Je voudrais revenir sur la question de l'estimation des éventuelles pertes d'imposition liées à l'optimisation fiscale. En tant que telle, l'optimisation n'entraîne pas de pertes puisqu'il s'agit de l'application stricte de la loi. Elle entraîne tout au plus de moindre recettes et les contribuables auraient acquitté un impôt plus élevé s'ils avaient du appliquer des régimes fiscaux moins attractifs. En pratique, il est impossible d'évaluer un tel phénomène. Cependant, il est possible d'approcher la question en se référant aux travaux d'évaluation des niches fiscales et sociales, en sachant que certaines modalités d'optimisation fiscale pour les entreprises ne sont pas considérées comme des dépenses fiscales mais comme des modalités de paiement de l'impôt - je pense notamment au régime de l'intégration fiscale. Une étude est régulièrement menée sur ce sujet par la Cour des comptes ou l'Inspection Générale des Finances.
Nous gagnerions indéniablement à copier les Etats-Unis. D'ailleurs, le régime français de lutte contre l'évasion fiscale s'inspire largement du modèle américain, et j'invite la commission à interroger des avocats spécialisés sur cette question. Ces mécanismes ont été fortement renforcés depuis le début de la crise financière. Ainsi, l'utilisation de territoires ayant une fiscalité notoirement inférieure à la fiscalité française et n'ayant pas signé suffisamment de convention d'échanges de renseignements et de coopération administrative est désormais très pénalisante pour les entreprises, et l'effet désincitatif est certain. A mon sens, nous avons, en matière d'impôt sur les sociétés, un système parmi les plus performants au monde, qui n'a rien à envier aux Etats-Unis.
S'agissant des moyens dédiés au contrôle fiscal, je crois que l'élément fondamental est la question des prix de transfert. Beaucoup pensent que la notion de « prix de transfert » renvoie aux manipulations auxquelles se livrent les groupes internationaux pour placer leurs profits dans des paradis fiscaux. Le terme n'a pas cette connotation et désigne simplement les prix pratiqués entre sociétés liées, c'est-à-dire appartenant à un même groupe. Près des deux tiers du commerce international se font entre sociétés liées. Si ces pratiques n'étaient pas encadrées, elles conduiraient les multinationales à tenter de placer leurs revenus là où l'imposition est la plus faible, au travers de facturation de prestations de services par exemple. L'encadrement des prix de transfert, réalisé sur la base de recommandations de l'OCDE appliquées par la France, oblige les sociétés liées à retenir les mêmes pratiques que les sociétés indépendantes, ce que l'on appelle le « principe de pleine concurrence ». Elles doivent également produire une documentation justifiant la détermination des prix utilisés entre elles. Il me semble que cette documentation et plus généralement les pratiques en matière de prix de transfert, constituent un axe du contrôle fiscal qui mériterait d'être développé. En effet, bien que les enjeux soient considérables, et que la France dispose d'un arsenal législatif très puissant dans de domaine, l'administration fiscale reste timide en matière de contrôle des prix de transfert. Deux raisons peuvent expliquer cette timidité : d'une part, ces contrôles très techniques demandent énormément de temps, et d'autre part ils nécessitent que les agents soient formés spécifiquement, cette problématique va en effet au delà de la traditionnelle revue fiscalo-comptable et repose essentiellement sur des considérations économiques qui exigent de comprendre l'entreprise vérifiée, ses marchés, son processus de production... Une solution pourrait consister à créer une brigade spécialisée en matière de prix de transfert, intervenant sur le même modèle que les Brigades de Vérification des Comptabilités Informatisées (BVCI). Le système du contrôle fiscal serait alors comparable au système distinguant le médecin généraliste du médecin spécialiste : le contrôleur de droit commun dresserait un tableau global de la société, et ferait intervenir au besoin une brigade spécialisée chargée d'étudier en détail la politique de l'entreprise en matière de prix de transferts. Au fur et à mesure de ces interventions, les vérificateurs de droit commun deviendraient aguerris.