Merci pour votre invitation. Vous mentionnez à raison que les pénuries de médicaments ne datent pas d'aujourd'hui : j'ai déjà été auditionnée sur le sujet en 2018 par la commission des affaires sociales du Sénat ; le problème n'est donc pas récent et il s'aggrave, les pénuries de médicaments sont de plus en plus récurrentes, c'est une préoccupation majeure quand la pénurie concerne le traitement de maladies graves ou encore nos enfants. Ces pénuries posent des problèmes de santé pour les patients et de santé publique, elles représentent aussi un gaspillage de temps médical, dont chacun sait combien il est précieux.
La HAS n'a pas de compétence définie dans la gestion des pénuries, qu'il s'agisse de vaccins ou de médicaments, nous n'avons donc pas de vision fine, chiffrée, sur ces phénomènes. Cependant, nous intervenons dans des situations particulières de pénurie. Étant en charge de la politique vaccinale, lorsqu'il y a une situation de pénurie, nous proposons d'ajuster la stratégie vaccinale, en priorisant des populations et en modifiant le schéma vaccinal. C'est ce que nous avons fait lors de la crise de la Covid, où la pénurie tenait à ce que les vaccins arrivaient lentement par rapport aux besoins ; nous l'avons fait également en 2018 lorsque les tensions d'approvisionnement en vaccins contre les infections à pneumocoque avaient conduit le directeur général de la santé à nous saisir pour établir un schéma vaccinal transitoire qui garantisse l'accès au vaccin pour les populations que nous identifions comme prioritaires. Nous avions alors déploré les difficultés d'accès à ce vaccin et leurs conséquences sur la couverture vaccinale. Nous avons encore eu à définir des publics prioritaires pour la vaccination contre le virus de la Covid-19, au fil de l'eau, en fonction du nombre de doses de vaccins dont notre pays disposait.
Nous intervenons aussi face au risque de pénurie de médicaments, mais de façon marginale par rapport à l'Agence nationale de sûreté du médicament (ANSM). Je pense par exemple à la pénurie de technétium 99m (99mTc), principal élément radioactif utilisé en médecine nucléaire pour la réalisation de scintigraphies, qui était apparue en 2016. L'ANSM devait prioriser les populations et elle nous avait saisis sur l'usage d'alternatives au technétium pour les femmes enceintes quand il y avait une suspicion d'embolie pulmonaire : certains produits alternatifs pouvant être plus irradiants, il fallait un examen spécifique et préciser les bonnes conduites.
En dehors de ces saisines ponctuelles, pendant la crise sanitaire, pour aider les professionnels gênés dans leur pratique, nous avons fait, ce que nous avons appelé des réponses ou recommandations rapides. Elles ne suivent pas, faute de temps, la procédure scientifique habituelle des recommandations de la HAS, mais sont faites avec des professionnels et des patients, avec la même rigueur et dans les mêmes conditions déontologiques. Nous avons ainsi eu à nous prononcer sur l'usage parcimonieux du midazolam, utilisé pour la prise en charge de l'anxiolyse en réanimation et pour la sédation en soins palliatifs, ceci au moment où la crise sanitaire faisait augmenter très fortement les besoins, au risque d'une pénurie.
Dernier exemple, la HAS met à disposition des éditeurs de logiciels de soins ou de bases de données sur les médicaments, la liste des systèmes d'aide à la décision indexée par médicaments (SAM) référencés, en vue de leur intégration dans les logiciels d'aide à la prescription (LAP) et de dispensation (LAD). Les SAM, que les pharmaciens connaissent bien, permettent qu'au moment de la prescription ou de la dispensation, un message d'information se déclenche en fonction du médicament prescrit et du contexte clinique ou physiologique du patient - informant le professionnel des risques liés au mésusage du médicament. En cas de pénurie, nous communiquons aux éditeurs de ces logiciels des informations supplémentaires à insérer, pour alerter les professionnels sur le bon usage du médicament et sur les alternatives. Nous l'avons fait par exemple pour l'Amoxicilline, pour encourager les alternatives et faire respecter les durées de traitement. Ces pop-up sont très utiles, mais leur efficacité dépend de la rapidité avec laquelle les éditeurs de ces logiciels les insèrent - nous publions du contenu mais sa diffusion n'est pas dans nos mains, il y a probablement des progrès à faire de ce côté-là.
Il existe plusieurs situations de pénurie. Elle peut être conjoncturelle, en venant d'une demande qui augmente tout à coup très fortement, ou bien lorsqu'un segment de la chaîne de production connaît un problème subit, comme il y en a, et ce n'est pas rare, dans la production de certains vaccins qui utilisent le vivant. La pénurie conjoncturelle ne tient pas, dans ces deux cas, à la volonté ni aux stratégies des laboratoires pharmaceutiques. Autre chose est le cas de la pénurie d'un médicament ou d'un vaccin qui résulte du désintérêt de l'industriel pour ce médicament ou ce vaccin anciens, qu'il considère peu rémunérateurs, alors qu'ils comptent beaucoup dans la stratégie vaccinale ou de soins. Enfin, troisième cause de pénurie, les choix commerciaux des laboratoires, qui relèvent de leur stratégie d'entreprise - et qui les fait décider de la répartition géographique de leurs produits en fonction d'un grand nombre de facteurs.
Je n'ai pas de chiffres qui répartissent ces trois facteurs de pénurie, mais on constate que les problèmes liés à la fabrication des produits deviennent de plus en plus fréquents. Une amélioration possible est à rechercher du côté de la collaboration entre États européens, parce que si des problèmes peuvent être résolus par l'ANSM, d'autres se posent en fait à une échelle bien trop large, où une gestion européenne aurait plus de chance d'être efficace. Cette démarche a commencé, avec l'Agence européenne des médicaments (EMA), qui s'est vue confier de nouvelles missions. De même, l'Union européenne s'est dotée d'une nouvelle autorité de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, appelée à faire des achats groupés, dans certaines circonstances.
Le facteur économique ne peut être exclu des causes d'une pénurie, mais il n'est pas certain qu'une hausse du prix en France suffirait à y remédier, d'abord parce que les laboratoires pharmaceutiques développent des stratégies mondiales, dans lesquelles le marché français représente peu. Quant aux pénuries liées à des problèmes de fabrication, laquelle est souvent très complexe, il nous semble important de les anticiper au mieux, pour disposer le plus rapidement possible de stratégies alternatives et en informer les professionnels et les patients.
Les pénuries de vaccins et de médicaments étant donc multifactorielles, complexes, il ne me semble pas qu'il y ait une solution simple, unique. La HAS n'ayant pas de compétence dédiée à ce sujet, je ne dispose pas de données précises ni synthétiques sur le sujet, je ne suis pas en mesure de vous en présenter un tableau général - et je précise que le rôle de la HAS en la matière reste modeste.