La CGT-Finances publiques remercie la commission d'enquête de l'avoir sollicitée pour intervenir sur ce sujet qui nous tient à coeur à un double titre : d'une part, en tant qu'agents de la Direction générale des finances publiques, la DGFiP, puisque c'est notre travail ; d'autre part, en tant que citoyens, bien sûr. De fait, vous ne vous étonnerez pas que nos propos s'inscrivent dans une perspective syndicale. C'est notre raison d'être et c'est de cette façon que nous analysons ces questions.
Je voudrais d'abord rappeler que le G20, au cours du sommet qui s'est tenu à Pittsburgh, avait pris acte des travaux du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales et s'était félicité d'un certain nombre de propositions ainsi que de l'évolution notamment des applications des normes OCDE.
Cela dit, tout le monde le sait, à partir du moment où les accords entre paradis fiscaux étaient validés, il y avait loin « de la coupe aux lèvres », loin entre les affirmations, qui, de notre point de vue, relevaient, pour beaucoup d'entre elles, de l'affichage ou de la communication, et la réalité d'une lutte organisée et structurée contre les paradis fiscaux.
Ce même Forum mondial avait relevé, dès 2009, que les banques jouaient un rôle significatif dans le développement des stratégies fiscales mises en oeuvre par les grandes multinationales et les personnes à très hauts revenus. Selon nous, c'est l'une des causes de la financiarisation excessive de l'économie et de la crise financière.
Aussi, nous partageons le souci de la commission : lutter contre les paradis fiscaux, c'est aussi travailler à une résolution de la crise financière.
J'aborderai très brièvement quatre thèmes.
Premièrement, l'évaluation de la fraude. Bien entendu, cette question est sujette à controverse, elle est très complexe et personne n'est d'accord sur les chiffres. En 2007, le Conseil des prélèvements obligatoires estimait que le montant de la fraude était compris entre 20 et 25 milliards d'euros. L'OCDE et la Commission européenne, quant à elles, raisonnent en points de PIB et évaluent cette fraude à 2 % ou 2,5 % du PIB, ce qui constitue une estimation, beaucoup plus importante.
La fraude à la TVA, quant à elle, quelle que soit la formule retenue, est estimée à environ 10 milliards d'euros, à tous les niveaux.
Cette problématique de l'évaluation reste donc entière. C'est pourquoi nous proposons que l'évaluation de la fraude fiscale et, évidemment, celle qui a trait à l'évasion des capitaux, fassent l'objet d'un suivi annuel de la part des commissions des finances du Parlement. Il n'est pas possible de se contenter, de temps à autre, des avis d'experts, même si le travail du Conseil des prélèvements obligatoires, tout à fait intéressant, a eu le mérite d'être le premier du genre. Ce travail-là devrait être poursuivi annuellement.
Par ailleurs, la méthode, qui est en fait une extrapolation des résultats du contrôle fiscal, soulève quand même un certain nombre de difficultés. Plus précisément, prenons l'exemple de l'article 57 du code général des impôts, qui est censé régir les prix de transfert. Rappelons que l'essentiel des redressements, des propositions de rectification y afférentes débouchent sur des transactions. On voit bien que la jurisprudence européenne a beaucoup fragilisé l'article 57, parmi d'autres. Extrapoler à partir de ces transactions et d'un certain nombre de données de cette nature, ne permet d'estimer que très approximativement le montant réel de la fraude.
Le législateur a complété cet article 57 par une obligation documentaire, tout manquement à cette obligation étant passible d'une sanction de 10 000 euros. Nous autres, agents, nous ne voyons pas bien comment une telle sanction pourrait gêner Apple, Microsoft ou d'autres encore, qui cantonnent leurs droits intellectuels en Irlande.
Se pose aussi la question de l'harmonisation. En Europe, les Espagnols, par exemple, ont étendu l'obligation documentaire à toutes les entreprises. À partir du moment où une entreprise réalise des opérations extérieures, elle est soumise à l'obligation de documentation relative au prix de transfert.
J'en viens maintenant à mon deuxième thème, la détection des procédés frauduleux. Tout le monde a pu lire l'article paru la semaine dernière dans Les Échos, sous la plume d'Hélène Rey, intitulé « Sur la piste de l'évasion fiscale », dans lequel elle décrit le dispositif consistant à détenir un portefeuille d'actions au Luxembourg tout en en percevant les dividendes en Suisse, et ce afin de bénéficier d'une exonération totale. La journaliste écrit ceci : « On peut légitimement se demander pourquoi il faut si longtemps avant que les gouvernements prennent des mesures sérieuses contre l'évasion fiscale. »
Ainsi, la presse économique évoque un procédé de fraude fiscale massive qui porte tout de même sur 4 500 milliards de dollars, ce qui n'est pas rien. Et que fait-on ?
Je veux maintenant dire un mot de la fraude sur les marchés de quotas de CO2. La Cour des comptes, dans son rapport publié en février, n'a pas eu de mots assez durs, si on lit bien entre les lignes, sur les dysfonctionnements survenus au plus haut niveau de l'administration de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). C'est tout de même assez étonnant ! De notre point de vue, ce ne sont pas les services qui sont en cause, puisque les personnels font ce qu'on leur dit de faire, mais la Cour des comptes met en évidence le flou pour le moins artistique qui a régné entre les cabinets ministériels, la CDC et les administrations financières.
La CGT, pour sa part, n'était pas favorable à la création d'un marché de quotas de CO2 ; nous étions plutôt favorables à une taxe. À partir du moment où l'on croit quasi religieusement en la vertu intrinsèque du marché - un marché, en l'occurrence, ne faisant de surcroît l'objet d'aucun contrôle, comme le souligne la Cour des comptes -, il est sans doute plus facile de voler 1,6 milliard d'euros en quelques mois dans les caisses de l'État, et peut-être moins dangereux, que de voler une Mobylette !
Au final, nous considérons que la pénalisation de la fraude fiscale demeure réellement problématique.
J'en viens à mon quatrième et dernier thème : la pénalisation. La Commission des infractions fiscales, chacun le sait, a été créée en 1977 par Valéry Giscard d'Estaing. Cette commission est calibrée, dimensionnée pour étudier mille dossiers par an. Depuis trente ans, l'administration fiscale prépare donc chaque année mille dossiers devant faire l'objet d'une procédure pénale ; ceux-ci sont transmis à la Commission des infractions fiscales, qui en retoque entre dix et vingt, cependant que les autres suivent leur cours.
En 2001 a été publié le rapport Strainchamps sur le fonctionnement interne du contrôle fiscal externe. Ce rapport montrait que la pénalisation de la fraude fiscale était sept fois plus importante en Allemagne qu'en France. C'est ce qui a fait dire au Conseil des prélèvements obligatoires, en 2007, et nous souscrivons tout à fait à cette analyse, que le passage par la Commission des infractions fiscales correspond au « choix d'une faible pénalisation des dossiers de fraude, qui reflète non seulement les choix de la DGI, mais aussi une anticipation de l'appréciation des juges ». Elle estimait que « le filtre de la Commission des infractions fiscales évite la multiplication des affaires pénales ».
C'est la raison pour laquelle la CGT-Finances publiques demande la suppression de cette commission. Est-il normal que les dispositions pénalisant la fraude fiscale se trouvent dans le code général des impôts et non dans le code pénal ? Dès lors qu'elle est un délit, la fraude fiscale, nous semble-t-il, devrait faire l'objet d'un traitement pénal devant la seule justice et non pas être soumise à ce filtre politico-administratif qu'est la Commission des infractions fiscales.