Intervention de Olivier Sivieude

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 10 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Olivier Sivieude directeur des vérifications nationales et internationales

Olivier Sivieude :

Je vais tout d'abord présenter la DVNI. Cette direction est chargée du contrôle fiscal des grandes entreprises, c'est-à-dire des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 150 millions d'euros, ou 75 millions d'euros lorsqu'il s'agit de prestataires de services. Sont concernées environ 3 500 entreprises établies en France - j'allais dire « françaises », mais elles ne le sont pas nécessairement -, dont évidemment les entreprises du CAC 40. Les filiales relèvent également de notre compétence, ce qui nous permet d'avoir une vision de l'ensemble du groupe. Au total, nous contrôlons 70 000 entreprises.

La direction compte 500 personnes, presque exclusivement des cadres de catégorie A. Les 350 vérificateurs sont spécialisés par secteur socioprofessionnel - banque, assurance, industrie, etc. -, ce qui constitue une force puisque cela leur permet de bien connaître leur secteur. Ils sont aidés dans leurs travaux par des vérificateurs informaticiens, spécialisés dans les domaines informatiques et fiscaux, et par des « experts maison », que nous avons formés en interne et qui sont des spécialistes des questions internationales et financières. Le contrôle fiscal d'un grand groupe est généralement effectué par deux vérificateurs généraux, un vérificateur informaticien et au moins un expert voire deux ; ce sont donc quatre, cinq ou six personnes qui se rendent dans l'entreprise concernée.

Je suis assez fier de présenter nos résultats, car ils sont plutôt bons. Les rappels effectués par la DVNI ont en effet augmenté de 50 % en quatre ans, pour atteindre aujourd'hui 4,2 milliards d'euros de droits et pénalités. Sous réserve des rappels en prix de transfert dont le recouvrement est suspendu en cas d'engagement d'une procédure amiable, ces sommes sont recouvrées à hauteur de 85 %, les entreprises ayant les moyens de payer ; les 15 % restants font l'objet de contentieux. Les enjeux budgétaires sont donc majeurs.

Sur le plan international, qui vous intéresse tout particulièrement, les rappels sont également en augmentation. Un peu plus du tiers de nos contrôles - nous en avons fait 1 360 l'année dernière - comportent au moins un point à l'international. Les rappels internationaux en impôt sur les sociétés représentent 2,4 milliards d'euros en base et environ 800 millions d'euros en droit - il est toujours difficile de raisonner en droit pour l'international. Les rappels internationaux en TVA, retenue à la source et crédit d'impôt s'élèvent en droits à 400 millions d'euros.

Je ne vous cache pas que nous rencontrons un certain nombre de difficultés. La première a trait à l'extrême complexité de la matière : les problématiques fiscales internationales sont très compliquées. Nous devons être particulièrement attentifs à la formation des vérificateurs ; nous avons donc un dispositif de formation interne très réactif et pratique. Nous devons aussi être vigilants quant à la circulation de l'information : il faut que tous les vérificateurs soient informés au plus vite dès qu'un type de montage est repéré, car ce dernier va proliférer. Nous avons également mis en place un réseau de référents en interne mais aussi en externe, en association avec les directions interrégionales de contrôle fiscal, qui sont, elles aussi, parfois confrontées à des problématiques internationales.

La deuxième difficulté provient d'un double cloisonnement. Il existe tout d'abord un cloisonnement géographique, dans la mesure où la DVNI n'est compétente que sur le territoire national alors que, pour contrôler une entreprise internationale, il est très souvent utile, voire indispensable, de savoir ce qui se passe de l'autre côté des frontières...

Ce problème renvoie à la question de l'assistance administrative internationale : pouvons-nous demander des informations aux administrations fiscales des autres États ? En la matière, un nouveau dispositif, d'une importance majeure, a été mis en place en 2009 et est efficace depuis 2011 ; il nous permet d'obtenir des informations auprès d'administrations fiscales qui, auparavant, refusaient de nous en fournir. Cela nous donne bon espoir d'avoir des informations dont nous ne disposions pas jusqu'à présent. En 2011, le nombre d'assistances administratives internationales a doublé par rapport à l'année précédente. Qui plus est, les réponses sont généralement de qualité et nous sont transmises dans des délais plus brefs qu'avant : on est passé de neuf mois à trois mois en moyenne, ce qui constitue un véritable changement.

En plus de ce cloisonnement géographique, il existe un cloisonnement entre administrations de contrôle. Certaines des administrations qui contrôlent les entreprises sont extérieures à la direction générale des finances publiques (DGFiP) ; je pense par exemple aux douanes ou à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACCOS). Dès 2009, nous avons pris conscience que nous devions travailler ensemble, dans la mesure où les informations que détiennent ces administrations sur les entreprises sont utiles également d'un point de vue fiscal. Nous avons donc tissé un réseau de protocoles avec l'ACCOS et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), qui est l'équivalent de la DVNI pour les douanes.

Nous avons également développé les relations internes à la DGFIP. En effet, pour réaliser un contrôle fiscal, il faut, d'une part, des informations fournies par ceux qui connaissent les dossiers, c'est-à-dire les services de gestion - en ce qui concerne la DVNI, il s'agit de la direction des grandes entreprises -, et, d'autre part, des informations « hors liasse fiscale », c'est-à-dire en dehors des déclarations, que peut notamment obtenir la direction nationale des enquêtes fiscales, dirigée par Bernard Salvat, que vous avez auditionné il y a quelques minutes. Depuis deux ans, nous travaillons donc en étroite liaison avec cette direction, afin d'obtenir des informations sur les grandes entreprises.

La troisième difficulté concerne les instruments juridiques dont nous disposons. En matière de fiscalité internationale des entreprises, il existe trois paquets. Le premier est constitué des dispositifs dissuasifs mentionnés aux articles 209 B, 238 A et 212 du code général des impôts. Il s'agit de dispositifs anti-abus, qui me semblent conçus plutôt pour dissuader certains comportements mais qui sont très difficilement utilisables dans la mesure où ils ont été érodés par la jurisprudence du Conseil d'État, qui a mis de strictes conditions à leur application ; à sa décharge, je rappellerai qu'il doit tenir compte des accords internationaux qui s'imposent à nous.

Le deuxième paquet se compose du seul article 57 du code général des impôts, qui concerne les prix de transfert. Cet article, très simple et extrêmement précieux, dispose que les prix pratiqués entre entreprises d'un même groupe doivent être identiques aux prix pratiqués avec une entreprise indépendante. C'est cet article qui nous permet de faire l'essentiel des rappels que j'ai évoqués au début de mon intervention.

Cependant, cet article a tout de même vieilli un peu au regard des évolutions de la réalité économique. Deux points en particulier posent problème. D'une part, il y a de moins en moins d'indépendants, puisque les grands secteurs professionnels sont aux mains, si je puis dire, de quelques grands groupes ; dès lors, il devient difficile de comparer les prix pratiqués entre entreprises du même groupe avec les prix pratiqués avec une entreprise indépendante.

D'autre part, les problématiques portent de moins en moins sur des marchandises, et de plus en plus sur des incorporels, comme nous les appelons. Ce qu'on délocalise le plus facilement, ce n'est pas des machines ou des usines - même si, hélas, cela arrive tout de même -, mais des marques : on peut déplacer une marque du jour au lendemain, dans le pays qu'on veut - si possible un pays où la fiscalité est favorable à la marque. Ce déplacement étant facturé à nos entreprises françaises, la difficulté est de savoir si le niveau de facturation est le bon, si cela peut être admis en diminution des bénéfices.

Le troisième paquet est le dispositif d'abus de droit, prévu par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, qui n'est pas spécifique aux questions internationales mais est extrêmement utile en la matière. Trois conditions doivent être réunies : il faut qu'il y ait un montage artificiel ; que ce montage soit contraire à l'intention du législateur ; qu'il ait été conçu dans un but exclusivement fiscal. Quand on arrive à démontrer que ces trois critères sont remplis, on applique l'abus de droit.

En conclusion, j'aimerais ajouter que mes équipes sont extrêmement motivées, qu'elles sentent qu'elles sont actuellement soutenues dans leurs efforts pour lutter contre l'optimisation fiscale internationale, même si elles doivent faire face aux difficultés que j'ai mentionnées.

Nous nous efforçons d'appliquer plus qu'auparavant les sanctions que le code général des impôts met à notre disposition, notamment les sanctions pour manquement délibéré. Nous hésitions à y recourir pour les entreprises du CAC 40, mais nous le faisons désormais car nous pensons que c'est une manière d'avancer vers l'exemplarité : si nous montrons que nous sommes capables non seulement de remettre en cause des schémas d'optimisation fiscale mais aussi de sanctionner ceux qui les ont mis en place, nous pouvons espérer que ces schémas ne prospéreront pas, et alors nous aurons vraiment joué notre rôle de dissuasion.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion