Intervention de Laurent Piermont

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 21 décembre 2016 à 14h05
Audition de M. Laurent Piermont président et M. Philippe Thiévent directeur de cdc biodiversité

Laurent Piermont, président de CDC Biodiversité :

Je souhaiterais rappeler brièvement l'historique de l'implication de la Caisse des dépôts dans les questions de compensation et de biodiversité pour vous permettre de mieux comprendre la raison de notre présence parmi vous.

La Caisse des dépôts a engagé en 2004 une mission de réflexion sur les leviers économiques d'action qu'elle pouvait développer en faveur de la biodiversité. Cette réflexion a abouti, en 2006, à la création de la mission « Biodiversité » de la Caisse des dépôts pour laquelle Philippe Thiévent m'a rejoint. Cette mission a travaillé en étroite concertation avec les associations, le monde scientifique et les services de l'État. C'est en accord avec eux que nous avons orienté notre réflexion en 2006 sur le levier de la compensation, volet de la loi de 1976 qui n'était pas suffisamment respecté. La loi de 1976 a défini le concept : « Éviter, réduire, compenser ».

Les principes généraux qui ont structuré la réflexion avaient pour objectif d'aboutir à des propositions d'actions concrètes, de prendre comme étalon de l'action un étalon écologique et non financier, et enfin, de chercher à concilier économie et biodiversité.

En 2007, la décision a été prise de tester en vraie grandeur un opérateur de compensation. La Caisse des dépôts a donc créé une filiale à 100 % sous la forme d'une société anonyme, forme d'action la plus souple. Il a aussi été décidé de lancer une expérimentation de compensation par l'offre dans la plaine de la Crau, en accord avec l'État. Enfin, a été prévu un test à droit constant de la compensation en faveur de nombreux maîtres d'ouvrages. L'idée était de leur faire prendre conscience que, du fait de l'existence d'un opérateur, tout obstacle serait levé.

Le site de Cossure a été choisi pour réaliser le premier test d'une réserve d'actifs naturels, sur la proposition de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et du ministère de l'écologie. Nous avons accepté ce choix pour trois motifs : un consensus de l'ensemble des acteurs pour faire cesser l'érosion du coussoul, formation végétale exceptionnelle de cette région ; une opération de génie écologique de grande ampleur visant à restaurer un désert en un espace favorable à la faune aviaire, au bupreste de Crau et à tout un cortège d'animaux caractéristiques de cet espace ; une expérimentation institutionnelle en vraie grandeur de l'action d'un opérateur de compensation et de la réalisation d'un site naturel de compensation. La posture de la Caisse des dépôts dans cette opération est encore aujourd'hui celle d'un expérimentateur. L'idée n'est pas de promouvoir plus particulièrement telle ou telle solution, mais de tester son intérêt.

Les tests portent sur l'engagement d'un opérateur à restaurer 357 hectares selon un cahier des charges, à organiser sur le long terme une gestion conservatoire en lien avec le conservatoire des espaces naturels, puis à se porter garant de la vocation écologique de l'espace au-delà des trente ans. L'opération peut être financée par la vente d'unités de compensation à de futurs maîtres d'ouvrage ou à des maîtres d'ouvrage n'ayant pas trouvé les moyens de réaliser leurs obligations de compensation.

Ce droit de proposer ces unités était restreint à une aire de service, c'est-à-dire à des zones de plaines méditerranéennes potentiellement favorables à l'avifaune steppique, situées à côté de la Camargue et des milieux côtiers. Cette aire a été dénommée l'aire de service de la réserve d'actifs naturels.

L'une des conditions pour pouvoir vendre les unités de compensation était que le service instructeur de l'opération en question donne son accord sur l'équivalence écologique. Le fait d'avoir obtenu la validation du site naturel de compensation de Cossure ne donnait aucun droit automatique à vendre les unités de compensation. Il fallait une seconde validation par l'État de l'équivalence écologique entre les destructions opérées par le maître d'ouvrage et les unités de compensation.

S'agissant d'une expérimentation menée avec l'État, la transparence la plus totale a été de mise. Nous avons mis en place un dispositif de suivi entièrement financé par CDC Biodiversité avec le laboratoire d'écologie d'Avignon, la DREAL et le conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), un état des lieux et des rapports d'étape au sein d'un comité de pilotage local et d'un comité de pilotage national.

Après dix ans de réflexion et d'action sur la compensation et sur l'action de CDC Biodiversité, nous constatons que nous obtenons des résultats. De plus, lorsque l'État décide d'autoriser une destruction, nous constatons que la compensation est possible, après évitement et réduction. S'agissant d'un bien public, le cadre réglementaire est évidemment décisif. Il implique l'autorisation, le contrôle, le suivi et éventuellement un registre. Par ailleurs, l'action de compensation ne peut être menée sans concertation étroite avec les acteurs du territoire et doit s'inscrire dans des projets de territoires.

Des débats ont eu lieu autour de la marchandisation et de la financiarisation de la nature, ainsi que de l'appel d'air. Tout d'abord, l'existence de l'opération Cossure n'a en aucun cas été un encouragement à la réalisation d'opérations donnant lieu à compensation. Ensuite, l'achat et la vente portent sur des prestations en vue de réaliser des études, d'effectuer des travaux écologiques. Mais en aucune façon l'écosystème, les outardes ou tout autre bien naturel ne peuvent être achetés ou vendus. Il est donc inexact de parler de marchandisation de la nature.

Je peux parler de la financiarisation, car j'ai notamment créé l'European Carbon Fund, qui s'est occupé de marchés de crédits CO2 et de leur transférabilité. C'est un fait, le marché du CO2 est financiarisé. En revanche, les opérations de compensation concernent une opération pour un maître d'ouvrage et ne sont pas transférables. Elles ne donnent pas matière à financiariser. Les banques n'ont d'ailleurs aucun intérêt à intervenir, sinon pour apporter le fonds de roulement de génie écologique.

Toutefois, dès lors que l'on souhaite éviter toute perte nette, on se met à compter. C'est ce dénombrement de la biodiversité qui gênera toujours l'action. Dès lors que l'on agit pour préserver la biodiversité, la nature ne peut plus être considérée de façon holistique. Il n'y a donc pas marchandisation ni financiarisation mais il y a bien un dénombrement des biens naturels.

CDC Biodiversité va poursuivre son action sur la compensation, mais, depuis que la loi a été votée, en proposant des partenariats et en aidant les futurs opérateurs de compensation, et non en jouant un rôle dominant sur ce secteur.

Enfin, nous continuons à développer de nouveaux leviers sur les services écosystémiques, la biodiversité en ville et le versement volontaire. Ce dernier service fonctionne plutôt bien. À ce propos, nous avons lancé un projet, Nature 2050, premier programme d'adaptation des territoires aux changements climatiques, fondé exclusivement sur un versement volontaire des entreprises qui s'intéressent à l'avenir des territoires où elles sont implantées. L'argent rentre, ce qui est une très bonne nouvelle pour le financement de l'action.

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