Intervention de Nicolas Hulot

Commission d'enquête Rénovation énergétique — Réunion du 27 février 2023 à 15h00
Audition de M. Nicolas Hulot ancien ministre de la transition écologique et solidaire et de Mme Michèle Pappalardo ancienne directrice de cabinet

Nicolas Hulot, ancien ministre de la transition écologique et solidaire :

Merci pour cette invitation. Une remarque pour commencer : ayant pris de la distance avec ce sujet complexe, il est possible que je manque de précision sur certaines données ou dates, je vous prie d'en tenir compte et je me réjouis que Mme Pappalardo m'accompagne, pour compléter et corriger mon propos quand il y a lieu.

Plutôt qu'un bilan de mon passage au gouvernement, qui serait très vite fait étant donné sa brièveté, je vous proposerai un enseignement. J'ai gardé de ce passage une réflexion, qui me semble s'appliquer à toutes les politiques publiques qui achoppent et à l'échec desquelles on cherche un coupable, alors que les raisons de l'échec sont bien plus complexes. C'est particulièrement vrai dans le domaine de l'écologie, où les objectifs se combinent, où l'on prend des engagements, avec des objectifs fixés dans la loi, puis des plans d'action ; prenez le cas des pesticides : on s'engage à en diminuer la consommation dans un calendrier, mais arrivé au délai fixé, on constate que cette consommation, loin de diminuer, a augmenté - que s'est-il passé entre temps ? Il faut examiner précisément les choses, nos concitoyens s'interrogent. Alors il y a toutes les raisons que vous avez dites, la complexité des sujets, l'écart entre le déclaratif et les moyens effectivement engagés, mais ce qui m'a frappé surtout, et c'est l'enseignement que je crois pouvoir en tirer, c'est le manque de méthode et de stratégie, pour agir sur le temps long. Car à cette échelle, nous parlons de mutations profondes de notre société, vous le savez bien comme parlementaires. Dans ces changements, la rénovation thermique est la clé de voûte de la transition énergétique, après une période longue pendant laquelle la préoccupation était l'accès à l'électricité pour le plus grand nombre, alors que nous n'avions pas idée de la crise climatique et que nous avions l'illusion que l'énergie serait à bon marché pour toujours, ou presque. Les initiatives n'ont pas manqué depuis vingt ans, entre le Grenelle de l'environnement, la loi de transition énergétique, le plan climat, la stratégie bas-carbone, et bien d'autres lois encore ; je ne crois pas que leur raison d'être ait été de tromper nos concitoyens, de jouer les apparences, même si chaque ministre aimerait avoir sa loi à soi, sa solution pour « éradiquer » les problèmes - ce terme me vient à propos, encore un mot plus gros que le ventre...

Dans le fond, il me semble que la transition énergétique, qui s'impose désormais clairement avec la raréfaction de l'énergie et la gravité de la crise climatique, demande qu'on mette en oeuvre quatre principes dans l'action publique. D'abord, la prévisibilité, c'est-à-dire le fait de fixer des objectifs clairs, en fonction d'impératifs scientifiques et sociaux ; c'est ce que nous avons fait par exemple lors de la Cop 21 - et il faut aussi tenir compte de la difficulté de ces politiques. Deuxième principe, la progressivité : il est très important de ne laisser personne sur le carreau. C'est bien pourquoi j'ai voulu accoler l'adjectif « solidaire » à l'intitulé de mon ministère, nous avons besoin d'une transition écologique et solidaire. L'alignement du prix du diesel sur l'essence est justifié, mais on ne peut changer de pied, sur un sujet qui touche tant de ménages, sans accompagner le mouvement, il fallait de la progressivité, avec des moyens d'accompagnement spécifiques. Troisième principe, l'irréversibilité, cela vaut particulièrement pour la rénovation thermique : pour que tout le monde s'engage, s'il faut certainement des adaptations pour tenir compte des situations particulières, il faut aussi tenir le rythme de la transition, donc cranter l'objectif. Enfin, quatrième objectif, il faut de la visibilité et du suivi, pour savoir ce qu'on fait année après année. Le temps long est un intrus dans notre vie démocratique, il nous faut de l'évaluation active pour adapter les moyens mis en oeuvre ; j'ai trop vu de promesses énoncées avec sincérité, alors même qu'on savait que les moyens de la mise en oeuvre ne suivraient pas, il faut hiérarchiser les priorités. Un exemple récent : le Gouvernement consacre 45 milliards d'euros au bouclier tarifaire pour l'électricité, c'est 18 fois plus que pour la rénovation énergétique du bâti.

Votre sujet est central, la rénovation énergétique est la clé de voûte de la transition écologique, car toute politique énergétique est conditionnée par la sobriété et l'efficacité énergétiques. Cela vaut quel que soit le mix énergétique, l'efficacité énergétique, qui est d'ailleurs un objectif fixé par la loi, est prioritaire. On découvre bien tard notre précarité énergétique, le mouvement s'aggrave et le bâtiment occupe une place centrale, représentant 44 % de notre consommation d'énergie primaire et 27 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Enfin, il faut prendre en compte l'enjeu économique, l'énergie compte éminemment dans notre balance commerciale, nous dépendons du gaz russe, de l'uranium, de ressources venues de loin et les métiers de l'énergie représentent des emplois nombreux qui ne sont pas délocalisables.

Un mot sur les lobbies : la rénovation énergétique n'est pas un sujet où j'ai souffert des assauts de lobbies. Je dirai plutôt que, pendant longtemps, le métier d'EDF a surtout consisté à vendre de l'énergie et que l'efficacité énergétique n'était pas dans ses priorités.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion