Monsieur Jurgensen, je souhaite vous poser une question de nature plus politique, philosophique si vous préférez, puisqu'elle est non partisane dans son esprit.
Après vous avoir écouté attentivement, j'ai remarqué toutes les carences administratives - ce n'est pas du tout une critique que je formule à l'égard de l'administration à laquelle vous appartenez - mais aussi les carences légales que vous avez pu évoquer, en déplorant une législation trop imprécise dont nous disposons face à des situations excessivement complexes à régler ou à gérer.
Vous avez employé un terme qui m'a frappé, « l'entrisme anglo-saxon », et plus particulièrement britannique. Il est vrai que les Britanniques n'ont pas été les premiers à prendre part à la construction européenne. Ils n'en demeurent pas moins très influents au sein de l'Union européenne. Vous l'avez souligné, et je crois que nous partageons cette analyse.
Certes, on peut améliorer la législation fiscale française, tenter de faire évoluer les pratiques de nos compatriotes et le regard qu'ils portent sur la fiscalité. Certes, la situation s'est améliorée en la matière, comme vous l'avez relevé, mais ces relents persistent, ainsi que certaines attitudes passéistes déterminant encore des comportements qui ne vont pas dans le sens de l'objectif visé par notre commission : de fait, nous menons une enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs, ainsi que sur leurs incidences fiscales.
Ma question philosophique ou, je le répète, politique non partisane est la suivante : n'avez-vous pas le sentiment que, dans cette situation, un pays comme le nôtre, qui s'est construit et continue à se construire autour d'un État - ce qui n'est pas le cas de la Grande-Bretagne et encore moins des États-Unis - est victime parce qu'il n'a pas les armes, les comportements, les attitudes lui permettant d'opérer les choix nécessaires, parce qu'il n'a pas cette culture d'entrisme que vous avez évoquée il y a quelques instants ?
Vous avez employé ce terme dans un sens à la fois très réel et très actif : cet entrisme, n'est-ce pas un peu aussi ce qui nous manque pour faire évoluer la situation de notre pays, pour défendre mieux ses intérêts, sans pour autant modifier la législation et les comportements ?
Je vous citerai un petit exemple, que j'ai découvert ce week-end dans la presse : vous savez que les Britanniques et les Allemands ont négocié avec les Suisses un forfait d'imposition fiscale. Les Britanniques ont négocié et accepté, ce qui prouve que les termes de l'accord leur convenaient. Ils l'ont cosigné. Les Allemands - c'est assez intéressant - l'avaient tout d'abord accepté mais, sous l'effet d'une pression politique très forte de leur opposition, ils sont revenus sur leur signature. Et j'ai découvert dans Les Échos de vendredi, si ma mémoire est bonne, que, en l'espace de quarante-huit heures, le taux d'imposition exigé par les Allemands avait augmenté assez considérablement ! Et les Suisses ont accepté. Pour ma part, si j'étais à la place des Britanniques je me poserais des questions.
On pourrait multiplier les exemples ; toutefois, considérant ce cas connu, ne croyez-vous pas que nous devrions cultiver un entrisme « à la française », en l'intégrant dans notre culture nationale, laquelle est fondée sur la construction d'un État et la défense de ses intérêts ?