Je parlerai peut-être plus en tant que chercheur travaillant sur les politiques d'expérience étudiante depuis dix ans qu'en tant que délégué général.
L'université est en reconstruction permanente, les campus ne peuvent donc être des lieux figés. Ils doivent être constamment en mouvement.
Je me concentrerai sur trois facteurs. Le premier est la résilience, dans laquelle j'inclus le bien-être. Il s'agit de la résilience des campus de demain, mais surtout de l'accompagnement des étudiants pour gagner en résilience. Le second facteur est l'hybridation. J'y inclus la question du temps étudiant. Le troisième facteur est le multidimensionnel ou les réponses à géométrie variable.
À la rentrée de 2021, aucun étudiant n'aura connu une année normale. Les primo-arrivants auront connu une année universitaire fortement bousculée par la crise sanitaire. En 2025, le marché de l'emploi verra arriver des diplômés de master qui étaient inscrits en L1 en 2020 et des étudiants qui ont suspendu leurs études en 2019. Il sera sous tension, sauf si nous créons beaucoup d'emplois. Cette situation pose la question de l'individualisation des parcours dans le contexte d'une éducation de masse. Il est toujours très important de se poser ces questions, dont les réponses évoluent.
Je me concentrerai sur la problématique consistant à évoluer du rôle civique et citoyen des universités à une université civique et citoyenne. Je me repose pour mon propos sur les travaux du Professeur John Goddard de Newcastle University, qui parle des universités engagées de façon civique, versus les universités civiques où les engagements citoyens sont inscrits de façon systémique dans une stratégie globale.
Les objectifs de développement durable de l'ONU permettent d'articuler des actions globales et locales. Ils demandent de mobiliser le meilleur de la science. Ces objectifs consistent à trouver des solutions pertinentes du point de vue local. De cette manière, l'excellence et l'engagement civique ne sont pas exclusifs.
Nous pouvons créer un parallèle avec la question de la responsabilité sociale des universités en France. Cette question est posée de manière de plus en plus pressante depuis que les universités sont devenues autonomes. Comment une université et ses campus répondent-ils au besoin socio-culturel d'un territoire ? Comment fidéliser des étudiants et des diplômés sur un territoire ? Emmanuelle Annoot, de l'université du Havre, signalait ces enjeux en 2012.
Quels sont les objectifs en termes d'attractivité ? S'agit-il d'attirer les étudiants par la spécificité d'un établissement ou de son territoire ? Quelles sont les spécificités de ce territoire en matière de formation et de vie étudiante, locale et régionale ? Nous pouvons avoir en tête les exemples de Paris, La Rochelle, Rennes ou Grenoble. L'enjeu est aussi de garder les étudiants après leur diplôme. Je relie donc l'insertion professionnelle au développement durable.
Pour les jeunes, les sujets majeurs dans leur vie de citoyen sont l'emploi (pour 63 %) ainsi que l'environnement et le changement climatique (pour 62 %), si l'on se réfère à un sondage publié dans Le Figaro en mars 2020. La crise sanitaire fait penser à la question de l'hybridation, qui peut être envisagée comme un prisme pour repenser le plan étudiant et ne pas limiter le numérique à la transformation pédagogique, mais l'élargir à l'individualisation des parcours.
Le campus de l'avenir construit différemment le temps étudiant par l'hybridation des enseignements. Il repense l'engagement, l'emploi et le temps étudiant. L'hybridation permet un étirement de l'espace et du temps et nous aide à sortir d'une logique de ratio « mètre carré par étudiant ».
De cette manière, nous allons créer davantage de fluidité sur le campus et décloisonner son fonctionnement. L'objectif consiste à tendre vers la mixité des populations et des communautés étudiantes. Il s'agit de repenser des études tubulaires ou « études TGV », avec la licence en trois ans, le master en cinq ans et l'insertion professionnelle à 23 ans. Il faut éventuellement permettre une licence en deux ans, ou en quatre ou cinq ans. Il s'agit de considérer les études comme un projet et non comme une fin en soi, et favoriser l'épanouissement entre études et employabilité. J'utilise sciemment le terme d'employabilité de préférence à la notion d'insertion professionnelle.
On considère souvent l'université comme un lieu de passage et non comme un lieu de vie, ce qui pose la question de l'impact des étudiants sur l'environnement de proximité des universités. Comment faire pour aider les collectivités à promouvoir une image positive des étudiants pour les riverains ? Je me suis beaucoup occupé de la construction du campus Nation à Paris. J'en ai suivi la programmation, l'avant-projet jusqu'au projet définitif. Je me rappelle ces expériences devant les conseils de quartier et la réticence exprimée par les riverains qui voyaient arriver la communauté étudiante dans un quartier assez résidentiel.
Lorsque nous dialoguions et que nous parlions de la possibilité d'accéder à des infrastructures - bibliothèque universitaire, salle de théâtre ou salle de projection - ces réticences se dissipaient. Néanmoins, les riverains ne profitent que moyennement de ces infrastructures. L'incidence directe sur l'environnement de proximité n'est pas à négliger. La diversification de l'offre commerciale est fondamentale : librairie, papeterie, alimentation de proximité...
Les questions de l'aménagement du territoire se posent évidemment : circulation douce, espaces verts, élargissement des voies piétonnes, réduction de la circulation automobile, développement du réseau de transport en commun, amélioration de l'accessibilité, etc. Il ne faut pas attendre que de nouvelles constructions arrivent, mais imaginer de nouvelles évolutions. Il ne faut pas oublier les universités lorsque nous étudions les baux commerciaux gérés par les collectivités locales.
J'élargirai le propos de François Rio à toutes les associations étudiantes, qui peuvent jouer un rôle crucial dans la structuration des liens entre universités, campus et quartiers de proximité ou territoire. En 2010, Yves Lichtenberger écrivait : « Longtemps les universités françaises, en référence à l'universalité de la science, ne se sont imaginé d'autre territoire que le monde. Au mieux, par réalisme sur le droit qui les fondait et sur la provenance de leurs moyens, se sont-elles reconnu un caractère national »1(*).
Bien entendu, l'université est une actrice territoriale, citoyenne, civique et économique. Les universités sont des institutions urbi et orbi. La crise sanitaire a démontré à quel point l'activité des associations étudiantes ne se limite pas à l'événementiel. Les campus de l'avenir mettront l'accent sur ce rôle social des associations : logique de socialisation, promotion sociale, lutte contre les fractures sociales, etc. L'engagement étudiant ne se limite pas au campus. Les bornes d'un campus sont très poreuses.
En conclusion, si les solutions sont à géométrie variable, cela n'interdit pas de formuler des recommandations et des principes de cadrage.
Il n'existe pas de modèle unique ou de taille parfaite d'un campus universitaire. En 1973, Schumacher écrivait « small is beautiful ». Il parlait de l'économie du durable et de l'échelle à taille humaine. Il s'agit de trouver le bon niveau de subsidiarité. L'enjeu n'est pas la taille du service, mais la qualité du service rendu à la collectivité. Il s'agit de ne pas déshumaniser le travail rendu par les personnes qui animent les services sur les campus. L'important est la résilience, s'assurer que les universités, les campus et les services de demain soient résilients, capables d'évoluer en fonction des crises et en fonction des besoins.