Intervention de Joëlle Boneu

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 16 mars 2021 à 16h00
Habitat privé dégradé — Audition de M. Nicolas Binet ancien directeur de marseille rénovation urbaine mmes joëlle boneu directrice générale adjointe de l'établissement public foncier d'île-de-france epfif et valérie mancret-taylor directrice générale de l'agence nationale de l'habitat anah

Joëlle Boneu, directrice générale adjointe de l'Établissement public foncier d'Île-de-France (EPFIF) :

J'ai appris que vous venez d'auditionner Philippe Rio, avec qui nous venons justement d'annoncer l'avancement du projet urbain « Grigny 2 » aux copropriétaires occupants.

L'EPFIF a deux missions principales. Il a été initialement créé en 2007 pour intervenir sur les politiques foncières franciliennes, soit en achetant, en portant ou en traitant du foncier pour les rendre facilement aménageables, notamment pour des aménageurs ou des pour les bailleurs sociaux. Il s'agit donc de mener une action de régulation foncière, particulièrement nécessaire en Île-de-France où les prix ont fortement augmenté, et d'être un maillon de la chaîne d'aménagement pour accélérer la construction et le développement d'activités économiques.

La loi ALUR (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) a créé un nouveau dispositif : les opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCOD), sur la base du bilan des politiques menées depuis des années par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et par l'ANAH. L'ANRU intervient historiquement sur la requalification des quartiers en rénovation urbaine et de la politique de la ville, et principalement sur des quartiers de logements sociaux ; elle a eu du mal à intervenir sur les copropriétés dégradées. Les plans de sauvegarde pilotés et cofinancés par l'ANAH ont pour leur part été l'outil majeur de traitement de ces copropriétés en finançant de l'ingénierie et en subventionnant des travaux de réhabilitation. On s'est toutefois rendu compte qu'ils étaient parfois insuffisants pour intervenir sur tous les aspects de la dégradation d'une copropriété.

Les ORCOD s'appuient toujours sur la mobilisation de ces plans de sauvegarde, mais ils prévoient aussi de pouvoir piloter des projets d'aménagement pour transformer la situation des copropriétés dégradées et intervenir sur les quartiers, l'espace public et les alentours afin de changer l'image de ces ensembles immobiliers. Ils prévoient enfin de créer un outil de portage, sous la forme d'un opérateur public qui vient racheter des logements dans les copropriétés afin de stopper la dégradation en agissant en bon propriétaire. À travers ces actions de portage, l'opérateur participe ainsi au redressement et à la requalification de ces ensembles, ou il démarre une opération foncière qui permettra leur transformation, soit vers du logement social, soit éventuellement vers une démolition. Ces actions sont systématiquement couplées à des outils de lutte contre l'habitat indigne et à des actions de relogement et d'accompagnement social.

La loi permet aussi, dans les cas les plus compliqués, de déclarer d'intérêt national certains projets. L'État crée alors une opération d'intérêt national (OIN) par décret en Conseil d'État dont il confie la mise en oeuvre à un EPF d'État, qui peut consacrer annuellement une part de la taxe spéciale d'équipement (TSE) à l'habitat dégradé.

En 2014, les administrateurs de l'EPFIF ont ainsi voté l'augmentation de la TSE en Île-de-France, au taux plafond de 5 euros par habitant et par an, pour générer un budget de 60 millions d'euros annuels à consacrer au traitement des copropriétés dégradées.

Contrairement à l'ANAH, l'EPFIF n'intervient que dans le cadre de ces ORCOD d'intérêt national (ORCOD-IN). L'objectif est de consacrer tous nos moyens financiers sur quelques quartiers particulièrement dégradés. En Île-de-France, les interventions concernent trois quartiers (le Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois, Grigny 2 et le Val Fourré à Mantes-la-Jolie) et un quatrième ORCOD devrait être créé dans les mois qui viennent (le Parc de la Noue à Villepinte). L'EPFIF y intervient, en partenariat avec l'État, l'ANAH, l'ANRU et les collectivités, pour mettre en oeuvre tous ces dispositifs. Nous sommes une équipe d'environ 35 personnes qui intervenons sur ces différents ensembles immobiliers.

En matière de vulnérabilité et de fragilisation, ces grands ensembles sont l'illustration parfaite de ce qui peut mal se passer. Ils ressemblent à du logement social mais ont été créés dans le parc privé, espérant initialement attirer des classes moyennes voire supérieures. Or, pour prendre l'exemple de Clichy-sous-Bois, l'A87 qui devait desservir Clichy et Montfermeil n'a jamais été créée, si bien que le grand ensemble du Chêne Pointu a rapidement connu des problèmes de commercialisation. Très vite, des propriétaires occupants de milieu ouvrier qui ont accédé à la propriété dans les années 1960 ont quitté l'immeuble quand ils ont pu ; ils ont été remplacés par des primo-accédants qui ont acheté parce que le logement était peu cher mais n'imaginaient pas qu'il leur faudrait aussi payer des charges. Par ailleurs, des propriétaires occupants qui n'ont pas réussi à vendre leur logement au moment de prendre leur retraite sont devenus des propriétaires bailleurs, parvenant à louer avec de bons rendements locatifs à des personnes qui n'accèdent pas au logement social. Or, les propriétaires bailleurs sont d'autant moins motivés pour payer les charges qu'ils n'habitent pas dans l'immeuble. C'est ainsi qu'une spirale de dégradation s'enclenche rapidement. À Clichy-sous-Bois, quand l'EPFIF a commencé à intervenir, on atteignait 70 % de propriétaires bailleurs, ce qui est un des signes de fragilisation. À Grigny, cette part était de 50 % mais ce sont des proportions qui évoluent très vite.

Au fur et à mesure que l'entretien des parties communes se dégrade, la valeur des biens diminue ; les propriétaires occupants sont alors nécessairement perdants. La plupart d'entre eux sont très endettés vis-à-vis de la copropriété. Dans certains syndicats secondaires de Grigny 2, sur 300 logements, trois ou quatre occupants seulement n'ont pas de dettes de charges. Des millions d'euros de dettes s'accumulent ainsi de la copropriété vis-à-vis des fournisseurs et des copropriétaires vis-à-vis du syndicat.

Chemin faisant, ce patrimoine devient un « parc refuge » pour des gens qui ne parviennent pas à se loger ailleurs. J'ai le souvenir d'un habitant de Clichy-sous-Bois qui avait acheté au Chêne Pointu, afin de justifier son regroupement familial, un quatre pièces pour accueillir sa famille dont il n'a jamais eu la capacité de payer les charges.

Il y a aussi de nombreux primo-accédants qui arrivent à Clichy ou à Grigny du fait de l'existence d'une très grande solidarité communautaire. Ces copropriétés jouent malgré tout un rôle social de fait que l'on ne peut pas nier. Leur traitement passera nécessairement par un accompagnement social important des ménages concernés.

Parmi les propriétaires bailleurs, les « marchands de sommeil », dont on parle le plus, restent minoritaires. Beaucoup de « petits propriétaires bailleurs » ont fait un jour un placement raté et sont aussi endettés et en difficulté que les occupants.

Quant aux locataires, ce sont les pauvres parmi les pauvres, qui paient 10, 15 voire 25 euros le mètre carré de loyer mensuel. À Grigny, par exemple, il y a énormément de logements à la découpe. Leurs locataires sont généralement les personnes les plus fragiles. Le traitement de ces copropriétés est une perspective de les réintégrer dans un parcours résidentiel sain.

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