Intervention de Xavier Harel

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 6 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Xavier Harel auteur de « la grande évasion le vrai scandale des paradis fiscaux »

Xavier Harel :

A deux reprises, des parlementaires ont demandé la création d'une commission d'enquête ou la rédaction d'un rapport sur le sujet, mais ces demandes ont été repoussées pour des raisons qui paraissent étonnantes au regard des enjeux pour les finances publiques. Tout cela se déroule dans le plus grand silence : l'usine est toujours présente mais l'assiette fiscale disparaît.

Nous assistons aujourd'hui à une démocratisation de ce phénomène. De plus en plus de PME peuvent bénéficier de montages astucieux leur permettant de réduire significativement leur impôt sur les sociétés. La société France Offshore, qui m'a contacté il y a un an et demi, en a fait sa spécialité, et s'est appliquée à elle-même ce mécanisme : son siège est au Royaume-Uni mais son marché est en France. Cette société se faisait fort de faire payer 10 à ses clients pour leur faire gagner 100. De plus en plus de PME se sont adressées à cette entreprise. D'un point de vue comptable, tout est facturé au Royaume-Uni, et le siège paye les charges et les salaires pour les équipes situées en France, sans y laisser les bénéfices.

S'agissant des particuliers, une bonne nouvelle est tombée aujourd'hui, puisqu'il semblerait que les Suisses se soient lassés du statut dont bénéficient les riches étrangers qui négocient un forfait dans ce pays. Ce dispositif avait fait du bruit lorsque Johnny Halliday s'était « délocalisé » en Suisse, et la présidente de la confédération suisse Micheline Calmy-Rey avait fait observer à cette occasion qu'il était anormal que le tennisman Roger Federer paye ses impôts comme tout le monde alors que des grands sportifs étrangers négociaient des forfaits avec des cantons pour payer très peu d'impôts. Les Suisses connaissant eux-aussi des problèmes de recettes fiscales, il a été décidé au niveau fédéral de créer un impôt minimum pour les riches étrangers venant s'installer en Suisse. Sous le poids des déficits, la pression fiscale remonte donc même en Suisse.

Avec la crise financière, les déficits ont explosé, et le G20 s'est mobilisé sur ces questions à l'issue des scandales d'UBS et de LGT au Lichtenstein. Ainsi, des procédures « technocratiques » visant à forcer les Etats à échanger des informations et à respecter un certain nombre d'obligations ont été mises en oeuvre. Toutefois, la pression est retombée : les paradis fiscaux ont fait le dos rond pendant trois ou quatre années, et Valérie Pécresse a admis il y a quelques mois que le dispositif mis en place ne fonctionnait pas. Un test grandeur nature a été mené, et les demandes d'informations adressées à une douzaine de pays ne sont pas revenues ; au cours des huit premiers mois de l'année, 30 % seulement des 230 demandes de renseignement adressées par la France ont été traitées. La ministre signalait que « leurs réponses confirment ce que l'on sait déjà mais n'apportent pas d'informations supplémentaires, sur l'identité réelle des personnes qui détiennent des comptes par exemple. La Suisse ne collabore pas plus que les autres. Sur les 80 demandes de renseignements qui lui ont été adressées cette année, seules 20 % ont donné lieu à une réponse. » Les paradis fiscaux ne sont pas pour la première fois dans la ligne de mire d'Etats développés en difficulté. Comme d'habitude, ils jouent la montre, et comptent sur la lassitude des Etats avant de reprendre la main. Ainsi, alors que les créations de sociétés dans les Iles Vierges britanniques s'étaient effondrées en 2010 et 2011 en raison de l'inquiétude liée à l'obligation de communiquer des informations, les créations sont reparties au même rythme qu'avant la crise depuis qu'il est établi que les sociétés BVI ne coopéreront pas plus qu'auparavant. De la même manière, les 12 500 milliards de dollars de capitaux situés dans les paradis fiscaux avant la crise ne sont pas revenus vers les pays développés. Cela témoigne du fait qu'il n'existe pas de motivation à quitter ces paradis fiscaux, et que la question n'est pas réglée.

Les banques françaises sont de très grosses consommatrices de paradis fiscaux : BNP y compte 189 antennes, le Crédit Agricole en compte 115, la Banque Populaire en compte 90, la Société Générale en compte 57. Que font ces banques dans les paradis fiscaux ? Que font BNP Private Banking ou Société Général Private Banking à Jersey, qui ne compte que 80 000 habitants ? Il s'agit de structurer de l'évasion fiscale pour le compte de riches clients. Ces banques ont été recapitalisées grâce à l'argent public tandis qu'elles continuaient à aider leurs clients à structurer leurs patrimoines pour échapper à l'impôt. Il y a quelques mois, un article du Canard Enchaîné révélait comment BNP Paribas profitait des inquiétudes liées à la possibilité de lever partiellement le secret bancaire pour se positionner sur le marché extrêmement lucratif des trusts, qui offrent les mêmes garanties d'opacité que le secret bancaire suisse. Des documents internes révélaient que la banque souhaitait profiter des difficultés de ses concurrents pour proposer à ses riches clients de recourir à des trusts, notamment à Singapour et à Hong-Kong, qui sont des places importantes pour ces structures légales. Un banquier expliquait alors : «S'il est possible pour un juge d'instruction ou le fisc de saisir ou de geler les actifs d'une panaméenne ou d'une société offshore dans les Iles Vierges britanniques, il est en revanche impossible de saisir ou de requalifier un trust, qui est une personne juridique indépendante. » Le principe du trust consiste en effet à abandonner la priorité du bien pour le confier à un administrateur qui le gère pour un certain nombre de bénéficiaires. L'affaire Wildenstein, qui a fait récemment couler beaucoup d'encre, est un exemple d'utilisation de ces trusts : des tableaux dont la valeur totale s'élevait à plusieurs milliards d'euros avaient été dissimulés dans des trusts et n'avaient pas été rapportés au moment de la succession. Grâce à l'entêtement d'une avocate dont la cliente est désormais décédée, le parquet a ouvert une enquête, et l'on évoque aujourd'hui un redressement de 600 millions d'euros. Au moment de la succession, la famille n'avait rapportée au fisc français que 46 millions d'euros de tableaux. Cela témoigne de l'efficacité des trusts pour dissimuler un patrimoine important.

Il est extrêmement lucratif pour les banques d'être présentes dans les paradis fiscaux. A ce sujet, je vous invite à interroger la Commission bancaire, qui a rédigé un rapport montrant qu'en 2008, les banques françaises ont réalisé 3 milliards d'euros de bénéfices dans les paradis fiscaux. Même pendant la crise, les activités dans les paradis fiscaux génèrent des revenus réguliers et importants, mais il s'agit bien souvent d'évasion fiscale.

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