Intervention de Jean-Philippe Siblet

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 21 décembre 2016 à 14h05
Audition de M. Jean-Philippe Siblet directeur du service du patrimoine naturel du muséum national d'histoire naturelle mnhn

Jean-Philippe Siblet :

Volontiers.

Vous m'avez également interrogé sur le bilan que l'on peut dresser de la mise en oeuvre de la séquence ERC - « éviter-réduire-compenser » - depuis la loi du 10 juillet 1976. Ce bilan est finalement assez récent, car la séquence ERC n'est réellement prise en compte que depuis dix ou quinze ans. On n'a donc pas beaucoup de recul et notre capacité d'évaluation est, somme toute, limitée. Elle est aussi limitée parce qu'il manque, à mon sens, trois éléments importants.

Premièrement, jusqu'à la nouvelle loi sur la biodiversité, qui a prévu un registre national des opérations de compensation, la bancarisation des mesures de compensation n'existait pas. On n'avait pas de cartographie ni même de liste des mesures qui ont été mises en place et des méthodes de suivi.

Deuxièmement, la standardisation des méthodes de suivi qui permettent d'évaluer l'atteinte des objectifs est très faible. Ce point est lui aussi extrêmement négatif. On n'a pour ainsi dire pas de synthèse des bilans recueillis pour chaque opération à des échelles intégratives, qu'elles soient administratives ou écologiques. Par exemple, on n'est pas capable de dire, à l'échelle d'une vallée, ce qui a été fait, comment cela a été fait, ce qui a marché et ce qui n'a pas marché et la méthode utilisée pour l'évaluation.

Il me paraît envisageable de mesurer une opération de compensation, mais cela nécessite la prise en compte de deux principes fondamentaux préalables.

Le premier principe est ce que j'appelle la notion d'incertitude. Il faut savoir que l'ingénierie écologique est une science jeune et que la plupart des opérations de compensation reposent sur des expérimentations pour lesquelles peu de références existent. Par ailleurs, les références existantes concernent des contextes qui ne sont pas nécessairement comparables. Il faudrait donc adopter comme principe que l'efficacité des mesures compensatoires doit être évaluée sur la base de résultats tangibles, et pas uniquement sur la simple mise en oeuvre desdites mesures. Cela doit conduire à un principe de réajustement des mesures compensatoires si l'évaluation démontre leur manque de fonctionnalité. Ce point est important.

Cette réforme représenterait quand même une forme de révolution culturelle, parce qu'il est assez peu admis aujourd'hui qu'une mesure compensatoire puisse ne pas produire d'effet, notamment qu'elle puisse ne pas produire les effets escomptés, puisque ce sont des experts qui l'ont prévue.

Le second principe est la notion de finitude des territoires. Notre planète est de plus en plus petite, de plus en plus finie. Nous connaissons tous la question de l'empreinte écologique. On consomme ce que la planète peut nous donner chaque année un peu plus tôt.

Les mesures compensatoires nous interpellent très directement sur cette question. En effet, il paraît délicat, voire impossible d'évaluer l'impact d'une infrastructure s'il n'est pas possible d'évaluer la capacité de résilience du territoire sur lequel elle s'installe et ce, à des échelles pertinentes de perception. Cependant, jusqu'où peut-on aller dans l'artificialisation, la fragmentation, l'intensification de l'usage des sols d'un territoire donné sans affecter de façon définitive la capacité de résilience des écosystèmes et donc provoquer corrélativement un effondrement de la biodiversité ? Cette notion de finitude est extrêmement importante et doit s'apprécier à différentes échelles de perception.

Pour conclure sur cette question, je pense que l'on peut faire l'hypothèse que la prise en compte de ces deux principes conduirait à un changement de paradigme et à une proposition très différente de celle qui existe actuellement, permettant de déboucher sur des solutions beaucoup plus efficaces pour mettre à terme à l'érosion de la biodiversité et plus acceptables par la plupart des parties prenantes, qu'il s'agisse des aménageurs, de l'État, des organismes instructeurs ou des acteurs environnementaux, notamment par un recours accru à la modélisation prédictive en amont des projets et par un partage plus équitable de la charge de la compensation entre projets.

Cela éviterait de confier aux uns la charge de ce que les autres n'ont pas fait. On connaît les systèmes d'impact cumulatif. Je veux citer l'exemple des infrastructures linéaires : on fait une ligne à haute tension, puis une autoroute, puis une ligne à grande vitesse, et c'est à celle-ci qu'il incombe de compenser les deux premières - de fait, c'est impossible. À qui appartient la charge de la compensation ? Comment doit-elle être mise en oeuvre ? En la matière, prendre en compte les deux principes que je viens d'exposer permettrait d'améliorer les choses.

Définir la compensation est une tâche extrêmement complexe ! Il y a eu de nombreux travaux, et même des thèses sur le sujet. Pour ma part, j'estime que la compensation pourrait être définie par l'ensemble des mesures susceptibles de permettre le maintien ou la restauration du bon état de conservation des habitats et des espèces impactées par le projet. Cette définition a le mérite d'être relativement simple. Elle peut même paraître simpliste aux yeux de certains de mes collègues.

Les critères permettant d'assurer la réussite d'un projet de compensation sont très nombreux et ne sont pratiquement jamais tous mis en oeuvre de façon simultanée, ce qui pose bien le problème. En réalité, il n'y a actuellement aucune opération de compensation en France et pratiquement aucune dans le monde qui soit menée dans les règles de l'art, telles que définies par l'ensemble des écologues ou des ingénieurs. D'ailleurs, je pense que vouloir respecter ces règles rendrait l'opération économiquement non viable, car aucun opérateur n'accepterait de les mettre en oeuvre. Il faut donc garder une certaine modestie par rapport à ces questions.

Pour ma part, j'ai relevé cinq critères majeurs.

Premièrement, il n'y a pas de bon projet de compensation sans étude initiale de qualité, sur la faune, la flore, les habitats et sur la fonctionnalité des écosystèmes, sujet que l'on ne fait encore qu'effleurer aujourd'hui et pour lequel nous n'avons pas toutes les réponses scientifiques. Comment un écosystème fonctionne-t-il ?

Deuxièmement, il faut respecter une certaine proximité des sites de compensation. Ce critère est plus proche d'un principe de précaution qu'il n'est un critère véritablement scientifique. Plus le site de compensation est proche du site impacté, plus les chances de réunir un certain nombre de paramètres écologiques comparables - une même entité biogéographique et bioclimatique - et d'éviter des dérives sont importantes. C'est un principe de bon sens, qui n'est pas complètement absolu. Par exemple, il n'y a pas d'équivalence écologique entre une tourbière et un boisement, même situé à un kilomètre.

Troisièmement, il faut une équivalence écologique des terrains compensés. C'est à la fois une tarte à la crème et une condition incontournable. Aujourd'hui, on voit fleurir des études d'impact un peu compliquées qui expliquent que l'on peut compenser un hectare de bouleaux par deux hectares de hêtres. Je pense que, scientifiquement, il ne serait pas très long de démontrer que cela ne peut fonctionner ainsi.

Tout ne doit probablement pas pour autant être jeté à la poubelle. Mais, aujourd'hui, il n'existe pas de dispositif permettant de prouver scientifiquement que la compensation engagée évite une perte nette de biodiversité.

Quatrièmement, il faut aller vers la recréation, vers la renaturation d'espaces, et pas simplement préserver des espaces qui possèdent déjà une valeur importante. Une compensation qui consisterait à préserver un espace naturel de qualité n'en est pas vraiment une, puisque la superficie impactée sera de toute façon perdue.

Je suis assez frappé que des opérateurs puissent proposer, à titre de mesure de réduction, de différer leurs travaux après la période de reproduction des oiseaux. C'est un peu comme si je vous disais que votre voisin habitera chez vous durant ses travaux ! La place est déjà prise. Quand les travaux auront commencé, les territoires où les oiseaux chercheront à migrer seront déjà occupés par d'autres oiseaux.

Actuellement, on compte trois couples d'oiseaux nicheurs par Français. En réalité, très peu d'espèces d'oiseaux comptent des effectifs extrêmement importants. L'espèce la plus importante, en France, est le pinson des arbres : on en recense entre 8 et 10 millions de couples. Je rappelle que nous sommes 65 millions. L'espèce humaine est de très loin la plus nombreuse sur notre territoire !

Cinquièmement, il faut des mesures de suivi adaptées. Bien souvent, chacun estime qu'il a défini la meilleure méthode de comptage. Certains essaient de minimiser les coûts ; d'autres, de gagner un peu plus d'argent... Au final, cela donne des résultats nuancés et, parfois, des situations un peu étonnantes. Par exemple, l'opérateur qui a obtenu le marché public se déclare incompétent techniquement ou conteste le bien-fondé des normes figurant dans le marché. On constate de vrais déficits techniques sur ces questions.

Certes, la nouvelle loi sur la biodiversité apporte des éléments positifs pour la mise en oeuvre de la compensation écologique, mais ce qui fait le plus défaut en la matière n'est pas forcément l'absence de textes ; c'est plutôt la volonté politique déterminée d'appliquer les textes existants. C'était d'ailleurs en partie vrai de la loi de 1976, qui permettait déjà de faire beaucoup de choses. Par ailleurs, je regrette le choix, pour l'intitulé de la nouvelle loi, du terme guerrier de « reconquête » : il faut faire mieux que la guerre à la biodiversité !

Il faut aussi des moyens adaptés. Sans moyens, on ne peut imaginer faire les choses bien. Les besoins en recherche et développement sur la thématique de la compensation sont importants, pour un coût modéré - de l'ordre de quelques dizaines ou centaines de milliers d'euros. Il est dommage que l'on ne se donne pas aujourd'hui les moyens de réaliser ces études !

Il faut également disposer de moyens de contrôle. Pour avoir travaillé pendant dix-huit ans dans un service extérieur de l'État, qui s'appelait, à l'époque, « direction régionale de l'environnement », je peux vous dire que l'on manque de moyens. On ne peut pas être partout, même dans une région comme l'Île-de-France. On n'a pas le temps de vérifier tous les projets ni de lire des études d'impact qui représentent plusieurs mètres cubes de papier.

La proximité géographique est selon moi un élément essentiel à la réussite d'un projet de compensation.

En revanche, je ne peux pas définir une distance maximale. Il faut également tenir compte du caractère mosaïque de l'habitat. Plus l'habitat est complexe, plus il est difficile de s'éloigner ; plus l'habitat est homogène, plus on peut trouver des habitats comparables, même à distance de quelques kilomètres. Les études portant sur cet aspect de la question n'ont, pour l'instant, pas donné de résultats très convaincants.

Au reste, il ne faut s'enfermer dans trop de carcans : il faut essayer de respecter des principes, sans se dispenser d'être intelligent. S'il y a des coups à faire, même s'ils ne sont pas orthodoxes d'un point de vue scientifique, faisons-les ! À partir du moment où les choses sont expliquées, elles sont parfaitement recevables. On peut expliquer que l'on a volontairement décidé de ne pas respecter tel critère pour saisir une opportunité.

La nouvelle loi fixe le principe suivant lequel les mesures de compensation ne peuvent pas se substituer aux mesures d'évitement et de réduction.

Il faut garder en mémoire que la meilleure compensation est celle qu'il n'est pas nécessaire de faire. Ce n'est pas qu'une boutade : moins on fera de compensation, mieux la biodiversité se portera.

La compensation ne doit pas être le recours ultime après que les processus d'évitement et de réduction ont été mis en oeuvre. Il doit pouvoir y avoir un évitement : si le bilan coût-avantages en termes d'aménagement du territoire, de bien-être de la population, de respect et de préservation de la biodiversité est trop défavorable, on doit pouvoir renoncer à un projet.

En tant que membre du Conseil national de la protection de la nature, je vois que la notion d'intérêt public majeur est parfois utilisée à tort et à travers. Il est intéressant de noter qu'elle est utilisée à des échelles différentes. Potentiellement, tout peut avoir un intérêt public majeur, même un terrain de football construit sur une tourbière, pour le bien de la population, la santé des administrés, le développement du sport... sauf que la tourbière est l'un des rares écosystèmes qu'il n'est absolument pas possible de recréer. Il me semble que cette notion d'intérêt public majeur est parfois déterminée avec un peu d'abus, voire de laxisme.

Pour ce qui concerne la détermination en amont des impacts, je veux vous signaler qu'une expérience intéressante a été menée en lien avec le Muséum et la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM, du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Cette expérience porte le nom de « CARNET B », pour « cartographie nationale des enjeux territorialisés de biodiversité remarquable ». Ce travail a consisté à utiliser toutes les informations disponibles sur un territoire donné, à les restituer à une maille kilométrique de 10 kilomètres sur 10 kilomètres et, à partir de là, de déterminer les fuseaux de moindre impact des infrastructures futures, de manière à minimiser les impacts très en amont. Cette initiative me paraît intéressante, d'autant qu'une campagne d'inventaire dédiée a été menée sur un certain nombre d'espèces réglementées, dites « patrimoniales » ou à enjeux, dans trois régions pilotes, dont la Lorraine et le Centre.

Cette opération « gagnant-gagnant » a permis de faire progresser la connaissance en biodiversité et, dans le même temps, de fournir des informations très intéressantes pour l'aménagement du territoire. Cette expérience mériterait d'être poursuivie.

On pourrait même imaginer un maillage plus serré, pour être encore beaucoup plus opérationnel. La maille de 10 km sur 10 km est la norme européenne et que l'on utilise pour la restitution des informations dans le cadre de l'inventaire national du patrimoine naturel. Nous avions calculé la faisabilité et le coût d'un maillage de 1 km sur 1 km sur toute la France, pour avoir une idée des enjeux. Le coût était apparu très important, mais pas si excessif au regard du coût d'autres infrastructures. Surtout, la limite n'était pas tant financière que liée au nombre de naturalistes nécessaires pour réaliser l'opération. Aujourd'hui, nous n'en sommes plus là de nos réflexions, mais ces travaux ont permis de montrer que la réalisation d'un maillage fin n'était pas totalement utopique.

Le Muséum commence à étudier la question des actifs environnementaux et de la compensation par l'offre. Nous avons un partenariat avec le conseil général des Yvelines, qui mène une opération pilote dans le cadre de l'appel à projets lancé par le ministère de l'écologie. Nous travaillons ensemble depuis maintenant trois ans. Nous nous sommes rendu compte que, en la matière, l'un des points clés est le foncier. Pour une collectivité territoriale, acheter du foncier en évitant l'expropriation n'est pas très simple. C'est même quasiment impossible dans un certain nombre de cas. Le projet, pour l'instant, butait sur ces problèmes d'acquisition. Par ailleurs, l'équivalence écologique nécessite d'acheter des terrains qui rendent la compensation possible, selon les normes que je vous ai présentées. En particulier, les terrains plus simples à acheter, ceux qui ne font pas l'objet de spéculation, qui ne permettent pas de développement, sont souvent les plus riches d'un point de vue écologique. Les terrains qui nous intéressent sont des terrains dégradés, que l'on pourra renaturer.

Nous avons donc une assez bonne connaissance de ces questions. Nous nous demandons si l'on peut s'orienter vers des mesures de gestion au moins autant que vers l'acquisition foncière, par exemple, en proposant des agriculteurs volontaires des mesures agri-environnementales pour gérer les terrains à long terme. Au reste, ce n'est pas très simple de trouver des agriculteurs volontaires, sauf dans le marais breton, où le taux de contractualisation des prairies naturelles, au titre des mesures agri-environnementales, s'élève à 80 %. Or, aujourd'hui, les primes sont versées avec un retard de deux ans, ce qui est problématique quand on sait que la prime fait le salaire.

J'en viens à la Crau, qui fait partie de vos cas d'étude. Il se trouve que je connais bien ce territoire, pour être ornithologue de formation et de coeur. J'ai beaucoup parcouru la Crau. Je considère que, d'un point de vue technique, le projet Cossure est très abouti. C'est vraiment un travail de très grande qualité. Les terrains qui ont été réhabilités et restitués ont une très grande valeur, mais n'ont pas la valeur des cossouls vierges. Aujourd'hui, nous ne sommes pas capables de reconstituer du cossoul originel.

Ne nous leurrons pas : certains espaces ne sont pas compensables. Une tourbière n'est pas compensable ; le cossoul de la Crau n'est pas compensable. Ce point est extrêmement important. Or, durant les dix dernières années, plusieurs dizaines voire centaines d'hectares de cossouls vierges ont disparu sous l'effet de l'artificialisation, liée notamment à l'implantation d'équipements logistiques sur la commune de Saint-Martin-de-Crau.

J'ai bientôt soixante ans ; j'ai fréquenté ces terrains pour la première fois à dix-huit ans. J'y ai vu des Ganga cata, des outardes canepetières. J'y ai vu chasser le vautour percnoptère. Aujourd'hui, on voit des boîtes à chaussures de plusieurs centaines de milliers de mètres carrés sur des centaines d'hectares, à perte de vue ! On aurait peut-être mieux fait de préserver ces terrains, qui ont une valeur inestimable. En termes d'aménagement du territoire, cet endroit est tout de même relativement vaste. Il y avait de la place ailleurs.

On a artificialisé sur les cossouls vierges. Et cela continue, puisque l'on a vu passer des dossiers au Conseil national de la protection de la nature voilà encore quelques mois. La compensation écologique a consisté en la création d'un vaste plan d'eau, qui, de toute façon, était nécessaire, compte tenu des risques d'incendie, en bordure de la route qui dessert Salon-de-Provence. Ce plan d'eau serait sans doute très apprécié dans certains secteurs urbains défavorisés, mais il ne vaut pas un site qui abrite des espèces endémiques uniques au monde. Par ailleurs, ce projet est intellectuellement déstabilisant : on est obligé d'imaginer des destructions, y compris de sites naturels, pour prendre des mesures de restauration.

Après-guerre, la Crau était en déshérence. L'élevage y était difficile. On a distribué des aides massives pour l'implantation d'arboriculteurs, notamment pour les pêchers. Cela a profondément déstructuré le sol, qu'il a fallu retourner, irriguer. Dans les années quatre-vingt, la chute de la production et les difficultés du marché ont conduit à un abandon progressif de ces cultures. Et je ne vous parle pas de l'implantation de terrains militaires ou autres centres d'essai pour véhicules, de ce grignotage qui, aujourd'hui, fait ressembler les marges de la Crau à un vrai gruyère. D'ailleurs, ceux qui ont créé la réserve naturelle se rappellent qu'ils se sont arraché les cheveux tellement le foncier était devenu complexe.

Aujourd'hui, fort heureusement, la Crau est une réserve naturelle nationale. Son coeur est protégé, mais il y a encore du travail.

Son exemple montre que l'utilisation de mesures compensatoires pour pallier des carences dans la préservation d'espaces remarquables constitue une déviance.

Autre exemple, l'aménagement du grand port du Havre : la mesure compensatoire a consisté à aider l'État à financer la réserve naturelle. Sauf que la réserve naturelle avait été créée pour compenser l'impact de Port 2000 ! Cette situation pose problème, d'un point de vue éthique comme sur le plan du respect de la loi.

Je ne connais pas suffisamment les sujets de l'autoroute A65, de la LGV Tours-Bordeaux et, surtout, de Notre-Dame-des-Landes, que je n'ai pas eu à traiter dans le détail.

Dans le cadre de la LGV Tours-Bordeaux, le concessionnaire, LISEA, a mis en place une fondation d'entreprise, dotée de plusieurs millions d'euros, qui sert à soutenir ou encourager des projets en faveur de la biodiversité sur un territoire relativement large. C'est intéressant, mais cela n'a jamais été présenté comme une mesure compensatoire par LISEA.

Pour ce qui concerne l'information du public, sur laquelle vous m'avez également interrogé, il y a parfois une petite confusion : l'argent versé par LISEA a tendance à être assimilé à une mesure compensatoire. Il faut être très précis. Bien sûr, il faut informer davantage, mais ces sujets extrêmement techniques se prêtent mal à une communication grand public. Il faut donc savoir ce que l'on dit, comment on le dit et quel public on vise.

Je vois quand même trois grands axes de communication.

Il faut dire à nos concitoyens que l'espace est limité et qu'il nécessite une gestion économe et raisonnée. Je me rappelle avoir lu, à la fin des années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt, dans des textes qui émanaient de la DATAR, que la France était un pays vaste et qu'il n'était pas nécessaire d'économiser l'espace. On n'écrirait sans doute pas la même chose aujourd'hui !

Il faut aussi expliquer que l'on ne peut pas tout monétiser. Le rapport Chevassus-au-Louis sur le coût de la biodiversité l'a bien montré, la nature exceptionnelle n'a pas de prix. Par exemple, si une tourbière est détruite, on ne sait pas la reconstituer.

De plus, on affiche un objectif d'absence de perte nette de biodiversité très noble, auquel le grand public peut adhérer. Mais on ne peut atteindre cet objectif sans un référentiel clair. Actuellement, la tendance naturelle est de gouverner par des slogans. Au-delà, nous devons trouver une réalité scientifique et technique.

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