Intervention de Michel Thiollière

Réunion du 9 avril 2009 à 9h30
Diffusion et protection de la création sur internet — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Michel ThiollièreMichel Thiollière, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons ce matin au terme d’un long processus, qui a commencé par une demande du Président de la République. Préoccupé par le développement du piratage sur internet, il a confié en juillet 2007 à Denis Olivennes le soin de mener une concertation qui a abouti à des accords, intervenus le 23 novembre 2007, et a débouché sur un ensemble de mesures proposées par les professionnels de la création.

Le 18 juin 2008, vous avez, madame la ministre, déposé un projet de loi. Nous nous sommes mis au travail, nous avons procédé à un certain nombre d’auditions et, les 29 et 30 octobre dernier, le Sénat a été en mesure de discuter le texte. Il a adopté 84 amendements, dont 48 avaient été déposés au nom de la commission des affaires culturelles et 10 au nom de la commission des affaires économiques, les amendements restants provenant des différents groupes de notre assemblée. À son tour, l’Assemblée nationale a fait son travail, et la commission mixte paritaire s’est réunie ce 7 avril.

Je crois pouvoir affirmer au nom de tous mes collègues, puisque le Sénat a adopté ce projet de loi à la quasi-unanimité le 30 octobre dernier, que nous avons travaillé le plus utilement possible et que nous avons rempli notre rôle d’assemblée parlementaire. Nous nous sommes attachés au fond, mais nous avons également cherché à répondre à deux problématiques principales.

Il s’agissait d’abord de réconcilier deux mondes, le monde de la création et le monde d’internet, de manière qu’ils ne s’opposent pas mais, au contraire, puissent à l’avenir travailler le plus possible ensemble. Il s’agissait ensuite d’accompagner une mutation et de faire évoluer la pratique du piratage telle qu’elle s’était répandue vers une nouvelle pratique respectueuse des auteurs et de la création, vers une pratique que je qualifierai de « républicaine » de l’internaute, celui-ci respectant le droit tout en conservant une grande liberté d’aller et de venir sur la toile.

Les conclusions de la CMP constituent donc un texte équilibré, qui se veut efficace et pédagogique. Je voudrais souligner au passage que nos collègues de l’Assemblée nationale ont apprécié le travail que nous avions fourni pour améliorer autant que faire se pouvait le projet de loi.

Nous avons lutté, durant la CMP ! Je vous rassure, le combat s’est déroulé de façon très républicaine et très courtoise ; il n’en a pas été moins vif. Car, loin de tout corporatisme d’assemblée ou de tout patriotisme de chambre, nous étions portés par la légitimité du vote quasi unanime du Sénat que je rappelais à l’instant.

Pourquoi ce combat ? Pour la simple raison que, par tradition, le Sénat est attaché à la culture et à la création, à des valeurs comme « la diversité culturelle » ou « l’identité culturelle », et qu’il ne manque pas de le rappeler chaque fois que l’occasion lui en est offerte. Nous considérons que c’est là une composante essentielle d’une République moderne, que c’est la part d’humanité qui nous revient dans un monde en transformation constante et aujourd’hui en crise.

Nous avons aussi voulu adresser un signe aux jeunes artistes français, aux jeunes talents, car ils ont besoin que leur travail soit reconnu, notamment leur travail de création ; ils ont besoin de notre soutien et de notre confiance dans leur œuvre de créateurs.

Imaginons un seul instant que les jeunes générations qui veulent s’engager dans le monde de la création n’aient d’autre perspective, quoi qu’ils fassent, d’être demain spoliés de leurs droits et de n’être pas récompensés de leur travail : ce serait décourageant et susciterait probablement bien peu de vocations !

Vivre en société – et c’est là aussi un signe adressé aux jeunes générations –, cela suppose l’existence de valeurs qui doivent être respectées. Vivre en société, cela a un sens.

Ces valeurs sont ordonnées selon une hiérarchie qu’il est également nécessaire de respecter, mais qui n’est peut-être pas le phénomène qui apparaît le plus spontanément sur internet. Internet est un monde plat, un monde dans lequel tous les usages et toutes les valeurs ont grosso modo le même sens et sont placés sur le même plan, un monde dans lequel tout a, à peu de chose près, la même dimension, où tous les portails connaissent une fréquentation comparable.

À nous de réintroduire du sens, à nous de donner une hiérarchisation à cette consommation frénétique mais intéressante, à cette « gourmandise » pour les œuvres présentes sur la toile.

Internet est donc un territoire virtuel, c’est une terre sympathique et accueillante. Cependant, elle doit être policée, au sens républicain du terme : nous devons faire en sorte qu’on y respecte les droits de chacun.

Le Sénat a pris ses responsabilités. Nous avons voulu répondre au scepticisme ambiant. Les créateurs se désespèrent : Va-t-on laisser durablement piller les œuvres sur internet ? Va-t-on laisser s’effondrer l’économie de la création ? Je rappelle que 2, 4 % de la population active de notre pays travaille dans l’univers de la création et, en ces temps de crise, certains de nos concitoyens sont très inquiets pour leur avenir.

Nous avons enfin voulu répondre au cynisme ambiant, au double langage que tiennent certains : Va-t-on fliquer les internautes ? Va-t-on les pénaliser ?

Il ne s’agit ni de fliquer ni de pénaliser, il s’agit tout simplement de faire respecter les libertés et les droits des uns et des autres, si l’on veut que la diversité soit assurée, que la protection des œuvres ait encore un sens, si l’on veut éviter certains abus, voire un certain populisme, selon lequel tout peut être « consommé » gratuitement quelles qu’en soient les conséquences.

J’en reviens aux conclusions de la CMP.

Tout d’abord, nous avons voulu promouvoir l’offre légale. En effet, une offre légale forte et diverse est nécessaire si l’on veut que l’internaute se sente en sécurité sur internet et qu’il puisse consommer le maximum d’œuvres de création.

Nous avons donc souhaité qu’il y ait une concertation entre les producteurs et les acteurs et, à la suite de nos collègues députés, nous avons accepté l’élaboration d’un « recueil des usages », c'est-à-dire un cadre incitatif rassemblant les professionnels afin d’assurer une meilleure circulation des œuvres dans l’avenir.

Nous avons également souhaité que la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la HADOPI, puisse mettre en place un portail de référencement de manière à valoriser l’offre légale.

Nous avons encore souhaité, après de nombreux débats, qu’il y ait un cadre pour la révision de la chronologie des médias, permettant une offre légale plus importante sans pour autant mettre en difficulté, voire en péril, le financement des œuvres cinématographiques.

Telle est la raison pour laquelle la CMP a fixé un délai de quatre mois pour la sortie en DVD et prévu la possibilité de raccourcir ou de prolonger ce délai en fonction d’un certain nombre de contraintes ou d’accords qui auront été pris.

Nous avons enfin souhaité, au-delà de l’offre légale et sans revenir sur le fait que la Haute Autorité doit être irréprochable et qu’elle doit favoriser l’offre légale, renforcer encore le caractère pédagogique de l’accompagnement de l’internaute vers un chemin plus vertueux et balisé, notamment en sécurisant la Haute Autorité et en la rendant encore plus indépendante.

Notre collègue Catherine Morin-Desailly a présenté un amendement visant à rétablir l’élection du président de la HADOPI par ses pairs pour qu’elle soit indépendante et impartiale.

La sanction alternative visant à moduler le débit, que le Sénat avait adoptée, a été supprimée sans discussion en commission mixte paritaire, car cette mesure était difficile à mettre en œuvre.

En revanche, nous sommes restés fermes contre la suspension du paiement, qui avait été souhaitée par l’Assemblée nationale. Si, à l’issue du processus, qui comporte un aspect pédagogique, une sanction est décidée, elle consiste en la suspension de l’accès à internet, mais le paiement de l’abonnement doit être maintenu. Un contrat a été signé entre le fournisseur d’accès et l’abonné et il ne nous semble pas souhaitable de revenir sur un contrat signé.

Par analogie, certains ont fait observer que, lorsqu’une voiture est achetée à crédit, en cas de suspension du permis de conduire, les traites continuent à être payées par celui qui ne peut plus conduire. Il en est de même pour l’offre triple play qu’ont contractée certains de nos concitoyens.

Par ailleurs, je veux m’élever contre certains raccourcis. Ce matin, j’ai été abasourdi d’entendre sur une grande chaîne de télévision du service public que les sénateurs avaient annoncé une « double peine ». Il ne s’agit pas de double peine, il s’agit simplement de faire respecter un contrat qui a été signé.

En revanche, je voudrais saluer le travail très pédagogique de la chaîne Public-Sénat.

Nous avons également exclu toute amnistie pour ceux qui contreviennent à la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information en pratiquant un piratage qui n’a rien à voir avec celui des internautes « classiques », pour lesquels il s’agit d’une consommation personnelle de quelques films ou d’un peu de musique. On a affaire à de gros trafiquants et il n’aurait pas été très élégant vis-à-vis des internautes de dire que ceux qui avaient piraté pour en faire commerce se voyaient amnistiés.

Nous avons refusé une mesure, adoptée par l’Assemblée nationale, prévoyant une circonstance atténuante lorsque l’internaute ne trouvant pas en ligne une offre légale la télécharge illégalement. Nous avons considéré que cette mesure était contraire à notre idée du développement de l’offre légale et qu’elle n’était pas un signe positif envers tous ceux qui font l’effort d’avoir des catalogues en ligne suffisants. Cela reviendrait à ce qu’il soit permis d’aller voler chez un voisin le produit qu’on n’a pas trouvé au supermarché !

En définitive, l’indépendance de la Haute Autorité a été confortée et un certain nombre de précautions ont été prises concernant les données personnelles de nos concitoyens. Sa première mission sera de renforcer l’offre légale par des labellisations et par un soutien à son développement. Son rôle sera également renforcé dans le domaine de l’information, de l’explication et du conseil, mais aussi en cas de sanctions, parce qu’il n’y a pas de chemin pédagogique sans sanctions éventuelles.

J’évoquerai enfin la presse, puisque les états généraux sont terminés. Même si nous n’avons pas eu l’occasion d’en débattre en séance, nous avons adopté en CMP un certain nombre de mesures qui permettent de sécuriser les droits d’auteur des journalistes, tout en confortant le statut des éditeurs de presse en ligne.

Cela se traduit par un ensemble de mesures figurant dans ce que l’on appelle aujourd’hui le « média global ». La presse papier et la presse sur internet sont maintenant très complémentaires. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu adopter un texte équilibré qui vise à apporter une plus grande sécurité juridique aux éditeurs, mais qui garantisse également les droits de propriété intellectuelle aux œuvres des journalistes. Les éditeurs pourront exploiter les œuvres, mais ils devront assurer une juste rémunération de leurs auteurs dans le cadre d’accords qui pourront être contractuels.

À l’issue de cette longue démarche, qui a duré près de dix-huit mois, le texte auquel nous sommes parvenus est d’abord un signal fort en direction du monde de la création.

Nous disons de nouveau ce matin aux auteurs et aux artistes que notre pays leur fait confiance, que nous avons besoin d’eux, car la culture est un moteur de notre mode de vie.

Nous protégeons leurs droits, nous renforçons la liberté de créer, la liberté d’offrir le maximum d’œuvres sur internet et la liberté de les découvrir dans l’égalité républicaine de traitement entre les internautes et les créateurs de sorte qu’un élan de fraternité l’emporte. La République doit s’adapter aux nouvelles technologies, mais sans abdiquer de ses principes et de ses valeurs. Elle ne doit pas se laisser engloutir par les nouvelles technologies.

Tel était le sens de notre travail.

Je remercie le président de la commission des affaires culturelles, Jacques Legendre, ainsi que tous ceux qui m’ont accompagné en tant que rapporteur, que ce soit au sein de la commission ou dans cette assemblée.

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