocher le taux de 10,5 euros par mégawattheure à compter de juillet 2012 des 35,9 euros par mégawattheure supportés, pour un objectif équivalent, par les ménages allemands.

En ce qui concerne maintenant les dépenses à couvrir au moyen de la CSPE, cinq points me paraissent devoir être soulignés.

En premier lieu, la principale mesure, qui a fait couler beaucoup d'encre, a visé à limiter le tarif d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque, d'une part en ne l'appliquant plus à « guichet ouvert » aux installations de plus de 100 kilowatts, d'autre part en révisant à la baisse les tarifs d'achat pour les installations de puissance inférieure. Cela étant, les engagements pris antérieurement en faveur d'installations qui n'étaient pas encore en service ont été respectés, ce qui entraîne un accroissement des dépenses au fur et à mesure de l'entrée en service de ces installations.

En deuxième lieu, pour ce qui concerne la cogénération, je constate que, en dépit des réserves de la Cour, les textes n'ont pas été modifiés. Cela étant dit, dans la mesure où ils restreignaient le bénéfice de l'obligation d'achat aux nouvelles installations de puissance inférieure ou égale à 12 mégawatts ou aux installations anciennes ayant fait l'objet d'une rénovation significative, l'arrivée à terme d'une grande partie des contrats d'achat devrait se traduire par une diminution de la charge de l'ordre des deux tiers entre 2010 et 2014.

En troisième lieu, les coûts liés aux tarifs sociaux sont à la hausse du fait d'un meilleur niveau de prestations ouvertes et de l'automaticité de l'application du tarif de première nécessité, décidée par décret du 6 mars 2012. En volume, ces dépenses restent toutefois de second ordre par rapport aux autres.

En quatrième lieu, la CRE a mis en place une nouvelle méthode de calcul du coût évité pour les obligations d'achat, ce qui aboutit à réduire fortement la volatilité, dans la mesure où le coût prévu et le coût sur la base duquel était calculée la CSPE ont été plus que rapprochés.

En cinquième lieu, sans modification du tarif d'achat mais avec l'application de la méthode des appels d'offres, qui permet en fait de s'éloigner de celui-ci, l'année 2011 a été marquée par le lancement d'un appel à projets pour l'installation d'une puissance de 3 000 mégawatts d'éolien en mer. Il s'agit d'un point important. Les projets retenus représentent une puissance d'un peu moins de 2 000 mégawatts, pour un prix d'achat très supérieur au tarif antérieur, à savoir 20 centimes d'euro le kilowattheure contre 13 centimes d'euro, tarif qui n'avait de fait pas permis jusqu'à ce jour de développer cette forme de production d'électricité.

Hormis la cogénération, tels sont les points sur lesquels une évolution est intervenue, dans les textes en tout cas.

Deux recommandations de la Cour n'ont pas été suivies d'effet : d'une part, le statut de la CSPE, dans laquelle la Cour voyait un quasi-impôt, n'a pas été modifié ; d'autre part, les charges financées par la CSPE continuent de peser sur le seul consommateur d'électricité et il ne semble pas y avoir eu de réflexion spécifique en vue d'élargir son champ à d'autres énergies.

Alors que, pour EDF, le montant des charges à couvrir était en 2010 de 2,6 milliards d'euros, on constate aujourd'hui une forte augmentation du coût lié à l'électricité d'origine photovoltaïque, une croissance plus lente des coûts associés à la biomasse et au biogaz, enfin une augmentation significative du coût pour la filière bagasse-charbon.

J'en viens enfin aux prévisions d'évolution d'ici à 2020.

Les trois scénarios d'évolution des charges établis par EDF, la CRE et la DGEC font ressortir des prévisions de dépenses comprises entre 8,8 milliards et 10,9 milliards d'euros pour 2020, contre 2,7 milliards d'euros en 2010 et une estimation à 4,3 milliards d'euros pour 2012, soit une multiplication par un peu plus de 3,5 entre 2010 et 2020 et par un peu plus de 2 entre 2012 et 2020.

Le chiffre le plus faible est celui qui est issu du scénario d'EDF. Fondamentalement, l'écart provient d'une estimation plus basse du développement de l'éolien en mer et de l'anticipation d'une hausse plus forte du prix du marché par rapport auquel est calculée la CSPE, autrement dit d'un besoin de différentiel plus faible.

À l'examen, il apparaît clairement que le recours aux énergies renouvelables est la première source d'augmentation des dépenses : la charge correspondante passerait de 700 millions d'euros environ à quelque 7,5 milliards d'euros, soit une multiplication par plus de 10 en dix ans.

On assisterait ensuite à un doublement des charges de péréquation au profit des zones non interconnectées, à savoir les départements et collectivités d'outre-mer : celles-ci passeraient de 802 millions d'euros en 2010 à 1,9 milliard d'euros en 2020, selon les estimations de la CRE.

La troisième source d'augmentation des dépenses, plus faible que les précédentes en valeur absolue, serait liée au développement de la production d'électricité à partir de la bagasse outre-mer : la charge passerait de 168 millions d'euros à quelque 600 millions d'euros en 2020.

Quant à la charge liée au fonctionnement des dispositifs à vocation sociale, elle triplerait en dix ans pour atteindre 190 millions d'euros, mais elle resterait relativement modeste en valeur absolue.

S'agissant de l'incidence de ces évolutions sur les comptes du producteur, le déficit cumulé devrait passer par un pic de l'ordre de 4 milliards d'euros entre 2014 et 2017 avant de disparaître aux alentours de cette échéance.

Si la politique suivie jusqu'à présent en matière d'évolution des tarifs était maintenue, soit une augmentation tant que les charges ne sont pas couvertes avec une limitation à 3 centimes d'euro par an, la contribution demandée au consommateur d'électricité devrait doubler et passer à environ 20 euros par mégawattheure en 2020.

En conclusion, j'évoquerai quelques pistes de réflexion en vue de limiter l'impact de ces évolutions sur les consommateurs d'électricité.

La première d'entre elles reste l'élargissement du financement du développement des énergies renouvelables à l'ensemble des énergies, à travers la fiscalité par exemple, afin de ne plus faire reposer cette charge sur la seule consommation d'électricité.

La deuxième voie envisageable pourrait être l'utilisation d'autres sources de recettes ayant pour origine la production d'électricité, par exemple la vente aux enchères des quotas d'émission de CO2, sachant que, dans ce cas, ces recettes ne pourraient être utilisées à d'autres fins, notamment le comblement du déficit budgétaire.

Une troisième piste serait le réexamen des règles d'exonération actuellement en vigueur.

D'autres axes de réflexion pourraient porter sur l'optimisation de la production des énergies renouvelables et sans doute sur l'amélioration de la liquidité et de la transparence du marché de l'électricité.

Telles sont, mesdames, messieurs, les grandes lignes du document qui vous a été remis.

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