Intervention de Mohammed Sifaoui

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 12 décembre 2019 à 9h35
Audition de M. Mohammed Sifaoui journaliste écrivain et réalisateur

Mohammed Sifaoui :

Il n'y a pas de statistiques ethniques en France et il est donc difficile de mesurer ces phénomènes. Mais on sait qu'environ 20 % des lieux de prière sont dirigés par les Frères musulmans. Si l'on rajoute ceux qui diffusent une pensée salafiste on est effectivement proche de 30 %.

Un autre élément statistique est le Congrès que l'UOIF organise annuellement au Bourget et qui attire environ 300 000 à 350 000 visiteurs sur trois jours soit en fait 200 000 à 250 000 personnes.

Mais pour moi la question du chiffrage est moins importante que la diffusion de la pensée.

Quand les musulmans sont des citoyens normaux ils deviennent invisibles. Pour les statistiques ils sont musulmans supposés. Ce sont des citoyens français. Ceux qui sont visible sont ceux qui s'expriment à partir de leur religiosité. On a malheureusement parfois l'impression que ceux qui s'expriment simplement en tant que citoyens français sont renvoyés à leur religion.

Les islamistes sont une minorité agissante et très active dont la visibilité dans l'espace public va donner le la. Il y a 40 à 60 terroristes, 18 000 fichés S mais l'angoisse générée est énorme. C'est une minorité dangereuse qui doit être traités comme telle.

Les islamistes sont d'ailleurs aussi minoritaires aussi dans les pays musulmans.

Pour ma part, c'est cette minorité qui fait que depuis 2003 je suis sous protection policière et qu'il y a des endroits sur le territoire de la République où je ne peux pas me rendre. Personne ne s'en offusque alors même que mon discours ne s'attaque à personne.

Sur les instances départementales je n'ai pas d'opposition de principe si les interlocuteurs de l'Etat respectaient la laïcité mais je sais que sur le terrain ceux qui sont engagés sont des Frères musulmans. Je pense que les instances locales du CFCM sont suffisantes.

Sur le sujet important de la mixité que vous évoquez, permettez-moi de vous répondre à partir de l'exemple concret de Toulouse.

Après les crimes perpétrés en 2012 par Mohammed Merah, tout le monde à découvert l'existence de la cité des Izards dans laquelle il avait grandi et qui s'est révélée être un haut lieu du trafic de drogue et de l'islam politique. C'est d'ailleurs là qu'on put prospérer un certain nombre d'individus liés à Daesh comme Sabri Essid ou les frères Clain qui n'y habitaient pas mais qui fréquentaient sa mosquée.

J'ai passé un an à Toulouse après les attentats de Mohammed Mera pour enquêter et écrire un livre avec son frère aîné qui avait choisi de dénoncer sa famille. À cette époque, les pouvoirs publics ont pris la décision de casser littéralement le quartier des Izards. Pourquoi ? Car la configuration de cette petite cité complètement fermée, où chaque accès était occupé par des guetteurs et qui abritait une mosquée, avait favorisé une imbrication totale entre le trafic de drogue, l'islamisme et le djihadisme. Une configuration qui rendait possible le trafic d'armes, la circulation d'argent, et la mise en place d'un véritable écosystème permettant la diffusion d'une idéologie islamiste et violente.

Le démantèlement physique, matérialisé par la destruction de deux petits immeubles, a permis de reconfigurer les lieux, les immeubles ne formant plus un cercle mais un arc ouvert et accessible. Les habitants ont été relogés et dispatchés dans d'autres lieux où il y avait davantage de mixité.

Je crois que nous devons agir partout de cette façon sans se poser la question des origines des uns ou des autres.

Il y a quelques années, dans le 19e arrondissement de Paris une bagarre, aux relents antisémites, avait éclaté entre des musulmans et des juifs. Je m'étais rendu sur place et il s'avérait que l'agresseur du jeune juif était d'origine africaine. J'ai demandé à un élu local s'il n'y avait que des familles africaines dans un des immeubles du quartier et celui-ci m'a répondu : « Dans cet immeuble-là, il n'y a que des Maliens ». Puis de poursuivre : « À la mairie, des gens intelligents se sont dit que les immigrés Maliens fraîchement arrivés en France seraient sans doute plus heureux s'ils étaient installés avec leurs compatriotes dans les mêmes immeubles. »

Et on a reproduit cette idée complètement saugrenue pour toutes les autres communautés, comme les algériens par exemple. C'est de l'infantilisation, de la tribalisation, et du communautarisme à l'égard des personnes d'origine étrangère. On ne peut pas d'un côté promouvoir la mixité en se prévalant de la République, et de l'autre faire tout le contraire en créant les conditions du communautarisme. Or c'est ce que nous avons fait jusqu'ici dans de nombreux territoires tout en nous targuant, au niveau national, de ne pas faire de statistiques ethniques, de ne pas nous préoccuper des origines des uns et des autres, etc. Il faut désormais, me semble-t-il, sortir de cette contradiction.

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