Je vais d'abord revenir sur la motivation de mes services. Le fait que le Parlement dans son ensemble nous donne désormais la possibilité d'obtenir des informations sur ce qui se passe dans les autres pays, cela a permis à mes collaborateurs d'entrer dans un monde nouveau.
Concernant votre question sur les moyens d'éviter la fuite fiscale, je n'ai pas la prétention d'avoir la réponse absolue. Nous disposons d'un certain nombre d'outils juridiques, que j'ai cités, mais on peut imaginer de s'en donner d'autres. Je ne suis pas en charge de la législation, je suis un praticien, mais je peux vous suggérer quelques idées ; trois en particulier me viennent à l'esprit.
Tout d'abord, nous constatons aujourd'hui que certaines entreprises utilisent des produits hybrides, c'est-à-dire des produits dont le traitement diffère dans deux pays. Par exemple, il existe des produits déductibles en France et non imposables dans un autre pays, et vice-versa. On peut aussi, au lieu de capitaliser des entreprises, les subventionner grâce à des subventions déduites en France et qui ne sont pas imposables dans le pays qui les reçoit.
Ces produits hybrides sont recensés par l'OCDE, qui réalise des travaux sur cette question ; je ne suis donc pas en train d'inventer le concept. Ces produits constituent typiquement une méthode d'optimisation fiscale, mais aucun texte n'empêche qu'un produit financier dont le traitement diffère d'un pays à l'autre, de sorte qu'il y a une charge d'un côté et pas de produit de l'autre, soit déductible dans le pays concerné, alors que logiquement il ne devrait pas pouvoir l'être.
J'en viens à mon deuxième exemple, qui concerne la question des délocalisations. Dans certains domaines, il est extrêmement difficile de lutter contre la méthode que j'ai évoquée tout à l'heure, consistant à transférer à l'étranger des bénéfices en créant une société dans un pays à fiscalité privilégiée et en transformant en France les entreprises qui fabriquaient en façonniers et celles qui achetaient et vendaient en commissionnaires.
On pourrait imaginer que, à tout le moins dans ces cas-là, il y ait une indemnisation à hauteur de ce qui est parti : puisque des bénéfices sont partis, peut-être une clientèle et un certain nombre de données incorporelles sont-elles parties aussi, et tout cela a une valeur. Aujourd'hui, nous essayons de démontrer qu'un pourcentage de la clientèle a été délocalisé, etc., mais nous n'avons pas de texte spécifique pour le faire. Des textes existent dans d'autres pays, par exemple en Allemagne.
Je passe à mon troisième exemple : les établissements stables, c'est-à-dire les sociétés qui, exerçant leur activité depuis un autre pays, généralement à fiscalité privilégiée, réalisent des prestations en France sans pour autant y posséder d'établissement payant - en tout cas pas de manière substantielle - des impôts sur ses bénéfices.
Aujourd'hui, il est extrêmement difficile de démontrer l'existence d'un établissement stable lorsque nous estimons qu'une activité est en fait réalisée depuis la France. La jurisprudence nous est plutôt défavorable : un récent arrêt du Conseil d'État a posé des conditions très strictes. Peut-être le législateur pourrait-il décider que, dès lors que certains éléments seront réunis, on considérera qu'une activité est réalisée depuis la France et qu'elle doit donc y être imposée.
Les trois exemples que je viens de citer revêtent une importance majeure, car ces trois cas - produits hybrides, délocalisation de bénéfices par le business restructuring, établissements stables - font partie de ceux que nous rencontrons le plus souvent.