Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Commission d'enquête Concessions autoroutières — Réunion du 2 juillet 2020 à 14h40
Audition de M. Jean-Baptiste Djebbari secrétaire d'état chargé des transports

Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État chargé des transports :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureux que nous puissions échanger à propos d'un sujet éminemment politique sur lequel j'ai été amené à me pencher en tant que député. Mes fonctions actuelles confortent mon intérêt pour cette question. Elles me permettent de porter un regard rétrospectif sur le passé du réseau autoroutier et de tracer quelques perspectives pour l'avenir.

Ce modèle autoroutier s'est dessiné au milieu des années 1950. Ses modalités de gestion ont beaucoup évolué au fil des années. Elles ont fait émerger un réseau routier qui fait beaucoup d'envieux en Europe pour la qualité de ses infrastructures et de ses services, ainsi qu'un modèle qui a fait l'objet de contentieux et de nombreux débats politiques qui m'amènent aujourd'hui à échanger avec vous.

Peut-être vais-je revenir rapidement sur les leçons que j'en tire au titre de mes fonctions. Je dirai un mot du présent et tracerai les perspectives d'avenir telles que je les envisage aujourd'hui.

J'ai eu l'occasion d'écouter vos différents interlocuteurs, et je ne reviens pas sur le passé. L'État a innové en 1955 en concédant pour la première fois la construction et l'exploitation de ses autoroutes, qui ont vu la durée des concessions s'allonger et intégrer des sections interurbaines moins rentables à l'époque. Ceci a eu le mérite indéniable de soutenir l'aménagement du territoire. On peut assez facilement s'en convaincre quand on compare la carte de l'année 1960 à celle du milieu des années 1990. Cela a permis de soutenir la vitalité d'un certain nombre de territoires, comme le grand Massif central ou autres, et d'assurer leur connectivité.

De fait, ce réseau, de 80 kilomètres au moment de sa création en 1955, est passé à environ 1 500 kilomètres en 1970 et compte aujourd'hui 9 100 kilomètres, ce qui en fait un réseau quasiment comparable au réseau non concédé, qui représente aujourd'hui environ 12 000 kilomètres.

S'il fallait ne retenir que deux dates, on pourrait en premier lieu choisir l'année 2006, qui a constitué un tournant majeur avec la privatisation des sociétés concessionnaires. On peut certainement s'interroger sur le fait que le changement d'actionnaire ait été réalisé sans revoir les modalités du contrat de concession, notamment la loi tarifaire. C'est une pomme de discorde qui, depuis, a donné lieu à beaucoup d'interrogations et de contre-vérités, et qui a eu pour défaut d'altérer la confiance des élus et d'une partie de l'opinion dans la gestion par l'État de ses relations avec les sociétés concessionnaires.

Le deuxième moment important est, de mon point de vue l'année 2015. Le protocole signé a permis de solder les différents litiges qui existaient alors et de tirer profit d'un certain nombre de recommandations de la Cour des comptes, de l'Autorité de la concurrence et de la Commission européenne. Il y a véritablement un avant et un après 2015.

L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), est ainsi devenue l'Autorité de régulation des transports (ART), compétente pour rendre des avis importants, comme ceux mis en oeuvre en 2018, par exemple. On peut également la faculté d'introduire de clauses de plafonnement des surprofits concernant la rentabilité des avenants. Différents apports sont par ailleurs venus préfigurer ce que seront les autoroutes de demain, comme la contribution volontaire des sociétés concessionnaires, essentiellement versée à l'Agence de financement des infrastructures de transport (AFIT) pour financer les transports collectifs, ou la mise en place de mesures commerciales destinées à favoriser les publics les plus fragiles - jeunes, étudiants - et de modes de transport plus vertueux, tels le covoiturage.

Pour en revenir au présent, nous vivons sous l'empire du modèle mis à jour en 2015, qui a déjà porté ses fruits. L'avenant au plan d'investissement autoroutier (PIA), en 2018, s'est directement inspiré de l'avis de l'ART, notamment s'agissant du taux de rentabilité. Nous avons, par là même, démontré l'intérêt d'un régulateur fort sur ces sujets.

Il existe aussi des enjeux très contemporains liés à la transition écologique, comme l'implantation des bornes électriques nécessaires à l'itinérance. Ceci fait assez largement écho au plan de soutien à l'industrie automobile, qui en avait bien besoin. Tout se tient donc.

Nous avons également besoin d'investissements nouveaux pour les voies réservées, afin de permettre davantage de transports collectifs sur les autoroutes. Il est, pour ce faire, nécessaire que le modèle actuel et le modèle futur soient acceptables du point de vue de l'usager et du contribuable.

Pour l'avenir, les principales concessions historiques arrivent à échéance entre 2031 et 2036. Le droit européen pose un certain nombre de conditions pour la perception des péages. Quelques questions se posent dans cette perspective. Il ne s'agit pas de questions faciles.

La première est de savoir comment l'on veut opérationnellement gérer notre réseau autoroutier : veut-on une gestion unitaire de l'ensemble du réseau ou préserver une gestion différenciée avec un réseau rapide et payant ? On pourra peut-être revenir à ce sujet sur la question des 110 kilomètres. Souhaite-t-on un réseau d'aménagement du territoire gratuit, financé par la puissance publique ? Si ce deuxième modèle perdure, doit-on avoir recours en tout ou partie à des opérateurs privés ?

Autre question importante : qui finance ? Peut-il s'agir d'un modèle intégralement financé par l'État ? C'est le cas, par exemple, en Espagne où la fin des concessions a pris effet au 1er janvier 2020. Le financement par l'État, c'est le financement par l'impôt et donc, in fine, par le contribuable. Comment sécuriser les ressources nécessaires, dans un contexte où la régulation budgétaire est une réalité annuelle ?

A contrario, veut-on préserver un modèle où c'est finalement l'usager qui paye ? Peut-être souhaiterait-on, dans cette hypothèse, aller vers une plus grande contribution de ceux qui polluent ou pollueront le plus à l'avenir.

La troisième question qui me paraît importante est de savoir ce que l'on veut jusqu'à l'échéance 2031-2036. On peut évidemment ne rien faire, ne pas toucher aux contrats tels qu'ils sont aujourd'hui, en considérant que ce sont des objets politiques un peu trop sensibles. On peut les réviser en tenant compte des améliorations de 2015, les contrats qui existent aujourd'hui comportant des investissements qui n'ont plus la même pertinence qu'auparavant. Je pense notamment à des élargissements de voies autoroutières à deux fois trois voies ou deux fois quatre voies, qui ne correspondent pas forcément à la nature des investissements que j'ai cités auparavant.

Enfin, comment rendre ce modèle acceptable ? Ces sujets peuvent évidemment susciter l'émoi ou l'enthousiasme, notamment lorsqu'on en débat localement. J'ai eu à vivre cette expérience au sujet du projet d'autoroute concédée entre Limoges et Poitiers. J'y reviendrai peut-être au cours des questions. Il me semble que cette question est une question d'acceptabilité locale. Mon expérience de député et de secrétaire d'État en charge des transports me laisse à penser que la clé réside dans la conviction que ces projets se feront parce qu'ils ont une utilité socio-économique locale. Autrement dit, tous les grands projets qui ont achoppé ces dernières années - EuropaCity, Notre-Dame des Landes - sont des projets qui ont fini par ne plus faire sens pour les populations. De ce point de vue, les projets d'infrastructures présentent les mêmes caractéristiques.

De toutes ces questions peuvent découler des modèles très différents. Il ne faut jamais oublier qu'un projet d'infrastructures n'est pas une fin en soi, mais qu'il répond aux besoins de la société. Or ces besoins évoluent. La Convention citoyenne pour le climat en est une des illustrations. Cela me semble constituer un très bel objet de débat politique.

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