Intervention de Mélanie Vogel

Mission d'information Sécurité sociale écologique — Réunion du 30 mars 2022 à 9h10
Examen du rapport

Photo de Mélanie VogelMélanie Vogel, rapportrice :

Nous espérons un consensus sur ce rapport.

La crise climatique et environnementale accroît les risques, notamment de santé publique, qui pèsent sur la population. Demander cette mission d'information sur la sécurité sociale écologique avait pour but de vérifier comment notre système de sécurité sociale se prépare. Cela suppose de donner crédit à l'État stratège. En effet, faute d'intervention de l'État, certains risques pourraient ne plus être assurables.

À l'issue de ces trois mois d'auditions, le constat est préoccupant : notre protection sociale n'est pas suffisamment préparée aux risques environnementaux.

L'État apparaît démuni pour faire face à la survenance plus fréquente et plus aiguë d'événements climatiques et de crises imprévues, dont les effets sur les finances publiques seront lourds de conséquences. La pandémie de covid-19 l'a démontré avec force. Les chocs futurs risquent d'être encore plus violents. Il est donc urgent de changer de paradigme, avec des politiques publiques dont l'impact environnemental est pris en compte dès la conception et en développant une culture de prévention, d'adaptation et de résilience de notre système de protection sociale.

Selon un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2016, 23 % des décès dans le monde sont directement liés au fait d'avoir vécu ou travaillé dans un environnement insalubre. Les facteurs de risque environnementaux, tels que la pollution de l'air, de l'eau et des sols, l'exposition aux substances chimiques, le changement climatique ou le rayonnement ultraviolet, contribuent à la survenue de plus de 100 maladies ou traumatismes. Ce sont les plus défavorisés qui supportent la plus forte charge de morbidité liée à l'environnement alors que ce sont ceux qui contribuent le moins au changement climatique. Ce dernier et l'appauvrissement de la biodiversité provoqueront des chocs écologiques de forte amplitude sur notre économie et la société. La pandémie actuelle, d'origine zoonotique, n'en est qu'une des premières manifestations. Comment, dès lors, construire de nouvelles protections collectives pour répondre à ces vulnérabilités émergentes, à ces expositions et à ces sensibilités croissantes aux risques environnementaux ?

Le premier objectif est de guérir la sécurité sociale de sa myopie pour répondre à l'émergence de nouveaux risques.

Les crises écologiques frappent de plus en plus durement nos sociétés et la France est l'un des dix États les plus exposés au risque climatique. Notre pays a implicitement fait le choix d'allonger l'espérance de vie, mais moins d'un Français sur deux, soit 46 %, est en bonne santé à 65 ans contre 77 % en Suède.

Le lien entre santé et environnement, santé humaine, animale et état écologique global est avéré et l'OMS promeut depuis 2010 - soit depuis douze ans - le concept de santé intégré, appelé One Health. L'épidémie de covid-19 a malheureusement mis en évidence la pertinence de ce concept. Il appelle en conséquence un changement de paradigme et la prise en considération de la santé environnementale dans l'ensemble des politiques publiques, recommandée par le rapport Chauvin. Les politiques publiques devraient systématiquement avoir comme objectif de réduire les impacts du changement climatique afin de rendre notre environnement plus sain.

La mise en oeuvre des Accords de Paris de 2015 serait bénéfique à la santé publique et contribuerait à la réduction des inégalités, les populations les plus vulnérables étant affectées par les nouveaux risques. La santé occupant une place croissante dans les négociations internationales, la France devrait signer l'appel de Glasgow de novembre 2021 en faveur de l'instauration de systèmes de santé résilients aux changements climatiques et à faible émission de carbone.

Notre système de protection sociale doit se repenser pour être résilient et affronter les défis du réchauffement climatique. Si, à l'origine, la sécurité sociale a été pensée dans une optique curative, qui accapare 97 % des dépenses de santé, la montée préoccupante des maladies chroniques rend nécessaire de prioriser les politiques de prévention, qui sont économiquement rentables.

La prise en compte de l'environnement dans l'ensemble des politiques publiques dès leur conception doit entraîner la forte réduction du coût d'absorption des chocs écologiques et climatiques. En effet, la réduction de la probabilité d'occurrence des dommages sur notre environnement, au-delà de prévenir le « coût de l'inaction », générera des effets bénéfiques à la fois en termes de santé publique et de gains économiques.

Pourtant, les politiques de l'environnement et de la santé sont encore trop pilotées en silo. La santé environnementale doit devenir une politique transversale, le Parlement être davantage associé dans la détermination, le suivi et l'évaluation des objectifs de santé publique, avec une forte implication des territoires, en généralisant les évaluations d'impacts sur la santé (EIS) et de la population et en dynamisant les conseils territoriaux de santé (CTS). Les acteurs de la santé doivent être mieux formés à l'impact des facteurs environnementaux sur la santé comme au concept One Health, et un programme national ambitieux de recherche en santé environnementale doit être construit, afin de développer une culture sur ce sujet. Nous l'avons constaté en interrogeant des médecins : cela manque à leur cursus.

L'État apparaît particulièrement démuni, depuis l'abandon du suivi des 100 indicateurs de la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004. Les plans de santé sont des catalogues non contraignants et pas forcément financés. Aucune stratégie d'adaptation de notre administration de la sécurité sociale à la transition climatique, aucun plan de résilience et aucune planification publique de décarbonation de la santé n'ont été réalisés. Trop peu d'établissements de santé calculent leur empreinte carbone. Mais l'État dispose-t-il encore des capacités d'expertise et de la volonté politique de long terme d'effectuer un exercice comparable au plan de transformation de l'économie française (PTEF), réalisé par l'organisation The Shift Project ? Il est inquiétant de constater que c'est une organisation non gouvernementale qui mène cette étude et pas l'État lui-même !

La stratégie nationale d'adaptation au changement climatique doit faire l'objet d'un débat annuel au Parlement. L'étude d'impact des projets de loi doit inclure un volet climatique et de santé environnementale. Enfin, France Stratégie doit coordonner l'élaboration d'un plan quinquennal d'adaptation de notre système de protection sociale intégrant une cartographie des risques.

Le deuxième impératif est de porter assistance à une sécurité sociale en danger financier.

Dans une logique productiviste faisant fi de la préservation des ressources naturelles, nos économies modernes sont focalisées sur la mesure de la croissance économique au travers du produit intérieur brut (PIB). L'équilibre financier de notre système de protection sociale lui-même repose sur la croissance, dont dépendent ses ressources. C'est le cas notamment du système de retraites, financé par des cotisations sociales dont le montant dépend de la croissance de la productivité et des salaires, tandis que ses dépenses sont liées à celle des prix, le niveau des pensions étant indexé sur l'inflation depuis 1987.

Malgré les réformes législatives récentes, notamment en ce qui concerne le régime des catastrophes naturelles et le système d'assurance récolte, les risques couverts par les organismes d'assurance s'avèrent, quant à eux, de moins en moins assurables : le coût des catastrophes naturelles devrait en effet doubler d'ici à 2040.

Dès lors, c'est notre pacte social qui risque d'être ébranlé, les ménages les plus défavorisés étant généralement les plus dépendants aux énergies fossiles et les moins à même d'assumer le coût de la transition écologique. Il importe donc d'intégrer aux politiques climatiques une dimension redistributrice de façon à assurer leur acceptabilité sociale, comme le propose la Commission européenne avec le Fonds social pour le climat.

Nous arrivons à un point qui fâche : la création d'une nouvelle branche de sécurité sociale dédiée à la couverture des risques environnementaux. Cette proposition est défendue dans le débat public par un certain nombre d'économistes. Un tel mécanisme unifierait une grande partie des dépenses liées au changement climatique et à la transition écologique de façon à disposer de la visibilité et des marges de manoeuvre nécessaires à une action efficace tout en maintenant une gouvernance démocratique dans le cadre de la sécurité sociale. L'autre option serait de créer un fonds pour l'environnement, chargé de l'intervention publique en matière d'assurance récolte, de prévention des risques naturels majeurs et de transition énergétique.

Quelle que soit la solution retenue par le législateur, la plupart des charges pouvant être supportées par cette entité sont déjà financées à ce jour par le budget de l'État, les cinq branches de la sécurité sociale, les organismes d'assurance ou des fonds tels que le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) ou le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit « fonds Barnier ». Il s'agit donc essentiellement d'assurer le financement de leur accroissement probable au cours des prochaines décennies.

Dans cette perspective, plusieurs ressources sont envisagées : les économies considérables pouvant être produites par l'assurance maladie par la transition d'un système curatif vers un système préventif - je rappelle que 10 % seulement des maladies sont d'origine génétique, ce qui signifie que toutes les autres sont d'origine environnementale -, l'affectation du produit de la fiscalité environnementale ou des ressources dédiées au remboursement de la dette sociale une fois celle-ci éteinte, ou encore une contribution des ménages proportionnelle à leur impact environnemental, et des organismes d'assurance.

Enfin, compte tenu à la fois du strict encadrement des finances sociales par les traités européens et la logique de performance traduite par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) et de la tutelle de l'État sur la gestion des organismes de sécurité sociale, certains proposent d'exclure les dépenses de transition écologique pour l'appréciation du respect des critères de Maastricht.

Le troisième objectif de la sécurité sociale écologique est d'accompagner les transformations de l'emploi. La transition écologique provoque une profonde mutation, avec la création nette d'un million d'emplois. Certaines filières telles que les énergies fossiles et le transport aérien de voyageurs verront leurs effectifs diminuer. D'autres devront procéder à une formation professionnelle massive pour requalifier les métiers, par exemple la réorientation de l'industrie automobile thermique vers l'électrique. Enfin, des gains d'emplois dans des secteurs non délocalisables et à forte intensité de main-d'oeuvre sont attendus, comme pour la rénovation thermique des bâtiments, les énergies renouvelables, les nouvelles modalités de transports.

Ce vaste mouvement de transition professionnelle, qui concernerait 3,8 millions d'emplois, impose de repérer les compétences nécessaires au développement des filières en tension, de renforcer l'analyse de l'impact de la transition écologique sur les métiers et compétences, de financer davantage de projets de reconversion professionnelle, de rendre le dispositif Transitions collectives (Transco), actuellement individualisé, plus collectif, et de renforcer le rôle des opérateurs de compétence (OPCO), les engagements et développement de compétence devant mieux intégrer la transition et recentrer la formation en direction des secteurs porteurs.

Pour tous les travailleurs, l'impact du changement climatique se ressent, notamment pour ce qui concerne la chaleur et la pollution. Les évaluations quantitatives d'impact sur la santé (EQIS) sont cependant insuffisantes, faute du déploiement satisfaisant du document unique d'évaluation des risques professionnels (Duerp) qui fait encore défaut pour 55 % des employeurs. Pourtant, il est avéré qu'une chaleur excessive met en danger la santé des salariés, conduit à des pertes d'heures de travail et cause des millions de décès dans le monde. L'augmentation des pollutions sonores et des troubles musculo-squelettiques, qui représentent 88 % des 50 000 cas de maladies professionnelles, appelle à des mesures renforcées.

Les efforts des employeurs en faveur de la santé des travailleurs s'inscrivent aujourd'hui dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises, aussi entendue comme leur responsabilité sociale et environnementale (RSE). Investir dans la RSE apporte à une entreprise un gain de performance moyen de 13 %. La RSE, démarche volontaire, complète les obligations légales de l'employeur en matière de prévention, qui ne suffisent pas toujours au regard de la prévalence des accidents du travail et des maladies professionnelles. L'ensemble entre dans le cadre des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), dont l'appréciation doit garantir que les employeurs vont au-delà du simple écoblanchiment, ou greenwashing. La réforme récente de la santé au travail repose sur la contribution des employeurs à une meilleure évaluation de l'exposition des salariés aux risques sanitaires. L'outil de la commande publique pourrait constituer un levier pour encourager les entreprises dans cette démarche. Mais l'État doit aussi se montrer exemplaire en élaborant une cartographie des risques pour tous les agents des trois fonctions publiques.

Enfin, le quatrième objectif d'une sécurité sociale écologique est de mettre en oeuvre le droit à une alimentation saine.

La contribution de l'alimentation à une bonne santé est établie depuis Hippocrate. A contrario, la malnutrition serait responsable de 22 % des décès mondiaux. Pourtant, si le patrimoine culinaire de la France est inscrit au patrimoine mondial depuis 2010 grâce à une agriculture de qualité et si le pays se passionne pour les émissions télévisées culinaires, les mauvaises pratiques alimentaires sont toujours là et 80 % des dépenses alimentaires des ménages s'orientent vers des produits transformés. Les inégalités nutritionnelles sont également fortement corrélées à des facteurs socio-économiques : les contraintes budgétaires contribuent à expliquer des consommations différenciées entre les ménages suivant leur niveau de vie, qui renforcent ensuite les inégalités de santé.

Les pouvoirs publics tentent de favoriser une alimentation plus saine, grâce notamment au Nutri-score depuis 2017, lequel, s'il peut contribuer à l'évolution des pratiques d'achat, n'est pas suffisant pour modifier les pratiques alimentaires dans leur ensemble, et devrait être amélioré. Plusieurs mesures législatives favorisent une meilleure éducation à la santé alimentaire. Pourtant, un enfant sur trois ne sait pas reconnaître ce qu'il mange, et le marketing alimentaire, notamment dans les programmes destinés à la jeunesse, n'est pas suffisamment encadré.

Il est nécessaire de passer d'une logique d'assistance alimentaire à une logique d'accompagnement par l'alimentation et d'établir une sécurité alimentaire saine et durable ; d'accentuer les efforts pour promouvoir des habitudes de consommation propices à une alimentation saine tout au long de la vie ; d'accroître les incitations à une alimentation saine et durable pour tous les maillons de la chaîne alimentaire, en garantissant une juste rémunération pour les agriculteurs et un système de prix favorable à la qualité ; d'améliorer le contrôle de la qualité des aliments et la crédibilité des sanctions, dans une logique de prévention ; d'organiser une consultation démocratique préalable à la mise en place d'une allocation alimentaire universelle ou de mécanismes plus ciblés favorisant la consommation de produits sains. Cela aurait pour effet de réduire les maladies mais aussi d'accélérer la transition de l'agriculture vers un modèle plus vertueux.

À cet égard, il faut éviter la stigmatisation attachée aux dispositifs adaptés pour certaines catégories de population, réduire les liens de dépendance entre aide alimentaire et invendus, territorialiser la lutte contre la précarité alimentaire et oeuvrer à la mise en place d'une démocratie alimentaire.

Ces quatre grands axes sont détaillés dans nos 53 propositions, sur lesquelles nous allons proposer des modifications avec Guillaume Chevrollier. En effet, hier soir, le groupe Les Républicains m'a fait part de son souhait de voir certaines recommandations retravaillées, afin que le rapport soit adopté.

Je n'ai pas de problème à retirer la proposition n° 16, dont la formulation est : « Prendre en compte un ralentissement de la croissance de la productivité à long terme pour évaluer les conséquences du changement climatique sur les ressources de la sécurité sociale », si elle constitue un point de blocage.

J'avais bien conscience que la proposition n° 22 de création d'une branche dédiée pouvait poser problème, et la formulation choisie, « Travailler à la mise en place d'une couverture sociale des risques environnementaux, par exemple au travers d'une branche de sécurité sociale dédiée », ne me semblait pas problématique, d'autant que la proposition n° 23 l'explicitait, en précisant qu'« à défaut de créer une branche dédiée », un fonds pour l'environnement pouvait être créé. J'entends que la proposition n° 22 pose problème. On pourrait la conserver en supprimant le texte à partir de « par exemple ». Logiquement, la proposition n° 23 serait retirée.

La proposition n° 24 deviendrait : « Adapter la fiscalité environnementale afin d'assurer le financement de la sécurité sociale écologique ».

Nous supprimerions les propositions n° 25 et 26, dont j'ai bien compris qu'elles posaient problème au groupe LR.

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