Les gens qui ont conçu l'Internet n'étaient pas des utopistes. Le fait que ce système ait pu s'imposer a quelque chose d'assez mystérieux, d'où l'intérêt de comprendre les propriétés qui ont rendu possible son succès, et l'importance de les préserver.
Je trouve que cette problématique est actuellement assez absente du débat. C'est pourquoi j'insiste sur ce point. J'adhère à tous les autres arguments de régulation, de souveraineté, à la nécessité de faire prévaloir la loi sur un territoire, mais j'attire l'attention sur cette autre dimension qui s'exprime assez peu dans le débat.
Le chemin que je dessine, dont je mesure la complexité, comporte une troisième condition, qui nécessite de se doter d'une diplomatie numérique. C'est une notion qui a pris aux États-Unis un sens particulier, notamment sous le mandat d'Hillary Clinton. Elle regroupait alors des initiatives en faveur du développement des systèmes numériques en Afrique, des actions de soutien au cryptage pour permettre aux participants de communiquer, et aux développeurs des pays du Tiers-monde de travailler sur des applications mobiles.
J'essaye de distinguer la diplomatie numérique, que commence à utiliser le quai d'Orsay avec son compte Twitter, de la diplomatie du numérique, qui mériterait d'être renforcée. Elle a été esquissée, puisque le quai d'Orsay a désigné un haut représentant spécial, mais on n'en connaît pas la doctrine. Je ne suis pas sûr qu'elle dispose par ailleurs de beaucoup de moyens. Il n'y a pas non plus de circuit interministériel très stabilisé, alors que les sujets liés au numérique sont bien présents dans toutes les instances européennes et internationales.
Les conditions ne sont donc pas réunies pour que la France se fasse entendre sur cette question. Une première esquisse avait eu lieu lorsque Bernard Kouchner était ministre des affaires étrangères. Il avait tenté de monter une grande conférence mondiale sur la liberté d'expression sur l'Internet. Celle-ci avait été annulée au dernier moment. L'e-G8, sous Nicolas Sarkozy, avait accouché à Deauville d'une déclaration très creuse. C'était un premier pas, mais il n'a pas été suivi par d'autres.
On peut dire que l'intervention du Président de la République au Conseil européen procédait un peu de cette démarche, mais il n'y a pas eu une très grande continuité à ce sujet, la doctrine juridique étant peu lisible. Cela vaut pour la France, mais également pour l'Europe.