Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 9 avril 2009 à 9h30
Diffusion et protection de la création sur internet — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus aux termes de l’examen du si controversé projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

Le marasme économique dans lequel sont plongées les industries phonographiques et la fragilité des industries cinématographiques dans le contexte de l’avènement du numérique vous commandaient d’agir, madame la ministre, pour lutter notamment contre la piraterie.

Toutefois, nous déplorons que ce projet de loi ait été présenté au Sénat près d’une année après la signature des accords Olivennes. Dans cet intervalle, rien n’a été fait pour consolider le consensus obtenu par la signature des accords de l’Élysée, si bien que certains signataires les ont depuis dénoncés et les frictions entre les différents acteurs de la filière – auteurs, producteurs, diffuseurs, fournisseurs d’accès et internautes consommateurs – se sont ravivées.

Près de dix-huit mois vous auront été nécessaires pour faire voter en urgence ce texte par le Parlement. Au final, après l’échec de la loi DADVSI, vous avez mis plus de deux ans et demi pour tenter de trouver une réponse adaptée au piratage destructeur pour la création et les auteurs.

Je ne reviendrai pas sur le dispositif de la riposte graduée, car il a été très largement décrypté, d’abord par le Sénat, puis par l’Assemblée nationale. Dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire, nous sommes parvenus à un compromis acceptable entre les droits et obligations des internautes, des créateurs et des fournisseurs d’accès à internet.

Pour ce qui est de la suspension de l’abonnement à internet, dernier étage de la riposte, nous sommes satisfaits de la solution retenue par la commission mixte paritaire, qui est d’ailleurs celle que le Sénat avait votée en première lecture. Les abonnés sanctionnés devront continuer de payer leur abonnement le temps de la sanction. On ne peut pas rendre responsables les fournisseurs d’accès à internet des manquements commis par leurs abonnés, d’autant que l’offre triple play leur permettra de continuer de recevoir la télévision et le téléphone.

Les nouvelles pratiques d’accès aux biens culturels par le biais du Net et le développement de l’attractivité de l’offre légale de films rendaient, par ailleurs, nécessaire une adaptation de la chronologie des médias.

Le groupe socialiste du Sénat avait d’ailleurs déposé un amendement en première lecture pour ramener la fenêtre d’exploitation des films en DVD entre quatre mois et neuf mois après la sortie en salle.

Nous nous étions finalement ralliés à l’amendement voté sur l’initiative de M. le rapporteur, au nom de la commission des affaires culturelles, qui souhaitait en quelque sorte donner une dernière chance à la négociation interprofessionnelle pour parvenir à un accord sur ce délai.

Cet accord n’est malheureusement pas intervenu, et c’est de manière fort opportune que la commission mixte paritaire, unanime, a ramené le délai de sortie des films en DVD à quatre mois après la sortie de l’œuvre en salle, avec des dérogations possibles selon le succès ou la nature du film, qui peut nécessiter un temps d’exposition en salle plus important pour rencontrer son public.

S’agissant de la vidéo à la demande, elle bénéficiera des mêmes délais que le DVD si aucun accord interprofessionnel n’est intervenu dans le mois qui suivra la publication de la présente loi au Journal officiel, ce dont nous sommes satisfaits. Cette évolution de la chronologie des médias devrait renforcer l’attractivité de l’offre légale de films et contribuer parallèlement à l’érosion du piratage.

Concernant la musique, des dispositions sont prévues pour inciter les éditeurs phonographiques à renoncer aux mesures techniques de protection qui empêcheraient l’interopérabilité des œuvres sur tous les supports de lecture, ce qui est également positif pour accentuer l’intérêt pour l’offre légale numérique de musique.

Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire n’est cependant pas parfait, loin s’en faut.

Si ce projet de loi a l’avantage de graver dans le marbre de la loi le principe selon lequel le piratage des œuvres culturelles est un vol vis-à-vis du droit d’auteur, auquel il convient de répondre en prévoyant une sanction graduée et proportionnée, il manque, toutefois, cruellement d’un volet pédagogique qu’il aurait fallu développer en amont de son vote par le Parlement.

Il faut expliquer aux jeunes internautes et à leurs parents, les titulaires de l’abonnement à internet, les dangers pour la création artistique du piratage des œuvres. Il faut également insister sur le fait que la gratuité n’existe pas, sur internet comme partout ailleurs. Tout se paie, et cette rémunération, directe ou indirecte, est la source indispensable du financement du cinéma, de la musique et de l’ensemble de la création artistique.

Par ailleurs, il faut sensibiliser les internautes sur le caractère vital pour la création artistique de la défense du droit à rémunération des auteurs pour éviter que le dispositif de la riposte graduée ne soit pas compris et pas accepté et se solde, au final, par un échec pour la rémunération de l’ensemble de la chaîne des ayants droit de la création via internet.

Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale prévoyait que, à l’instar des présidents de Radio France et de France Télévisions, le président de la HADOPI était nommé par décret, autant dire, dans le contexte actuel, par l’Élysée. La commission mixte paritaire est revenue sur cette disposition, puisqu’il sera élu par les membres du collège, une disposition très sage pour notre démocratie.

Nous regrettons tous que ce texte ne réponde pas de manière satisfaisante à la question fondamentale de la rémunération de la création à l’ère numérique. Un modèle reste à inventer et la révolution numérique appelle une vigilance particulière pour assurer la préservation et le développement du cinéma, de l’édition et de la musique enregistrée.

Dans le contexte actuel de l’érosion des recettes publicitaires sur tous les supports d’information et de communication, il ne nous semble pas suffisant d’encourager un modèle économique consistant à asseoir une partie de la rémunération des auteurs sur le partage de recettes publicitaires de plus en plus incertaines.

Simultanément, il nous faudra revisiter le thème de la démocratisation culturelle, en prenant en compte les nouvelles pratiques artistiques et sociales qui se déploient sur le Net.

Pour notre part, nous serons toujours disponibles pour participer à la recherche d’une solution économique permettant le respect du droit d’auteur, tout en favorisant la diffusion culturelle pour le plus grand nombre, en rassemblant les internautes et les artistes, et non en les opposant.

Pour les raisons que j’ai évoquées, nous restons sceptiques sur l’efficacité de ce texte et sa propension à réduire significativement le piratage des œuvres.

Afin de manifester notre soutien indéfectible aux auteurs dont les œuvres sont piratées, nous avions accepté de soutenir votre projet de loi lors de son examen en première lecture par le Sénat. Cependant, vous n’avez que trop tardé, madame la ministre, pour faire adopter ce texte.

Permettez-moi d’ajouter que l’amendement de M. Christian Kert prévoyant que la collaboration des journalistes dans une entreprise de presse est désormais multi-support est tout à fait inacceptable tant sur le fond, sans l’accord des journalistes, que sur la forme, car il est, à nos yeux, un cavalier. Un débat sur la presse au sein de notre assemblée nous paraît indispensable.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste du Sénat s’abstiendra sur ce texte.

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