Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, nous sommes honorés de répondre à vos questions. Notre apport sera sans doute relativement modeste, dans la mesure où le Petit dictionnaire de la fraude fiscale que nous avons commis se voulait un simple ouvrage pédagogique. Il nous a été commandé en tant que tel, peut-être parce que nous avons été confrontés à ce type de sujet au cours de notre vie professionnelle. Cela dit, nous ne sommes pas des spécialistes.
Dans cet ouvrage, nous nous sommes attachés à donner un certain nombre de définitions, à être volontairement pédagogiques. Nous avons simplement fait un travail de recension des différents travaux existant sur le sujet. Ce n'est pas un ouvrage de la Cour des comptes. Je le redis, nous n'avons pas été mandatés par la Cour, il est très important de le savoir. Cela dit, bien sûr, en tant que magistrat ou attaché de la Cour, nous pouvons répondre à vos questions.
Nous avons voulu donner un certain nombre d'explications aux questions qui se posaient sur le sujet, auxquelles nous étions confrontés de par notre exercice professionnel - j'ai présidé la chambre régionale des comptes du Centre puis, jusqu'à ces derniers jours, la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes -, mais également, en ce qui me concerne, en tant qu'enseignant en finances publiques. J'ai donné de nombreuses conférences, au cours desquelles des questions relatives à la fraude fiscale étaient très souvent posées, alors que le sujet, jusque-là, était peu abordé.
Il y a en effet toujours eu beaucoup d'ouvrages sur la fiscalité au sens large, et sur les administrations du ministère des finances qui travaillent sur le sujet. Bien sûr, la Cour des comptes a comme référence les rapports qui ont pu être faits - j'en ai deux ici - par le Conseil des prélèvements obligatoires. Cette structure a travaillé sur le sujet dans la période récente, surtout à partir de 2007, date à laquelle elle a publié le rapport que vous connaissez, qui a été l'un des ouvrages de référence, dans la tentative nouvelle visant à mieux comprendre les problèmes de fraude fiscale.
Nous nous sommes efforcés de déterminer les différents domaines de la fraude, que nous avons explicités. L'intitulé de l'ouvrage est Petit dictionnaire de la fraude fiscale, mais, en réalité, il n'est pas constitué de définitions courtes, comme en comporterait un dictionnaire. C'est plutôt un abécédaire, mais l'éditeur voulait ce titre-là.
Nous avons voulu que l'ouvrage compte plusieurs entrées, parce que le terme de fraude fiscale recouvre des sujets beaucoup plus larges que la simple évasion. Je crois d'ailleurs savoir que la commission d'enquête voudrait travailler sur les problèmes d'évasion fiscale. Le terme enveloppe l'ensemble des sujets ayant trait à la volonté d'échapper, en quelque sorte, à un certain nombre de contrôles. Nous verrons aussi qu'il existe des problèmes liés aux comportements d'optimisation. Le contexte lui-même est donc évolutif, et dépend de ce que l'on veut regarder.
De plus, dans l'ensemble des travaux qui sont menés, il faut bien identifier ce qui relève de la part fiscale proprement dite de ce qui ressortit à la part sociale. Beaucoup de travaux menés sur les problèmes de la fiscalité sociale, liés en particulier à l'emploi, sont mis en avant. Nous avons, modestement, voulu contribuer à éclaircir un certain nombre de ces données de base.
Telle est la première observation que je tenais à formuler, laissant à Cyril Janvier le soin de vous donner par la suite quelques éléments tendant à expliquer le travail d'identification que nous avons voulu mener.
Je voudrais faire une deuxième observation. Comme il s'agit d'un ouvrage qui se voulait pédagogique - je vous ai dit qu'il faisait le point sur les principales définitions -, nous ne pouvions pas aborder les questions relatives aux manques pouvant exister dans la législation actuelle. Dans ce petit ouvrage, il ne s'agissait pas de se faire force de proposition ni de lancer des pistes de travail sur tel ou tel point. Il n'en demeure pas moins que, avec toute la prudence qui était la nôtre, nous avons mentionné, en utilisant le conditionnel, des points sur lesquels des questions méritaient d'être posées, même si nous exposions la réalité des faits à un moment donné.
Prenons un ou deux exemples, à commencer par la notion de paradis fiscal.
On le sait, un certain nombre de pays étaient répertoriés sur la liste noire de l'OCDE. Désormais, il n'y en a plus. Est-ce à dire qu'il n'y a plus de problèmes ? Non, il y en a encore, parce que la suppression du paradis fiscal dans la définition elle-même donnée pour l'occasion, ne supprime pas le fait, même si, d'un point de vue réglementaire, l'on pourrait dire que les pays concernés ne répondent plus aux critères qui ont prévalu pour établir la liste.
Dans ce cas précis, le but de l'ouvrage n'était pas de critiquer ni de proposer une autre définition. Nous nous sommes simplement permis d'employer le conditionnel pour que le lecteur puisse réfléchir sur le sujet et l'approfondir ultérieurement.
De la même façon - comment pourrais-je le dire de façon simple ? -, nous savons que notre administration fiscale est extrêmement importante, et performante. Mais, si la France, et son administration fiscale, est très bonne en matière de gestion de la fiscalité, lorsqu'il s'agit de mener des contrôles, en particulier pour lutter contre l'évasion fiscale vers d'autres pays, elle n'est peut-être pas allée aussi loin qu'elle le pourrait.
Même si nous ne l'avons pas évoqué explicitement, nous avons pu constater - je m'adresse ici aux parlementaires que vous êtes -, en travaillant sur notre ouvrage, en observant l'ensemble de l'organisation de l'administration et les résultats de son action, et en menant une comparaison avec d'autres pays, notamment certains voisins de la France qui, confrontés au même type de problèmes, ont entrepris des actions extrêmement sérieuses, qu'il y avait sans doute en la matière des sources de progrès sur lesquelles une commission d'enquête comme la vôtre pourrait travailler, ce que nous n'avons pas fait dans cet opuscule.
Voilà les deux observations principales que je voulais formuler.
Par ailleurs, en tant que magistrat ou attaché de la Cour, nous avons pu, dans notre parcours, être confrontés à ces sujets lors de nos enquêtes. J'ai par exemple - je vous le dis en aparté - mené le contrôle sur l'ARC, l'Association pour la recherche sur le cancer, il y a une dizaine d'années de cela, ainsi que sur d'autres organismes comparables. Or, dans l'exercice même de notre métier - je sais d'ailleurs que vous auditionnez d'autres personnes de la Cour, qui doivent avoir, je pense, une approche un peu similaire -, nous n'avons pas la possibilité d'accéder à toutes les informations. Il faut sans doute y voir l'effet d'un certain nombre de précautions méthodologiques, mais il n'est pas toujours simple, dans les contacts avec les pays étrangers, d'avoir connaissance de certains éléments.
Cela est surtout vrai quand nous avons à réaliser un rapport dans un délai limité. La notion de temps est ici importante. S'il faut effectivement plusieurs années pour obtenir un élément d'information, il n'est pas évident d'améliorer la connaissance que l'on peut avoir de telle ou telle procédure.
Je laisse la parole à Cyril Janvier pour peut-être préciser comment nous avons traduit dans ce petit ouvrage les deux points que je viens de vous indiquer.