Intervention de François Rio

Mission d'information Conditions de la vie étudiante — Réunion du 31 mai 2021 à 14h30
« campus de demain » — Audition de Mm. François Rio délégué général de l'association des villes universitaires avuf raphaël costambeys-kempczynski délégué général de l'alliance sorbonne paris cité aspc mmes isabelle demachy vice-présidente « formation innovation pédagogique et vie étudiante » anne guiochon-mantel vice-présidente « vie universitaire » de l'université paris-saclay emmanuelle dubrana-léty directrice de l'immobilier M. Jean-Pierre Berthet directeur délégué au numérique sciences po paris et Mme Sarah Bilot déléguée générale de l'association animafac

François Rio, délégué général de l'association des villes universitaires (AVUF) :

Je vous remercie d'avoir associé l'AVUF à vos débats. Vous avez sans doute eu connaissance des résultats du sondage d'Opinionway sur les universités. J'ai été frappé de constater que seuls 17 % des sondés considèrent que la qualité de vie sur les campus est un atout pour les universités françaises. C'est dire le chemin qu'il reste à faire sur ce sujet !

Ensuite, je rappelle que 6 étudiants sur 10 poursuivent leurs études en université. Il faut donc tenir compte, pour parler du campus de demain, des étudiants qui sont inscrits dans d'autres types d'établissements : écoles d'ingénieur, écoles de management, instituts d'étude catholique ou instituts d'études politiques. Mais de nombreux étudiants ne disposent pas des mêmes services, que ce soit dans des établissements de formation culturelle, paramédicale ou sociale.

De très beaux projets sont en cours de développement. Leur caractéristique majeure est qu'ils ont été conçus avant l'accélération du numérique à laquelle nous assistons depuis un an : ils devront donc s'adapter par la suite.

Le campus de demain est, selon nous, un campus durable dans une ville durable. Ce concept recouvre l'enjeu de la transition écologique et de l'état de l'immobilier universitaire, qui se dégrade. Un tiers du patrimoine public immobilier de l'enseignement supérieur est dans une situation déplorable. Comment penser le campus de demain si cette question n'est pas traitée ? L'entretien de l'immobilier est régulièrement abordé via les investissements, les contrats de projet État-région, les contrats de plan État-région ou le plan de relance en cours, ce qui ne répond que partiellement au sujet, étant donné qu'il faut souvent recommencer quelques années plus tard. Il est donc nécessaire de procéder à une remise à niveau d'un patrimoine parfois en mauvais état ou obsolète : les collectivités le font bien volontiers.

Les collectivités locales contribuent, parfois autant que l'État ou un peu plus, à l'entretien d'un patrimoine qui fait trop peu l'objet d'une maintenance régulière et rigoureuse qui permettrait l'adaptation du bâti aux nouveaux usages et le maintien de l'attractivité, sans oublier le bien-être des usagers. Je pense aux campus créés dans les années quatre-vingt-dix avec de nombreuses aides des collectivités locales dans le cadre du « Schéma Université 2000 ». Ils se sont dégradés progressivement faute d'entretien, alors que certaines collectivités auraient voulu contribuer à leur maintenance pour préserver leur attractivité.

Les campus peuvent souvent être des lieux d'expérimentation en matière d'aménagement grâce à la matière grise qui y est mobilisable - chercheurs et étudiants. Il est très important que les campus de demain se construisent aussi avec les étudiants, qui souhaitent être parties prenantes, comme le laissent penser les 140 associations fédérées par le Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire. Il existe de nombreuses opportunités d'optimisation des équipements et de construction d'équipements à usage partagé : des incubateurs, des espaces de coworking, des salles de spectacle vivant, des équipements pensés pour une mutualisation entre les services d'une ville et les services destinés à la communauté universitaire (notamment le cadre des activités socioéducatives), l'organisation des mobilités douces, la question de la relation apaisée avec les riverains... Cette relation est parfois délicate. Par ailleurs, les campus peuvent être utilisés durant l'été, ce qui n'est pas le cas ; ces équipements sont donc sous-occupés.

La dévolution du patrimoine des universités, qui concerne quelques-unes d'entre elles, change la donne et contribue à transformer la relation entre université et collectivités locales. Il n'y a pas eu de bilan en la matière.

Nous proposons que les collectivités locales puissent intervenir avec les universités en co-maîtrise d'ouvrage sur des projets communs, surtout dans la gestion des nouveaux bâtiments et des bâtiments en restructuration. Or ce n'est pas pour le moment possible. Les sociétés publiques locales (SPL) pourraient constituer un véhicule juridique adapté à cette évolution si elles étaient ouvertes aux universités. La CPU, pour sa part, propose la création de sociétés publiques locales universitaires. Mais il suffirait d'autoriser les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) à créer des SPL avec les collectivités.

Au sujet du développement du numérique, nous avons pris conscience, nous collectivités, que le numérique permet d'élargir considérablement les activités d'enseignement supérieur, de recherche, de vie étudiante, d'innovation et de transfert technologique à de nouveaux publics éloignés de l'université pour des questions de mobilité ou géographiques. Je pense notamment aux étudiants en situation de handicap et aux bacheliers en milieu rural ou issus de petites villes, dont le taux de poursuite d'étude post-baccalauréat est inférieur à celui des bacheliers qui vivent dans des villes où l'offre d'enseignement supérieur est assez large. Il faut faire venir ces étudiants et les accueillir dans de meilleures conditions. Pour cette raison, la question de l'accessibilité est centrale. Elle a fait d'énormes progrès, mais il reste encore du travail. Les campus connectés sont une forme de réponse parmi d'autres à ces publics éloignés de l'enseignement supérieur. Le numérique ne devrait être envisagé que pour mettre le pied à l'étrier de ces étudiants.

La vie de campus est importante pour la formation des jeunes - des moins jeunes aussi, dans le cadre de reprise d'étude. La mobilité internationale est aussi très importante. L'accueil des étudiants internationaux sur nos territoires est un sujet essentiel. Les collectivités y contribuent à travers des initiatives telles que « la Nuit des étudiants du monde ». Nous nous sommes beaucoup posé la question des mobilités internationales hybrides. Il nous paraît extrêmement intéressant que des étudiants du monde entier puissent suivre des cursus à distance dans les universités françaises, sachant qu'il faut toutefois, dans le cadre de ces « e-mobilités », au moins un séjour en France en immersion. Il faut organiser les locaux de manière à prévoir des lieux d'échanges, de partage et de rencontre.

Les étudiants inscrits dans des parcours transdisciplinaires éprouvent parfois beaucoup de difficultés pour se déplacer entre établissements universitaires. Pourtant, des campus pluridisciplinaires fonctionnent : je souhaite évoquer l'exemple réussi d'Artem à Nancy, qui réunit sur une ancienne friche industrielle, dans un campus unique, une école d'art, une école d'ingénieurs et une école de management.

L'étudiant d'aujourd'hui - et plus encore demain - étudiera anyplace, anytime, anywhere. Les collectivités locales doivent penser l'usage d'une partie de leur équipement public dans cette logique. L'étudiant devra aussi, à l'avenir, être davantage acteur de son parcours de formation. Les collectivités locales souhaitent accompagner l'étudiant en stage, l'étudiant en entrepreneuriat, et l'étudiant bénévole, engagé dans des actions caritatives, culturelles, artistiques, etc. C'est un peu le campus dans la ville, à défaut de la ville dans le campus, rêve qui avait été associé au « Plan Campus » il y a une quinzaine d'années.

Enfin, quant à savoir si le campus de demain doit être tourné vers les centres-villes ou constituer un écosystème à part entière, il n'existe pas de réponse unique. Chaque université a ses spécificités et son histoire. Il faut éviter les modèles uniques à la française. Les collectivités locales sont plutôt favorables au retour des campus en centre-ville : il y a eu depuis une trentaine d'années un phénomène de retour vers les centres-villes qui n'est pas interrompu, même s'il n'est pas linéaire. Je citerai les exemples du campus La Citadelle à Amiens ou du campus Madeleine à Orléans. Les collectivités locales financent plus de 50 % de ces équipements.

Ce phénomène de retour en centre-ville est extrêmement pertinent pour les petites villes universitaires, dites « villes universitaires d'équilibre ». La présence étudiante en centre-ville est essentielle pour la revitalisation des villes moyennes. Le centre-ville constitue un cadre de vie beaucoup plus agréable que la périphérie de ces agglomérations, notamment pour les campus réunissant jusqu'à 4 000 ou 5 000 étudiants. C'est plus discutable pour les campus regroupant 10 000, 20 000 ou 30 000 étudiants.

J'ai été personnellement marqué par le choix de la Queens Margaret University qui disposait de 3 campus en centre-ville à Édimbourg. Cette université a décidé de créer un green campus à 30 kilomètres du centre. Ce projet semblait totalement incongru lorsqu'il a été présenté à l'AVUF réunie en colloque. Néanmoins, conçu avec des étudiants, mettant l'accent sur le développement durable, la liaison ferroviaire directe avec la ville d'Édimbourg, la sobriété énergétique, la réduction de l'empreinte carbone, etc., ce projet a offert une vraie qualité de vie. C'est a priori une grande réussite, même si ce n'est pas forcément un modèle. Le campus de Saclay mène probablement des expériences similaires qu'il sera intéressant d'étudier dans quelques années.

Pour terminer, il n'y a pas de modèle unique de campus du point de vue des collectivités locales. Il est important qu'il y ait une bonne insertion du campus dans le tissu urbain, que le campus soit en centre-ville ou en périphérie. La bonne insertion dans le tissu urbain est évidente pour les petites structures, mais aussi pour les grands campus, notamment au niveau des mobilités. La réussite du projet d'Edimbourg tient à la proximité d'une gare, ce qui a permis de bannir la voiture individuelle du campus.

Il est extrêmement important de penser aux mobilités, aux franges et aux riverains. Ce terme de frange est intéressant même s'il n'est pas très valorisant. Ce pourrait constituer un terrain de rencontre entre milieux académiques et économiques étant donné qu'il n'est pas toujours possible d'accueillir les entreprises au sein des campus. De même que l'on parle d'artistes en résidence, des travailleurs en résidence pourraient y être accueillis.

Le campus de demain saura inventer les moyens de développer les interfaces permanentes entre la production et la diffusion des connaissances dans tous les compartiments de la société.

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