Intervention de Olivier Sivieude

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 10 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Olivier Sivieude directeur des vérifications nationales et internationales

Olivier Sivieude :

Bien entendu. Je passerai vite sur le premier exemple. Une société installée en France réalisait des bénéfices très importants. En regardant ses déclarations fiscales, nous nous sommes aperçus que, d'un seul coup, ses bénéfices avaient été presque réduits à néant car des frais financiers lui avaient été facturés. Nous avons donc effectué un contrôle, et nous nous sommes rendu compte que ces frais financiers, d'un montant de 100 millions, provenaient d'un emprunt d'1,2 milliard souscrit auprès d'une filiale de sa maison mère, d'une « soeur » donc, située aux Bermudes. Nous nous sommes alors dit qu'il avait dû se passer quelque chose aux Bermudes... L'assistance administrative internationale n'a pas fonctionné avec les autorités de ce pays, mais elle a fonctionné avec les autorités canadiennes.

Grâce aux informations qu'elles nous ont communiquées, nous avons pu savoir qu'il s'agissait d'un schéma dit de double déduction. L'entreprise canadienne, la holding, a emprunté 1,2 milliard auprès de banques au Canada, et déduit les charges correspondantes - 100 millions - de ses bénéfices réalisés au Canada. La somme d'1,2 milliard a été immédiatement versée au capital d'une société installée aux Bermudes, par un pur jeu d'écriture - aux Bermudes, il n'y a qu'une boîte aux lettres -, puis prêtée à la société française, qui a déduit de ses bénéfices réalisés en France les intérêts qu'elle verse sur cette somme. Quant au produit du prêt, il n'est pas imposé aux Bermudes et remonte au Canada dans le cadre du régime mère-fille, car il existe une convention canado-bermudienne qui prévoit cette exonération. Au total, on a une déduction de la charge au Canada, une déduction de la charge en France et une imposition nulle part.

C'est l'assistance administrative internationale qui nous a permis de démanteler ce schéma ; nous avons utilisé un des articles anti-abus que j'ai mentionnés tout à l'heure, l'article 238 A, qui permet de ne pas admettre comme charges déductibles certaines opérations lorsqu'elles sont réalisées de manière artificielle dans des pays à fiscalité privilégiée.

Le deuxième exemple illustre les difficultés que nous pouvons rencontrer en matière de marques. Une société installée en France est propriétaire de ses marques et réalise des bénéfices importants. D'un seul coup, la holding dont elle dépend, qui est située aux Pays-Bas, se met à lui facturer 1,5 % du chiffre d'affaires réalisé en France, ce qui est assez considérable, pour le droit d'utiliser une marque dont elle est pourtant propriétaire. En fait, la holding était en train d'inventer une marque sur la marque - on parle de marque ombrelle -, et facturait donc à l'entreprise installée en France le droit d'utiliser la marque générique de l'ensemble du groupe dans le monde.

Je ne peux pas vous donner d'exemple précis, mais certains produits alimentaires vendus en France portent un tout petit sigle, caché sur une étiquette à l'arrière du flacon, dont la présence justifie soi-disant le versement d'1,5 % du chiffre d'affaires à une holding. Cela constitue une manière facile de réduire les bénéfices réalisés en France. Pour démanteler ce type de schéma, il faut démontrer que la marque ombrelle ne vaut pas un tel prix. Le problème est que c'est une affaire de spécialistes.

Le troisième exemple a trait au secteur d'Internet. Une société est située dans un pays à fiscalité privilégiée. En général, il y a toujours un établissement en France, mais il est considéré comme un simple prestataire de services de la société située dans le pays à fiscalité privilégiée et ne déclare presque pas de bénéfices. Ce que nous devons démontrer, c'est que l'établissement installé en France - « Y », en l'espèce - n'est pas un simple prestataire de services mais exerce en France une véritable activité auprès des clients français, activité qui génère des bénéfices bien plus importants que ceux qu'il déclare.

Le quatrième exemple décrit un type de montage que j'ai déjà évoqué. Une entreprise installée en France - cette entreprise existe vraiment - fabriquait et vendait des produits en France, où elle employait 250 personnes et réalisait des bénéfices très importants. Elle a décidé de déplacer en Suisse une société en charge de la coordination de l'ensemble des opérations en Europe ; il n'est plus resté en France qu'une rémunération avec un taux de marge très faible. Pour démanteler ce genre de montage, il nous faut des informations sur ce qui se passe en Suisse. D'où la difficulté dont nous avons parlé tout à l'heure.

Le cinquième exemple est encore plus compliqué, mais on rencontre très souvent ce type de montage. Il s'agit d'un système de financement en boucle. En l'espèce, nous avons réussi à démanteler le schéma grâce à la procédure d'abus de droit. Une société installée en France, qui dépendait d'une société située aux États-Unis, réalisait des bénéfices très importants. En simplifiant les montages utilisés, on peut dire que la société installée en France, qui avait donc de l'argent, pouvait en distribuer à sa filiale créée au Luxembourg, les sommes en question étant immédiatement reversées à la société française sous forme de prêts. Or, quand vous souscrivez un emprunt, vous avez des charges que vous déduisez de vos bénéfices ; vous le remboursez sous forme d'intérêts et, en vertu d'un système avec les États-Unis, les intérêts ne sont pas imposés.

C'est un exemple typique de ces produits hybrides dont j'ai parlé tout à l'heure. Vous avez une charge en France et un système grâce auquel le produit n'est pas imposé. Ces montages relèvent à mes yeux de l'optimisation fiscale, mais il n'est pas aisé de les démanteler.

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