Intervention de Michel-Pierre Prat

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 7 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Michel-Pierre Prat et cyril janvier auteurs du « petit dictionnaire de la fraude fiscale »

Michel-Pierre Prat, coauteur du Petit dictionnaire de la fraude fiscale :

S'agissant de l'ARC, nous n'en avons pas parlé dans notre ouvrage, mais, lorsque j'étais magistrat à la Cour des comptes, nous avons mené une enquête sur cette association. C'était d'ailleurs la première sur un organisme faisant appel à la générosité publique. En effet, ces organismes sont des structures privées qui, jusqu'alors, ne relevaient pas de la compétence de la Cour. Mais le législateur a décidé de modifier la loi, notamment parce que ces organismes se sont vu déléguer le pouvoir extraordinaire de délivrer des certificats de dégrèvement fiscal - compétence, depuis 1789, du Parlement, qui vote l'impôt -, pouvoir en contrepartie duquel ils ont l'obligation de rendre publics leurs comptes.

Vous vous en souvenez, cet épisode avait défrayé la chronique parce que notre enquête avait montré que, contrairement à ce qu'elle affirmait, l'ARC consacrait non pas entre 85 % et 90 % des fonds perçus à la recherche - 600 millions de francs par an, soit un peu moins de 100 millions d'euros -, mais 27 %.

Au début, nous avons été critiqués, et certains, notamment ceux qui étaient destinataires de ces fonds, nous ont reproché d'aller « embêter » l'ARC.

Par la suite, nous avons constaté que presque tout le monde ignorait les filières d'évasion fiscale utilisées par l'ARC pour transférer des fonds au Luxembourg, en Suisse et dans certains pays africains. Or nous n'avons pas pu obtenir, de la part des grandes banques françaises ayant autorité sur la place de Paris, les renseignements que nous demandions. Et c'est grâce au Parlement, qui a repris nos propositions, que nous avons eu le droit d'accéder à des informations couvertes par le secret bancaire. Nous avons pu alors constater ces transferts de fonds.

À titre d'anecdote, sachez que le principal transfert de fonds avait lieu à la fin de l'année parce qu'ils utilisaient comme couverture une entreprise de fabrication de jouets. De fait, personne ne s'étonnait de ces très importants transferts de fonds, en janvier, juste après la période des fêtes.

Nous n'avons pas pu obtenir d'informations sur les transferts de fonds vers le Luxembourg. En Suisse, l'association avait recours à un imprimeur pour la délivrance de fausses factures. Il nous a fallu attendre cinq années pour que, au décès de l'imprimeur, son héritière retrouve dans ses papiers des documents et nous confirme, très loyalement, le bien-fondé de nos soupçons.

Cet imprimeur tenant tous ses dossiers à jour, nous avons pu mener un travail d'enquête démontrant la réalité de ces transferts illégaux de fonds, avec aussi une présentation des comptes erronée. Nous avons également été aidés par l'administration française.

Comme vous le constatez, même pour un magistrat de la Cour des comptes, il est difficile d'accéder à certaines informations. Par exemple, au cours d'une enquête, nous ne pouvons mettre en cause telle ou telle personne que si elle est directement impliquée. Dans le cas de l'ARC, nous avons pu mettre en cause Jacques Crozemarie parce qu'il en était le président et parce qu'il était lié à l'enquête. C'est ainsi que nous avons pu obtenir des renseignements, sans pour autant pouvoir étendre notre champ d'intervention. Peut-être cela vaut-il mieux d'ailleurs, mais les magistrats sont astreints, comme d'autres, au secret professionnel, de même que certaines auditions effectuées dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire peuvent être secrètes.

Des progrès sont sans doute possibles et il est fort probable que le président de la première chambre de la Cour des comptes, que vous avez reçu hier, partage ce sentiment. Obtenir des renseignements n'est pas toujours simple, même en l'absence de mauvaise volonté de nos interlocuteurs. Mais, par exemple, il faut parfois interroger cinq ou six directions différentes, pour l'international, pour les entreprises servant de couverture. Ce constat n'est pas propre à l'enquête que nous avons menée sur l'ARC et nous rencontrons assez régulièrement ce type de situation.

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